Redbluemoon

I found myself in Wonderland.

Le Roman de Merlin en prose d’Anonyme

Posté : 26 février, 2016 @ 8:07 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

Le Roman de Merlin en prose Genre : Classique, Mythes/Mythologie

Editeur : Champion Classiques

Année de sortie : 2014

Nombre de pages : 419

Synopsis : Composé au début du XIIIe siècle, Merlin est une œuvre pionnière. Premier roman en prose de la littérature française, il est aussi le premier à rapprocher le héros de la figure de l’auteur et à concevoir le récit à la fois comme une entité autonome et comme le point central de cycles romanesques plus vastes consacrés au Graal. Il donne à la chevalerie bretonne une mission nouvelle, la quête de ce vase sacré, symbole de rédemption. Il innove également en proposant une lecture cohérent et signifiante du personnage de Merlin, fils du diable sauvé par Dieu, puissant devin et magicien, conseiller des princes et prophète du Graal. Parmi la cinquantaine de manuscrits conservant ce texte et attestant son succès à l’époque médiévale, le ms. A‘-BnF 24394 était resté inédit jusqu’à présent. Editée et traduite ici pour la première fois, cette copie remarquable permet de mieux mesurer les multiples richesses recelées par ce roman fondateur.

 

Avis : J’étais intriguée par ce livre, parce que j’aime beaucoup « l’histoire mythologique » on va dire !

J’ai trouvé intéressant de découvrir les origines de Merlin, que je ne connaissais pas du tout, le récit commence même avant sa naissance, par le concile démoniaque mené par le diable, qui cherche un moyen de conquérir le royaume des hommes, et de les retourner contre Dieu, qui vient de libérer certains d’entre eux de l’enfer. La corruption dont ils font preuve pour venir à leur fin est perfide au possible, et la religion, énormément présente à l’époque, est censée aider la personne corrompue à se repentir d’une faute qu’elle n’a pas commise, puisqu’elle a été abusée par un démon. Ainsi est conçu Merlin, qui, bien que démoniaque, est en réalité une créature de Dieu, car il lui fit un don à sa naissance. Il est très sage, et connaît toute chose passée, présente et future. Il œuvrera ainsi pour ses proches, mais aussi deviendra le conseiller des rois qui se succéderont au cours de sa vie. Cette succession était également intéressante à découvrir, ainsi que les événements qui surviennent pendant le règne des rois. Uterpendragon est sans doute celui que l’on suit le plus longtemps, ou, en tout cas, le plus marquant avec Arthur, notamment en raison de l’amour qu’il porte à une femme, et de ce qu’il fait pour la conquérir, action excessive au possible ! J’ai aimé également relire le début de l’histoire d’Arthur, que je connaissais à travers diverses œuvres.

Evidemment, en raison de la traduction de l’ancien français, le style d’écriture est assez répétitif, et peut être un peu ennuyeux, sans doute ce qui m’a poussé à interrompre ma lecture un moment. On ne peut pas en vouloir à la traductrice : les livres en ancien français sont souvent écrits de façon étrange pour nous aujourd’hui. Les mêmes mots sont souvent employés, et les répliques de dialogue semblent exagérées. Aussi, le roi, à l’écoute de Merlin, lui semble tout à fait soumis et s’empresse d’acquiescer à tout ce qu’il lui recommande sans réfléchir. C’est assez drôle à lire, puisque les rois que l’on connaît n’ont jamais semblé aussi pressés d’écouter leurs conseillers et de leur déléguer un peu de leur autorité.

La fin est aussi un commencement, puisque l’on assiste au couronnement d’Arthur, qui est dit régner longtemps en Angleterre. Ce qui me donne encore plus envie de (re)lire l’histoire de ce roi mythique !

 

En définitive, un bon livre pour apprendre les origines de Merlin, intéressant à lire, malgré des répétitions et une longueur dus à une traduction de l’ancien français.

Contes et entretiens de Diderot

Posté : 14 janvier, 2016 @ 3:19 dans Avis littéraires | 2 commentaires »

Contes et entretiens Genre : Classique

Editeur : GF

Année de sortie : 2013 

Nombre de pages : 200

Synopsis : Quel est le statut de l’individu dans le couple (Ceci n’est pas un conte) ? Le sage doit-il toujours respecter la loi (Entretien d’un père avec ses enfants) ? La morale peut-elle se passer de fondement religieux (Entretien d’un philosophe avec Madame la Maréchale de …) ? … Dans les récits brefs et piquants qu’il rédige entre 1768 et 1774, Diderot s’inspire d’anecdotes et de personnages réels pour interroger les mœurs de son temps et mettre à mal l’édifice vermoulu des conventions sociales. Faisant du conte un laboratoire de morale expérimentale, il aborde les questions du mariage, de l’infidélité, de la condition féminine, de la vertu ou encore de l’athéisme, et invite le lecteur à rassembler ces fragments d’histoires et de dialogues pour tenter de saisir la vérité toujours mouvante de l’humain.

 

Avis : Après Supplément au voyage de Bougainville, je devais lire Ceci n’est pas un conte et Madame de la Carlière pour un cours sur Diderot. J’ai préféré lire tout le livre, ne voyant pas l’intérêt de sauter des œuvres intéressantes, et au vu du nombre de pages !

Il est indéniable que toute l’intelligence de l’auteur est visible dans son œuvre. Ici, le recueil nous offre six contes ou entretiens qui vont aborder différentes questions plus ou moins polémiques à l’époque. Tous sont écrits sous forme de dialogue, et donnent même parfois lieu à des dialogues dans le dialogue. Je trouve cette forme très fluide, agréable à lire ; l’interaction donne une vie au récit, et le lecteur se sent concerné ; souvent, l’interlocuteur du narrateur pose les questions qui sont venues à l’esprit du lecteur. L’écriture de Diderot est agréable à lire, sans artifices, le but étant de faire comprendre les idées qui se cachent derrière les mots.

Le premier « conte » s’appelle Mystification : Diderot raconte comment il s’y est pris pour obtenir,  par la ruse, des objets dont une dame ne voulait pas se séparer. On se rend facilement compte de l’ingéniosité du procédé. La chute m’a fait rire, même si elle n’est pas drôle en soi : tout ça pour ça ?! Les deux amis de Bourbonne met en scène deux hommes, Félix et Olivier, qui s’aiment comme des frères, mais dont la vie va se jouer. Ici, l’auteur aborde le sujet de l’amitié, fidèle et sans failles, et défend Félix, malmené par son interlocuteur, qui ne voit en lui qu’un bon-à-rien. Cette histoire est touchante par le fait que, même si la vie est dure pour les deux hommes, leur amitié ne vacille pas. Elle n’a rien à voir avec ce que l’on appelle aujourd’hui « amitié ». Il n’y a pas de recherche d’intérêt, ni d’hypocrisie, pas de rivalités, ni de plaintes et de reproches. Les deux amis s’acceptent tels qu’ils sont, et acceptent les décisions de l’autre sans se plaindre. Entretien d’un père avec ses enfants présente un père malade qui raconte une de ses missions en tantqu’exécutant de la loi. Ici, Diderot nous expose ses convictions sur la justice, et l’humanité. Un homme sage est-il obligé de suivre la loi quand il la considère injuste ? La justice doit-elle toujours s’appliquer ? N’y-a-t-il pas en l’homme une conscience qui le régit mieux que les lois dans certaines situations ? En effet, l’homme doit d’abord se comporter comme un être humain avant de se comporter comme un homme de lois. J’ai vu il y a peu de temps le terme de casuistique en cours : j’ai eu l’impression que ce conte était fait exprès pour me faire comprendre cette notion ! Les lois sont comme la morale : elles sont très bonnes en théorie, mais une fois que l’on est confronté à la pratique, ce n’est plus la même histoire !

Ceci n’est pas un conte raconte deux histoires qui correspondent l’une à l’autre : celle de Tanié et de Madame Reymer, et celle de Mademoiselle de La Chaux et de Gardeuil. Deux des personnages vont se faire abuser par la personne qu’ils considèrent comme leur moitié, qu’ils aiment, et qui se sert d’eux pour obtenir tout ce qu’il peut avant de se débarrasser d’eux. Ainsi, Diderot interroge ici le rôle de l’individu dans le couple : doit-on totalement se sacrifier pour celui que l’on aime, au risque de tout faire à sa place et de se retrouver à la rue, misérable, alors que l’on possédait tout sans lui ? L’ingratitude de certains êtres est effrayante à voir : celui qui aime est prêt à se damner, quand l’autre ne fait que recevoir sans jamais donner. Cela débouche sur des issues fatales, et sur des destins brisés. Madame de la Carlière fait le portrait d’une femme, Madame de la Carlière, qui, après avoir souffert dans la vie, rencontre un homme qu’elle aime, et à qui elle demande de lui promettre de ne jamais la faire souffrir. Dès le début, l’accent est mis sur le fait que les gens aiment parler de faits divers dont ils ne savent rien, affabulant de toutes leurs forces sur une histoire qu’ils inventent en réalité, et qu’ils enlaidissent afin de cracher plus convenablement leur venin. Diderot se retrouve face à une de ses personnes et la remet à sa place en lui racontant l’histoire de Desroches, misérable et malheureux en raison d’une erreur que l’auteur qualifie de légère, et qui aurait pu lui être aisément pardonner, si celle qui se sentait offensée avait consenti à l’écouter et à lui laisser le bénéfice du doute. Pourtant, pas mal de gens aurait réagi comme elle, c’est ce qui brise la plupart des relations : le manque de confiance. On ne se dit pas tout, on apprend quelque chose, on n’en parle pas, jusqu’à ce que l’on explose, et que tout soit perdu. Le personnage de Madame de la Carlière, qui semble tout d’abord avoir raison, est présenté comme excessif : elle œuvre à son propre malheur et à celui des siens. Enfin, Entretien d’un philosophe avec Madame la Maréchale de *** traite de la religion et de l’athéisme. Diderot semble ici endosser le rôle de Socrate dans les dialogues de Platon et questionne la Maréchale sur la religion, l’amenant à dire des choses vraies, mais qu’elle ne tiendrait pas pour telles si elles lui étaient dites par quelqu’un. Ainsi, la morale chrétienne est remise en question, et les personnages se demandent si l’incrédulité n’est pas plus bénéfique que la religion. L’athéisme ne rend-t-il pas plus heureux, puisque l’on vit selon sa propre morale, qui n’est pas si éloignée de celle du chrétien, mais qui ne comporte pas ses menaces et ses restrictions ?Faut-il être chrétien pour être un honnête homme ? De plus, Diderot montre qu’il est impossible de ne pas fâcher le Dieu chrétien, car ses préceptes et restrictions nous empêcheraient de faire bon nombre de choses que nous faisons sans y penser, parce qu’elles sont naturelles. Ainsi, la loi religieuse et celle de la nature se contrediraient. Bien sûr, cette question de la religion se posait à l’époque parce qu’il était inconcevable que l’on ne croit pas en Dieu. Une réflexion de Diderot m’a semblé terriblement actuelle : au nom de la religion, on déclenche des guerres et l’on perpètre des carnages sans précédent.

 

En définitive, ces contes, chacun à leur manière, font réfléchir, donnent à penser, et peuvent faire voir la vie différemment.

Epreuves, exorcismes, 1940-1944 de Henri Michaux

Posté : 13 janvier, 2016 @ 10:08 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

Epreuves, exorcismesGenre : Poésie

Editeur : NRF Gallimard

Année de sortie : 1999

Nombre de pages : 108

Synopsis : «Il serait bien extraordinaire que des milliers d’événements qui surviennent chaque année résultât une harmonie parfaite. Il y en a toujours qui ne passent pas, et qu’on garde en soi, blessants. Une des choses à faire : l’exorcisme. Toute situation est dépendance et centaines de dépendances. Il serait inouï qu’il en résultât une satisfaction sans ombre ou qu’un homme pût, si actif fût-il, les combattre toutes efficacement, dans la réalité. Une des choses à faire : l’exorcisme. L’exorcisme, réaction en force, en attaque de bélier, est le véritable poème du prisonnier. Dans le lieu même de la souffrance et de l’idée fixe, on introduit une exaltation telle, une si magnifique violence, unies au martèlement des mots, que le mal progressivement dissous est remplacé par une boule aérienne et démoniaque – état merveilleux ! [...] Pour qui l’a compris, les poèmes du début de ce livre ne sont point précisément faits en haine de ceci, ou de cela, mais pour se délivrer d’emprises. La plupart des textes qui suivent sont en quelque sorte des exorcismes par ruse. Leur raison d’être : tenir en échec les puissances environnantes du monde hostile.» Henri Michaux.

 

Avis : J’avais un mauvais a priori sur ce livre : j’aime beaucoup la poésie versifiée, et j’ai parfois plus de mal avec la poésie en vers libre, parfois plus hermétique.

Ici, certes, certains poèmes peuvent paraître hermétiques, mais l’intensité des mots de Michaux reste la même. L’auteur exprime ici son dégoût de la guerre, ce qu’elle fait des hommes, la honte qu’elle leur fait ressentir, la mort qu’elle sème à chaque pas. Contre elle, le poète n’a que l’écriture, d’un style martelé, saccadé, qui nous donne l’impression de coups donnés verbalement. Parfois, ce sont des sentences que l’on lit, et parfois des supplications. De multiples émotions sont transmises par les mots : la colère, la tristesse, la résignation, le désespoir. L’hermétisme que l’on peut trouver ici est dû au fait que Michaux ne dit jamais les choses directement, mais passe par des images, qui, si elles ne sont pas comprises par le lecteur, ne lui offrent pas la clé du poème. Des figures sont utilisées, comme Lazare, mais aussi des images, comme celle du tunnel. Ces poèmes relatent des épreuves, et cela se sent : la souffrance et la douleur sont toujours présentes, même en arrière-fond, même de manière sous-jacente. Ce peut être celle du sujet lyrique, d’un je donc, ou d’autres personnes dont le je parle, qu’il a vues, pour lesquelles il souffre parce qu’il n’a rien pu faire. Les exorcismes eux aussi sont « lisibles » : le sujet lyrique veut conjurer la guerre, veut la mettre à distance, s’en débarrasser par l’écriture. Les mots sur le papier sont une façon de se défendre, de survivre à la guerre, mais aussi de la faire voir aux lecteurs, de faire comprendre ce que c’est que de vivre la guerre. L’espérance est tout de même présente à petites doses, même si la foi en l’humanité est ébranlée sans retour.

Petit bémol, qui n’a rien à voir avec l’œuvre en elle-même : les éditions NRF sont assez chères, et pourtant, les premières cinquante pages de mon édition sont décollées. Petite déception.

 

En définitive, un recueil qui se propose d’exorciser la guerre à travers des poèmes plus ou moins hermétiques, mais qui font ressentir aux lecteurs la souffrance, la honte, le dégoût de l’auteur pour cette période noire de l’humanité.

Supplément au voyage de Bougainville de Diderot

Posté : 11 janvier, 2016 @ 7:50 dans Avis littéraires, Coup de cœur | Pas de commentaires »

Supplément au voyage de BougainvilleGenre : Essai, Classique

Editeur : Folio

Année de sortie : 2015

Nombre de pages : 95

Synopsis : Les Tahitiennes sont fières de montrer leur gorge, d’exciter les désirs, de provoquer les hommes à l’amour. Elles s’offrent sans fausse pudeur aux marins européens qui débarquent d’un long périple. Dans les marges du récit que Bougainville a donné de son voyage, Diderot imagine une société en paix avec la nature, en accord avec elle-même. Mais l’arrivée des Européens avec leurs maladies physiques et surtout morales ne signifie-t-elle pas la fin de cette vie heureuse ? Entre l’information fournie par Bougainville et l’invention, Diderot fait dialoguer deux mondes, mais il fait surtout dialoguer l’Europe avec elle-même. Il nous force à nous interroger sur notre morale sexuelle, sur nos principes de vie, sur le colonialisme sous toutes ses formes. Il nous invite à rêver avec lui à un paradis d’amours impudiques et innocentes. La petite île polynésienne ne représente-t-elle pas la résistance à toutes les normalisations ?

 

Avis : En voyant que j’allais étudier ce livre, j’ai eu un mauvais a priori et je pensais m’ennuyer à sa lecture.

Je me trompais ! Je ne m’attendais à un tel choc des civilisations ; car c’est bien ce que fait Diderot ici. Il prend l’Europe, le vieux monde qui se croit dominant et le plus civilisé, et il le confronte à Otaïti, Tahiti en réalité, faisant parler deux de ses membres pour montrer à quel point ils sont différents de nous, à notre détriment ! Là où les Européens se pensent plus civilisés parce qu’ils ont des lois et des mœurs religieuses et sociales, ils se retrouvent en face de leurs propres contradictions quand ils sont interrogés par les Otaïtiens, ne sachant comment leur faire comprendre leur morale. Ce qu’écrit Diderot est révolutionnaire, avant-gardiste pour son époque : ils veulent faire ouvrir les yeux aux Européens engoncés dans leurs préjugés, leur montrer qu’ils ne sont pas les meilleurs, qu’ils ne sont pas supérieurs, mais que, peut-être, leurs vices, leurs crimes et leur bêtise les placent à un rang inférieur de ceux qu’ils jugent comme des sauvages.   

Evidemment, même si l’on reconnaît l’intelligence et l’évidence des remarques des deux Otaïtiens, cela ne veut pas dire que l’on va vivre comme eux à notre tour. Diderot l’évoque à la fin de son essai : « Disons nous à nous-mêmes, crions incessamment qu’on a attaché la honte, le châtiment et l’ignominie à des actions innocentes en elles-mêmes, mais ne les commettons pas, parce que la honte, le châtiment et l’ignominie sont les plus grands de tous les maux. » Malgré le fait qu’il sache que les actions dont il parle ne sont pas immorales, il faut vivre avec son temps, et dans son temps, et donc respecter les mœurs de celui-ci. De plus, l’éducation que nous avons reçue nous empêche de concevoir certaines pratiques présentées dans le livre comme pouvant être les nôtres un jour, notamment les pratiques sexuelles ; A le dit bien quand il déclare qu’il est difficile de revenir sur ses mœurs, qui finissent par être ancrées en nous. Il faut des années pour s’en défaire.

L’auteur évoque également la religion dans son essai, montrant qu’elle est anti-naturelle et qu’elle corrompt les hommes « naturels » en leur imposant des lois difficiles à respecter. Il l’oppose à la nature, mais également à la société : ainsi l’homme se voit dicter sa conduite, et ne parvient jamais à faire coïncider les trois lois. La religion, au lieu de sembler pure, est ici corruptrice, ainsi que la justice : par les lois qu’elles formulent, elles proposent par-là même la transgression de cette loi, alors qu’elle ne serait pas venue dans la tête des hommes sans son opposé !

Les passages sur le fait d’avoir des enfants montrent à quel point cet événement est important, et à quel point les hommes en viennent à le mépriser. L’exemple de Polly Baker est parlant : parce que ses enfants sont hors-mariage, elle est méprisée, ainsi qu’eux, alors que la religion ne semble pas les condamner. Les hommes s’octroient ainsi le pouvoir des cieux et se permettent de juger des crimes qui ne sont pas de leur ressort ; il en est de même quand cela concerne les « sauvages » : ils se considèrent comme supérieurs et ont donc droit de vie et de mort sur eux. Ils ne comprennent pas leurs pratiques, se pensent adulés et donc se permettent de les mépriser, quand ils ne font que se servir d’eux.

Malgré cette liberté visible chez les « sauvages », et après réflexion et analyse, on peut pourtant se rendre compte qu’ils ne sont pas tout à fait libres. Leurs mœurs ne sont peut-être pas les nôtres, mais ils en possèdent tout de même, et elles sont assez contraignantes : tous doivent obligatoirement participer à l’acte sexuel, et faire des enfants. Les femmes semblent donc bien moins libres que les hommes, et même ceux-ci sont obligés de concevoir. Ceux qui n’en sont pas capables sont écartés de la vie en société. Cette liberté est donc relative, et ressemble assez à un petit enfer totalitaire.  

Il y a encore quantité de choses à dire sur ce livre, mais un article n’y suffirait pas. Ainsi, Diderot montre que l’autre n’est pas forcément inférieur, qu’il est même supérieur parce qu’il est resté naturel et ne se préoccupe pas de lois et de morales qui ne feraient que le rendre malheureux ; cela ne veut pas dire qu’il faut vivre comme le « sauvage », qui a lui aussi des contraintes importantes. Selon l’essai, l’homme européen, civilisé, est malheureux et aigri, il ne goûte pas le plaisir de la vie, mais passe à côté de celle-ci en pensant que tout est normal, quant le Tahitien vit, semble-t-il, comme bon lui semble, tout en étant lui aussi enchaîné par une morale.

 

En définitive, un excellent essai, qui vaut vraiment le coup d’être lu, et qui montre la bêtise des hommes qui se croient supérieurs aux autres parce que ces derniers sont différents.

Iphigénie de Racine, suivi de Iphigénie à Aulis d’Euripide

Posté : 29 décembre, 2015 @ 7:52 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

IphigénieGenre : Théâtre, Classique

Editeur : Pocket

Année de sortie :2013 

Nombre de pages : 132

Synopsis : 1674. L’helléniste Racine prépare son Iphigénie afin de montrer à la Cour, et « aux siècles à venir » dit-il, comment on écrit une tragédie grecque en français. Dans la rade d’Aulis, un calme plat immobilise la flotte des princes grecs en route pour le siège de Troie. Consulté, le devin Calchas annonce à Agamemnon, leur chef tout-puissant, que les vents ne se lèveront qu’au prix du sacrifice de sa fille Iphigénie. Agamemnon y consent. On fait venir la jeune femme, en lui faisant croire qu’elle va épouser son prétendant Achille. A sa joie de courte durée, succède la résignation. Elle est prête à offrir sa vie pour sa patrie. Mais c’est compter sans l’inconstance des dieux …

 

Avis : Une pièce que je vais prochainement étudier et que j’avais envie de découvrir !

Le synopsis de cette édition est un peu trop complet à mon goût : il dit tout, ce que je trouve dommage. Mais cela n’empêche pas de savourer l’œuvre de Racine. Il reprend ici le mythe d’Iphigénie, fille d’Agamemnon et de Clytemnestre, qui doit être sacrifiée à la déesse Artémis pour permettre à la flotte grecque de partir en mer attaquer Troie. Racine a déjà repris des histoires mythologiques, comme celle d’Andromaque, ou de Britannicus, mais, cette fois, il s’appuie également sur une œuvre antérieure : Iphigénie à Aulis d’Euripide, présente juste après la tragédie du dramaturge français. C’est donc un double livre, si on peut parler de cette façon, qui nous offre deux œuvres complémentaires. Tout d’abord, l’Iphigénie de Racine : la façon de présenter les actes et les scènes est agréable, ainsi que la manière de mettre en place les répliques. L’écriture de l’auteur est sublime, comme on peut s’y attendre, et ses vers sonnent parfaitement. Quant à Iphigénie à Aulis, la typographie est beaucoup plus serrée, ce qui rebute un peu le lecteur, et ce qui est un peu gênant pour le changement de réplique. On sent également que l’on a affaire à une traduction, les tragédies grecques étant écrites d’une certaine manière. Les paroles des personnages semblent moins naturelles, et les stasimons coupent l’action de la pièce. Les deux œuvres ont des fins différentes ; je ne connaissais moi-même pas la même avant de les lire. Celle de Racine est originale, et fait intervenir un personnage qui, me semble-t-il, a été inventé par l’auteur : Eriphile. Une partie de la tragédie se concentre sur elle, et elle participe à son dénouement.

Iphigénie ne change pas entre les deux œuvres : jeune fille qui adore son père, et qui est aimée par lui, elle est douce et courageuse, et la haine ne semble pas pouvoir se trouver dans son cœur. Elle est pure et raisonnable. La seule différence est peut-être l’enthousiasme que dépeint Euripide : la jeune fille se voit comme sauveteur de la Grèce, comme la seule à pouvoir permettre la guerre contre Troie et la réparation des torts d’Hélène. Le lecteur s’attache facilement à Iphigénie, et prend pitié de sa situation : elle ira bien vers l’autel, mais pas comme épouse d’Achille. Agamemnon, à la fois roi et père, se voit déchiré entre ces deux rôles qu’il lui faut jouer. La décision qu’il prend semble inadmissible, comment peut-on tuer sa fille pour aller faire la guerre ? Mais pour les Grecs, c’est un moindre mal : qu’est-ce qu’une fille face à des milliers d’êtres ? De plus, il faut venger Ménélas, qui s’est vu voler son épouse. Agamemnon ne semble donc pas pouvoir trouver d’issue : entre le déshonneur et le crime, c’est le second qu’il choisit. Son cœur parle pourtant, et il ne peut se résoudre à accepter sans broncher le commandement des dieux. Il tente ainsi de les braver dans la pièce de Racine. Loin d’être froid et insensible, c’est la malédiction des Atrides qui pèse sur ses épaules, et dont il ne peut se débarrasser. Il semble aussi porter le poids de sa noblesse, qu’il doit prouver. Clytemnestre, quant à elle, passe de mère heureuse de marier sa fille à femme désespérée qui perd son enfant. Cela annonce les prémisses de sa trahison envers son mari, qu’elle finira par détester. Achille est également présent : il est pris comme prétexte pour attirer Iphigénie à Aulis. Il m’a semblé plus passionné chez Racine que chez Euripide, où il est plus sage et mesuré. Eriphile, personnage apparemment inventé, porte une grande partie de la tragédie. Elément perturbateur et déclencheur, elle joue également un grand rôle à la fin de la pièce. Esclave et désespérée, elle suscite la pitié du lecteur : elle ne sait pas qui sont ses parents, et se voit éprise d’un homme qu’elle n’aurait jamais dû aimer. La fatalité s’acharne sur elle, et les dieux en font leur jouet, autant que les autres personnages. Ménélas n’apparaît que dans la pièce d’Euripide, et son changement d’attitude à l’égard de son frère et de sa nièce ne semble pas cohérent, vu sa rapidité. Il passe pour un frère indigne, puis pour un frère qui se sacrifie, et qui renonce, quand ce n’est plus possible. Ulysse joue ce rôle dans la pièce de Racine : il tente de convaincre Agamemnon avant de compatir à sa douleur.

Il m’a semblé que cette pièce traitait, à travers la fatalité qui touche Agamemnon, du sort qui peut s’abattre sur n’importe qui à n’importe quel moment. Le roi a beau être tout-puissant, a beau tout avoir, il doit renoncer à quelque chose, il doit souffrir et détruire pour obtenir ce qu’il veut. Cela montre un autre aspect de la royauté, derrière les richesses et le bonheur qu’on leur prête. Il faut soumis à des devoirs qui les oppressent, même si leurs droits sont supérieurs à ceux de leurs sujets. Ils sont menacés par le déshonneur à chaque pas, par l’opprobre, par la colère du peuple, qui peut se soulever pour les renverser. Leur sort n’est pas enviable, ils sont torturés psychologiquement, ce qui les pousse vers la folie.  

La fin des deux œuvres tend à réduire la tragédie, même si quelqu’un meurt tout de même, et que de nombreuses morts suivent dans l’histoire de la famille des Atrides. C’était assez original par rapport aux autres tragédies où de nombreux personnages succombent par folie, amour, ou colère divine.

Petit plus dans cette édition : un dossier dans lequel se trouve toute l’histoire des Atrides, avant et après l’histoire racontée dans la pièce. Un vrai plaisir !

 

En définitive, une très bonne tragédie, différente des autres, et qui nous raconte l’histoire d’Iphigénie.

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