Genre : Historique
Editeur : Buchet Chastel
Année de sortie : 2023 [2021]
Titre en VO : Dit du går, följer jag
Nombre de pages : 447
Synopsis : « Si j’avais su prédire l’avenir, je n’aurais rien fait pour l’arrêter. Le chagrin ne mesure pas le bien et le mal. Le bonheur ne s’encombre pas de la morale. »
1897. Recherchée pour avoir pratiqué des avortements, Unni fuit la Norvège avec son compagnon et son bébé. Après avoir traversé les montagnes, la famille arrive en Suède, dans la province reculée du Hälsingland, et s’installe dans une ferme délabrée, à l’endroit le plus ensoleillé de la forêt. C’est ici qu’ils construiront leur vie, à la merci d’une nature splendide et terrible, qui leur donnera autant qu’elle leur prendra.
1973. Dans la même maison, deux veuves se font face. Entre elles se dressent les secrets d’une famille dont la rudesse et la tendresse épousent celles des arbres qui les encerclent.
Avec cette fresque en clair-obscur d’une famille suédoise isolée de tout, Lina Nordquist entraîne les lecteurs au cœur de la forêt, mêlant suspense et magnifiques descriptions de la nature pour un roman qui touche droit au cœur.
Avis : J’ai reçu ce livre en service presse de la part de la maison d’édition que je remercie à nouveau ! J’étais intriguée par Celui qui a vu la forêt grandir pour plusieurs raisons : je n’ai pas lu beaucoup d’auteurs suédois, voire d’auteurs scandinaves ; ce roman est présenté comme le meilleur de l’année 2022 en Suède ; à la lecture du résumé, j’ai tout de suite été intéressée par la double temporalité et le fait de suivre trois femmes à deux époques différentes. Il était aussi fait mention de « magnifiques descriptions de la nature« , ce qui a achevé de me convaincre.
Effectivement, les passages concernant la forêt étaient sublimes et, ce, dès l’incipit qui m’a immédiatement happée. L’atmosphère est déjà posée, l’écriture est déjà très belle : j’ai eu des frissons et j’ai aimé cette façon un peu particulière d’écrire SPOILER 1 On sent les personnages, et ce, notamment dans les chapitres centrés sur Unni, en réelle communion, voire en symbiose, avec la nature. C’est nécessaire pour leur survie – un aspect que je traiterai un peu plus bas – ; cela rend la nature proprement vivante, comme consciente. Les arbres respirent, soupirent, asssistent aux scènes décrites et ont une opinion sur ce qui se déroule. Je crois n’avoir jamais lu un roman dans lequel la nature était à ce point personnifiée sans, pour autant, virer vers le fantastique ou la Fantasy. C’était beau à lire, tout en simplicité, à la fois cosy et terrible. La beauté se trouve même au sein du cycle des saisons, et ce, malgré les difficultés que rencontrent les personnages, le froid intense de l’hiver ou la sécheresse de l’été. L’amour pour la nature – et pour la vie – est absolu, elle n’est jamais maudite malgré tout ce qui arrive. L’idée émerge également que, lorsque la nature donne, il faut tout prendre, ne rien laisser, ne rien renier ; prendre et être heureux d’être en vie.
Cela mène donc à l’idée de la survie, notamment à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle avec Unni. Il est terrible de lire la faim des personnages, terrifiant même : il est clair qu’ils peuvent mourir à tout instant, qu’ils se vident peu à peu de leurs forces, de leur énergie et qu’ils sont en danger de mort. Cela donne des passages difficiles à lire, aussi bien parce que les enfants souffrent de la pauvreté extrême de leurs parents, mais aussi parce que ces derniers se trouvent clairement dans une impasse. Ces moments sont vivaces, le lecteur les vit avec les personnages et se trouve à leur table, impuissant.
C’est d’autant plus difficile à lire que la famille, dans ce roman, est importante, essentielle même : elle est le centre du livre et de la vie des personnages, leur fil rouge. Dès le départ d’Unni de Norvège, le but est de rejoindre un pays où la jeune femme, avec son compagnon Armod, pourra vivre en paix, libre, et construire, peu à peu, une famille, faire en sorte d’obtenir, pour son fils, Roar, et ses enfants à venir, une vie meilleure. Elle régit tout : c’est la raison pour laquelle les personnages se battent et veulent survivre. C’est aussi ce avec quoi Kåra, l’autre héroïne du roman, a un problème – mais je reviendrai là-dessus en partie spoiler.
En effet, comme mentionné précédemment, le lecteur va ici suivre trois femmes, dont deux sont narratrices : Unni à partir de 1897 ; Kåra à partir de 1973, face à Bricken – sachant que son récit est couturé de flashbacks qui nous permettent de comprendre la sitauton dans laquelle se trouvent les deux veuves. J’ai trouvé ces héroïnes – Unni et Kåra – à l’opposé l’une de l’autre, même si Kåra, qui écoute l’histoire d’Unni racontée par Roar et Bricken, va s’identifier à elle. Elles n’ont, pour moi, rien à voir. Unni est une femme forte et libre, qui veut vivre, qui fera tout pour survivre, déterminée, même dans les moments les plus sombres, à porter ses enfants jusqu’au bout. Kåra, elle, est un peu perdue ; elle aussi veut vivre, mais elle se trompe de voie et finit dans une impasse dont elle ne parvient pas à s’extirper. Elle est, pour moi, comme Unni aurait pu être si elle avait fini à Tronka. La liberté de l’une fait miroir à l’enfermement de l’autre. SPOILER 2 Si Unni se sent bien dans la forêt, dans sa maison, malgré tout ce qui lui arrive, c’est parce qu’elle est avec sa famille, son fil rouge ; ce n’est pas du tout ce à quoi aspire Kåra qui n’est visiblement pas faite pour cette vie et cette famille. Unni représente, pour moi, la protection constante de ses enfants et un amour profond pour Armod, son mari ; Kåra, pas du tout. SPOILER 3 Point commun tout de même entre ces deux femmes : elles s’adressent toutes deux au même homme, Roar, le fils d’Unni et le beau-père de Kåra. Il est, lui aussi, le fil conducteur du roman et le lecteur, grâce à elle, va profondément s’attacher à lui SPOILER 4. Les enfants d’Unni sont également, globalement, tous très attachants : nous les voyons naître et souffrir, ce qui donne des passages particulièrement pénibles à lire. SPOILER 5 En revanche, j’ai trouvé Kåra assez peu sympathique. Certes, elle souffre clairement d’une maladie mentale SPOILER 6 et elle éprouve des difficultés à se conformer à ce que l’on attend d’elle. On brandit la menace de l’asile pour la contenir, ce qui ne fait que la ronger de l’intérieur. Mais elle ne semble jamais vraiment tenter d’entrer dans la famille. Dag m’a semblé un personnage poisseux, impossible à apprécier ; mais Bricken tente, à plusieurs reprises, de l’apprivoiser sans succès. SPOILER 7
Vient enfin la partie avec laquelle j’ai eu beaucoup de mal – mais c’était évident – : la violence extrême de ce roman et son côté glauque. En effet, alors qu’elle n’était que suggérée au début du roman avec les avortements réalisés par Unni et la menace de Tronka, la violence surgit avec fracas dans l’histoire et comme c’était affreux … Elle est à la fois sociale, sexiste et sexuelle et, encore une fois, si elle n’est que mentionnée au début, elle devient plus « voyante » à un moment du roman. L’autrice ne nous donne, en réalité, pas de précisions ou de détails, mais les mots choisis et les passages sont suffisamment acérés pour heurter le lecteur. Ils surviennent également à un moment du récit où il s’est déjà profondément attaché aux personnages, ce qui rend la lecture d’autant plus douloureuse pour lui. SPOILER 8 La pauvreté des personnages les pousse également à commettre des actes qu’ils regrettent SPOILER 9 Cela participe de la tristesse pesante que l’on peut ressentir pendant la lecture.
Enfin, la fin. Elle est étonnamment surprenante : je ne m’attendais pas du tout à ça ! On y découvre la raison du départ d’Unni. SPOILER 10
Dernière remarque avant de clore : je salue le travail de la traductrice, Marina Heide, qui a fait un boulot remarquable. On ne sent qu’extrêmement rarement le passage entre les deux langues, peut-être seulement aux endroits où le français ne peut pas tout à fait rendre la poésie et la finesse des descriptions de la nature en suédois.
Donc, un excellent roman, difficile à lire par la violence qu’il dépeint, mais également très beau et touchant par l’importance de la nature et de la famille dans la vie des personnages. Je suis heureuse d’avoir eu l’opportunité de pouvoir le découvrir !
SPOILER 1 que l’on retrouve, par la suite, chez Kåra. Je n’ai pas tout de suite compris qu’elle était, en réalité, responsable de la mort du personnage, mais cela devient très clair à la fin du roman, puisqu’on la voit agir. C’est assez étrange, d’ailleurs, que j’aie été aussi touchée par l’écriture au début, puisque ce sont les chapitres centrés sur Unni et, globalement, sa « timeline » que j’ai préféré, plutôt que celle de Kåra qui m’a nettement moins plu – sans doute parce qu’en fin de compte, j’ai eu beaucoup de mal avec ce personnage.
SPOILER 2 Elles se rejoignent seulement dans leur détermination à survivre, même si j’ai trouvé les moyens de Kåra et ce qu’elle fait douteux. Unni n’aurait jamais fait de mal à sa famille ; Kåra va jusqu’à causer la mort de son mari et risquer la vie de son fils.
SPOILER 3 Comme écrit dans le spoiler 2, Kåra cause la mort de son mari, met en danger Bo, mais causera aussi la mort de Roar et celle de Bricken, à laquelle le lecteur n’assiste pas mais qui est méticuleusement préparée par Kåra. Elle a, entre temps, également tué le chat – ou l’a tellement amoché que Roar est dans l’obligation de l’achever. A l’inverse, Unni, elle, souffre de devoir mettre à mort la corneille qu’elle avait fini par considérer comme son ami, regrette de devoir tuer des oiseaux pour nourrir ses enfants, respecte la vie au point de remercier la forêt de lui offrir ses bienfaits.
SPOILER 4 d’où, également, l’impossibilité de pardonner à Kåra. Certes, Roar lui avait demandé son aide, mais elle aurait pu faire autrement, plus paisiblement. J’ai eu l’impression qu’elle salissait tout parce qu’elle ne savait pas comment toucher les gens et les choses, comment aimer et vivre.
SPOILER 5 Le lecteur peut-il jamais se remettre de l’abandon de Brita Elise et de la mort de Tone Amalie ? C’est tellement dur que c’est trop : je n’ai pas réussi à pleurer, juste à ressentir une profonde pitié et une grande tristesse pour ces personnages perdus.
SPOILER 6 – la dépression, probablement, parce qu’elle est forcée d’entrer dans un moule qui ne lui convient pas du tout et qu’elle a conscience de passer complètement à côté de sa vie –
SPOILER 7 Kåra se rend compte, à la fin du roman, des efforts de Bricken et qu’elle aurait pu s’en faire une alliée, qu’elle n’était pas telle qu’elle se l’imaginait – peut-être souffre-t-elle aussi d’un délire de persécution ? de paranoïa ? Elle fait fausse route depuis le début en s’imaginant l’idylle de Roar et Bricken, en voyant leur bonheur qu’elle imagine conjugal, ce qui la fait paraître, en fin de compte, pathétique. Elle s’est inventée une histoire qui n’est que feu de paille et qui s’embrase dans une révélation terrible à la fin du roman.
SPOILER 8 Les violences sociales et sexuelles sont liées dans le fait que c’est le paysan propriétaire de la maison où loge Unni qui va décider, en guise de remboursement de sa dette après la mort d’Armod, de la violer régulièrement pendant des années. La nausée n’est pas loin lors de ces scènes. En effet, tout est glauque : le passage en lui-même ; l’arrivée du paysan et sa description à la fois sonore, olfactive, visuelle ; la perte de l’éclat de vie chez Unni mais aussi chez ses enfants qui perdent le sourire ; la violence du paysan sur les enfants, que ce soit lorsqu’il repousse trop violemment Brita Elise ou quand il bat Roar ; la mort de Tone Amalie pendant cette période ; l’absence de compassion, de sympathie, d’humanité de cet homme qui insulte, rabaisse, frappe et souille. Si ces passages n’étaient pas arrivés aussi tard, j’aurais peut-être abandonné le roman en cours de route tant ils sont sales.
SPOILER 9 comme le vol du garde-manger d’une famille riche ou le meurtre d’animaux « amis » pour Unni.
SPOILER 10 Quel coup sur la tête d’apprendre que Bricken est, en réalité, Brita Elise retrouvée ! Et donc que Roar a épousé sa petite sœur perdue ! Le soulagement est teinté d’horreur face à cette situation invraisemblable. C’est aussi très touchant, par la suite, de comprendre leur véritable relation, biaisée par le point de vue de Kåra : le frère et la sœur se sont rendu compte de leur parenté et ont fini par vivre fraternellement tout en éprouvant un amour véritable l’un pour l’autre, amour que mésinterprète Kåra. Suit ensuite la vérité sur la mort de Roar, puis celle à venir de Bricken. Cela permet à Kåra de se rendre compte qu’elle peut, elle aussi, partir, comme Unni – dernière ressemblance avec la mère des hommes qu’elle tue ! – et décider, enfin, de vivre sa vie comme elle l’entend. Cette libération vient après de longues années à souffrir et à faire souffrir autour d’elle. Le pire est sans doute qu’elle a conscience de ce qu’elle fait, puisqu’elle pense qu’elle « vole » Roar à Bricken et qu’elle trouve l’homme qu’il lui faut dans le père de celui qu’elle a épousé. Elle aimerait faire du mal à Bricken et tout lui dire ; seule sa retenue lui permet de garder son honneur en fin de compte, puisqu’elle ne dira rien à la veuve qui va s’éteindre à son tour.