Ecrire sa vie de Marianne Chaillan
Editeur : Les Editions de l’Observatoire
Année de sortie : 2024
Nombre de pages : 143
Synopsis : Nous chérissons nos vieilles photos de classe. Quand nous les regardons, nous nous demandons avec nostalgie ce que sont devenus nos camarades perdus de vue depuis des années. Quelle est leur vie, quel chemin ont-ils emprunté ? Est-ce que tout était joué d’avance ou ont-ils pu choisir leur existence ? Les ouvrages de développement personnel répondent sans appel : nous pouvons et même devons devenir les auteurs de notre vie. Pour Marianne Chaillan, cet impératif de liberté est une imposture nous condamnant, paradoxalement, à la plus grande servitude. Car trouver un véritable chemin de libération pour écrire sa vie n’est pas chose aisée. L’endroit et l’époque où l’on naît, notre famille et son histoire, tous ces faisceaux de déterminismes ne dessinent-ils pas, pour nous et par avance, les lignes de notre existence ? Convoquant la philosophie, la pop culture et la littérature, l’autrice nous invite à une quête passionnante : la recherche de notre liberté, par-delà le destin et la volonté.
Avis : Dans ce nouvel essai, Marianne Chaillan se propose de nous parler de liberté et de nous expliquer en quoi nous sommes (ou non) les maîtres de notre vie.
Si une part de son texte est bâti en désaccord total avec les ouvrages de développement personnel qui fleurissent dans toutes les librairies, l’autrice, en écrivant cet essai, ne nous laisse pas seuls face à notre désarroi et à ces questions : suis-je maître de mon destin, suis-je libre, puis-je faire des choix et forger ma propre vie ? Comme toujours, Marianne Chaillan construit son texte de manière très pédagogique, partie par partie, comme elle poserait les briques de notre éducation à la philosophie. Ici, elle part de photos de classe et se pose la question : que sont devenus ces camarades et, surtout, leur vie était-elle déjà écrite d’avance ou ont-ils façonné leur destinée ?
Elle va ainsi évoquer différentes théories philosophiques sur la liberté, mais aussi différentes facettes de nos vies. Elle traite ainsi, par exemple, des déterminismes qui nous contraignent, en partie, à l’aide d’écrivains et de philosophes comme Jean Anouilh et son Antigone, que je faisais moi-même étudier à mes élèves tous les ans en classe de 3e, Victor Hugo ou Epictète ; ou encore, de la volonté, dont elle démystifie brillamment la toute puissance dans une partie attestant du coup monté que peut parfois sembler être la vie, du mérite et de la paresse, qui ne fait que plomber ceux qui ne s’en sortent pas aussi bien que les autres. Ainsi, si le lecteur retrouve des philosophes qu’il connaît ou que l’autrice cite souvent, il est aussi mis en face d’exemples concrets, par exemple, celui d’Ismaël ou de Chantal Jaquet.
J’ai aimé qu’elle évoque aussi, en parlant de développement personnel et de mérite, le fait que l’injonction à donner toujours le meilleur de soi, à « devenir qui nous sommes », cet être latent et meilleur qui sommeille en nous, est parfois contre-productive. On peut avoir l’impression d’un rêve atteignable que l’on ne parvient pas à réaliser parce que nous ne faisons jamais assez. Je cite ici l’autrice, avec la citation qui est, pour moi, l’une des plus importantes de tout le livre : « Un individu, quel qu’il soit, y compris le transclasse [celui qui accède à une classe sociale supérieure au cours de sa vie], est le fruit d’une complexion, un nœud de déterminations qui se tissent et non un individu isolé qui se ferait tout seul. Aussi il importe de comprendre les mécanismes de son histoire pour en finir une fois pour toutes avec cette illusoire figure du self-made-man qui, outre les ravages narcissiques qu’elle produit sur les personnes en question, culpabilise à tort ceux qui n’ont pas connu pareille ascension sociale. » J’ai, d’ailleurs, peu de temps après, cherché des livres sur la culpabilisation, un sujet qui me tient très à cœur.
Enfin, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire cet essai, grâce à la prose de l’autrice, aux auteurs qu’elle convoque, mais aussi parce que le désespoir que ses textes font parfois naître en moi est compensé par l’affirmation qu’il est toujours possible d’agir, tout en acceptant que tout ne dépend pas de nous. Nous ne sommes peut-être pas tout à fait libres, mais nous ne sommes pas non plus dans la matrice : profitons de ce que nous pouvons et écrivons nos vies, puisque c’est ce seul récit que nous maîtrisons.
Donc, comme toujours avec Marianne Chaillan, j’ai passé un très bon moment, j’ai appris des choses et je suis sortie grandie de ma lecture.