Redbluemoon

I found myself in Wonderland.

Fantasy & Moyen Âge édité par Anne Besson et Victor Battagion

Posté : 17 juin, 2023 @ 2:07 dans Avis littéraires, Coup de cœur | Pas de commentaires »

Genre : Fantasy, Essai, Historique Fantasy & Moyen Âge

Editeur : ActuSF (Les 3 Souhaits)

Année de sortie : 2023

Nombre de pages : 491

Synopsis : Le Moyen Âge merveilleux du Seigneur des Anneaux, du Sorceleur ou de L’Assassin royal vous fait rêver ? Sorcières, magiciens et nains peuplent votre imagination depuis toujours ? Chevaliers, vikings et mercenaires vous passionnent ? Ce beau-livre est fait pour vous. Toutes ces histoires, des contes de fées à Game of Thrones, exercent sur nous un extraordinaire pouvoir de fascination. Prenez garde, pourtant. Explorer les arcanes de la fantasy d’inspiration médiévale pourrait bien changer à tout jamais votre destinée.
Derrière ces récits inoubliables se déploient des œuvres littéraires et artistiques multiples – de la légende du roi Arthur aux contes venus du monde entier –, et leurs influences historiques sont légion – invasions « barbares », art de la guerre dans le Moyen Âge européen et le Japon féodal, châteaux forts et femmes de pouvoir. Mêlées, sublimées, ces sources abreuvent des œuvres devenues incontournables.

 

Avis : Dès l’annonce de la sortie de ce livre, j’étais dans les starting blocks pour participer à la campagne de financement : quoi de mieux qu’une collection d’essais sur les liens entre Moyen Âge et Fantasy ?

J’ai adoré cette œuvre – j’ai presque envie d’ajouter « évidemment » ! Les sujets abordés sont diversifiés : on peut évoquer le condotiere, l’arc, l’utilisation des contes par exemple. Les auteurs écrivent à propos de différentes régions du monde : le Japon féodal et le continent africain, entre autres, se voient inclus dans cette anthologie. Les médias mentionnés sont eux aussi variés : la littérature, le cinéma, mais également les jeux (vidéo, de société, de rôle), les séries, les illustrations. J’ai vraiment eu l’impression d’une envie de tout dire, tout en étant conscient que ce n’était pas possible tant le sujet est vaste. A travers tous ces supports, le lien entre Fantasy et Moyen Âge est expliqué de manière claire à travers différents points de vue, différentes visions de la Fantasy et de ce que lui apporte la période médiévale, mais aussi ce que le genre apporte à l’Histoire. Le lecteur comprend qu’il existe une sorte de cercle (plus ou moins) vertueux d’influences entre littérature et histoire, disciplines qui s’enrichissent l’une l’autre.

De plus, ces articles sont rédigés par des spécialistes : non seulement leur niveau d’expertise est tel que l’on apprend des éléments nouveaux sur le sujet qu’ils abordent, mais en plus, ces auteurs donnent envie, pour la majeure partie d’entre eux, de creuser et de lire d’autres livres ayant un rapport avec les informations données. Cela occasionne, évidemment, une explosion de PAL et de wish-list, davantage centrée tout de même sur la fiction grâce aux nombreux exemples utilisés pour illustrer leur propos. Je précise que certaines œuvres sont spoilées, ce qui est dommage mais inévitable quand on étudie et analyse des ouvrages littéraires. Pour autant, cela ne gâche pas du tout le plaisir de lecture !

Je m’arrête enfin sur l‘esthétique du livre. Extérieurement, il est très beau, mais je vous recommande de le lire chez vous uniquement, parce que les manipulations l’abîment au fil du temps. A l’intérieur, les illustrations en couleurs qui émaillent le texte sont un délice : cela ajoute une véritable richesse à cette édition qui nous permet de voir ce dont elle traite au lieu de seulement l’évoquer. A la rigueur, le seul manque de l’ouvrage serait une bibliographie récapitulative à la fin, mais tant d’œuvres sont citées que cela devait être impossible !

 

Donc, un petit bijou qui permet d’explorer de manière assez complète les liens entre Fantasy et Moyen Âge donnant, par la même occasion, très envie de se plonger dans les œuvres analysées !

Clodia ou le scandale de la Bonne Déesse de Sophie Malick-Prunier

Posté : 8 mai, 2023 @ 1:31 dans Avis littéraires, Coup de cœur | Pas de commentaires »

Genre : HistoriqueClodia ou le scandale de la Bonne Déesse

Editeur : Robert Laffont

Année de sortie : 2023

Nombre de pages : 332

Synopsis : Pense comme un homme !

« Clodia sourit, envahie par une impression de soulagement comme elle n’en avait plus ressenti depuis longtemps. Même si elle devait le payer, elle voulait vivre en femme libre. »

Clodia Metelli est une héritière. Figure sulfureuse de la jeunesse dorée de Rome au Ier siècle avant notre ère, connue pour son exceptionnelle beauté, elle est issue de la puissante famille patricienne des Claudii, qui occupe, de génération en génération, les plus hautes fonctions.

À la suite d’un retentissant scandale politique et religieux qui compromet son frère Clodius, elle se trouve impliquée dans les arcanes des rivalités entre César, Cicéron et Pompée. Tandis que sa propre famille se déchire et que la République agonise, minée par la lutte entre le clan conservateur du Sénat et le parti populaire qu’elle et Clodius ont rallié, Clodia s’émancipe des contraintes de son sexe ; femme libre, elle inspire au jeune poète Catulle ses vers les plus ardents.

En immersion dans les quartiers populaires et les riches demeures de la Rome antique, cette fresque captivante retrace le destin hors du commun de l’une des rares femmes de son temps à avoir laissé son nom dans l’Histoire.

 

Avis : J’ai reçu ce roman en service presse de la part de la maison d’édition. Il faut dire que le résumé est alléchant. C’est une histoire qui se déroule pendant l’Antiquité romaine et dont l’héroïne est une femme noble qui va se retrouver confrontée à une situation politique désastreuse dont sa famille va devoir se sortir : comment ne pas avoir envie de la lire ?!

Je connaissais Clodia de nom, parce qu’elle est associée, dans l’Histoire romaine, à son frère Clodius, surtout connu pour être un débauché. Je ne m’étais jamais intéressée à elle plus que ça ; je n’avais qu’un vague souvenir qu’elle avait été accusée d’inceste et d’être, elle aussi, dépravée. Ceci nous est rappelé dès le prologue où Clodia comparaît pendant son procès face à Cicéron. En effet, le roman s’attache à la réalité historique – dont je ne parlerai pas beaucoup ici pour laisser la surprise aux lecteurs qui ne connaîtraient pas les faits. SPOILER 1

Il retrouve donc des personnages historiques très connus, comme César, Cicéron ou Pompée ; d’autres encore sont mentionnés, comme Sylla ou Marius, préfigurant la crise politique à venir. Ils deviennent vivants grâce aux mots de l’autrice ; c’est comme si l’on marchait aux côtés de Clodia ou de Catulle dans les rues de Rome. En revanche, à part Clodia – et Pompéia -, ils sont pratiquement tous difficiles à apprécier. Les hommes sont d’une misogynie crasse – on nous rappelle, au début du roman, que les femmes sont nommées par rapport à la famille dont elles viennent et que, si plusieurs filles naissent, elles portent des numéros ou le nom de famille de leur mari pour les distinguer -, à part peut-être Catulle, qui reste le personnage masculin le moins agaçant du roman. Il permet notamment d’aborder la poésie latine : des extraits de poèmes en latin et leur traduction se trouvent directement dans la narration, ce qui m’a donné très envie de lire une édition bilingue ! Cela apporte une note de fraîcheur, de finesse dans une atmosphère qui traduit bien la vulgarité des Romains. Que ce soit la corruption des sénateurs ou des magistrats, les fêtes des nobles, l’hypocrisie des hommes et des femmes concernant leur vertu, les graffitis obscènes sur les murs des bâtiments, les prostituées qui se promènent dans les rues ou se trouvent dans les auberges, il flotte une ambiance nauséabonde et lourde, bien traduite par l’impression de suffocation de Clodia quand elle retourne à Rome après un voyage en « province ». SPOILER 2 De plus, en intégrant Catulle à son roman, l’autrice fait de son héroïne la muse du poète, sa Lesbie, une théorie que j’ai adoré découvrir au fil des pages !

A la période romaine, donc, les femmes ne sont pas citoyennes, elles n’ont aucun pouvoir concret quel qu’il soit et doivent obéir à leur père, puis à leur mari. Cela ne veut évidemment pas dire que certaines d’entre elles n’avaient pas un sens politique particulier ; ce roman est, pour moi, une sorte d’hommage à l’intelligence de ces femmes, à leur sens de la stratégie et à leur détermination farouche à défendre les intérêts de leur famille. SPOILER 3 Pour autant, pas de martèlement ou d’anachronismes ici : l’histoire parle d’elle-même et n’a pas besoin de gros sabots pour faire comprendre quoi que ce soit au lecteur. SPOILER 4 Je n’en attendais pas moins d’une autrice docteure en littérature latine et spécialiste d’histoire des institutions politiques de la Rome républicaine. C’est un réel plaisir de lire un roman aussi « proche » de la réalité historique, avec des références précises, des informations glissées dans le corps du texte, un dossier à la fin qui permet d’en apprendre plus sur les faits et les personnages ainsi qu’une bibliographie si le lecteur veut aller plus loin.

Enfin, j’ai adoré ce livre, mais je n’ai pas pu m’empêcher, après l’avoir terminé, de regretter ne pas avoir plus d’informations sur ces femmes romaines : que devient Pompéia SPOILER 5 ? Comment s’est passé la suite et la fin de la vie de Clodia ? On ne peut qu’imaginer leur vie sans rien en savoir.

Dernière remarque : comme les précédents romans qu’il m’a été donné de recevoir, ici, l’écriture est agréable, fluide et ne comporte pas d’erreurs, ce qui est un vrai plaisir. Certaines phrases, même, m’ont donné des frissons parce qu’elles sonnaient vraies. La qualité du fond est donc soutenue par la qualité de la forme, ce qui fait de ce roman un coup de cœur !

 

SPOILER 1 Sont repris le scandale de la Bonne Déesse, comme évoqué dès le titre, mais aussi le retour de Pompée après sa victoire contre Mithridate, l’ascension de César, l’opposition entre les optimates et les populares et, par la même occasion, la crise que va traverser la République romaine et dont elle ne se relèvera pas. 

SPOILER 2 J’ai apprécié de découvrir, une Clodia, une matrone romaine respectable, très différente de celle qui est présentée dans les œuvres où son nom est mentionné. Cela ne fait pas d’elle une femme froide, mais une Romaine passionnée qui a des valeurs. Elle semble être l’une des seules, parmi ses amies, à n’avoir aucune relation adultère au début du roman, consciente de la réputation de sa famille et de la façon dont on pourrait utiliser ces relations pour lui nuire.

SPOILER 3 J’ai apprécié, au moment où Clodia va voir Crassus pour lui demander son aide, qu’elle refuse de coucher avec lui, lui rappelant par-là qu’elle signe un marché politique avec lui. En effet, les romans historiques – et pas que – prennent souvent ce détour facile : la femme n’aurait rien d’autre à offrir qu’elle-même et donc il serait logique pour elle de passer par une relation sexuelle qu’elle abhorre mais qu’elle accepte pour sceller un quelconque pacte qui aidera ses proches. C’était satisfaisant de la voir faire ce choix et plus original que de la voir céder et consentir au pacte odieux que son frère a conclu dans son dos.

SPOILER 4 Il est clair que, politiquement, Clodia est égale, voire supérieure en certains points, aux hommes de sa famille et aurait une place dans la magistrature si elle n’était pas une femme. Fine stratège, elle évite la ruine et le déshonneur quand son mari, Metellus, préfère manœuvrer contre son beau-frère, Clodius, quitte à entacher la réputation des Claudii. César, Cicéron et Crassus sont gênés d’avoir à traiter avec elle, mais lui reconnaissent un certain sens politique. Pour autant, Clodia vit pendant l’Antiquité romaine : même si elle se montre intelligente et réfléchie, elle ne peut rien espérer obtenir à son époque. Elle ne sera jamais consul, ne participera jamais aux séances du Sénat, ne regardera le procès de son frère que de loin. Elle en est consciente et, lucide, elle choisit de vivre en femme libre en accord avec son temps.

SPOILER 5 une fois que César l’a répudiée

Celui qui a vu la forêt grandir de Lina Nordquist

Posté : 23 avril, 2023 @ 8:09 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

Genre : HistoriqueCelui qui a vu la forêt grandir

Editeur : Buchet Chastel

Année de sortie : 2023 [2021]

Titre en VO : Dit du går, följer jag

Nombre de pages : 447

Synopsis : « Si j’avais su prédire l’avenir, je n’aurais rien fait pour l’arrêter. Le chagrin ne mesure pas le bien et le mal. Le bonheur ne s’encombre pas de la morale. »

1897. Recherchée pour avoir pratiqué des avortements, Unni fuit la Norvège avec son compagnon et son bébé. Après avoir traversé les montagnes, la famille arrive en Suède, dans la province reculée du Hälsingland, et s’installe dans une ferme délabrée, à l’endroit le plus ensoleillé de la forêt. C’est ici qu’ils construiront leur vie, à la merci d’une nature splendide et terrible, qui leur donnera autant qu’elle leur prendra.

1973. Dans la même maison, deux veuves se font face. Entre elles se dressent les secrets d’une famille dont la rudesse et la tendresse épousent celles des arbres qui les encerclent.

Avec cette fresque en clair-obscur d’une famille suédoise isolée de tout, Lina Nordquist entraîne les lecteurs au cœur de la forêt, mêlant suspense et magnifiques descriptions de la nature pour un roman qui touche droit au cœur.

 

Avis : J’ai reçu ce livre en service presse de la part de la maison d’édition que je remercie à nouveau ! J’étais intriguée par Celui qui a vu la forêt grandir pour plusieurs raisons : je n’ai pas lu beaucoup d’auteurs suédois, voire d’auteurs scandinaves ; ce roman est présenté comme le meilleur de l’année 2022 en Suède ; à la lecture du résumé, j’ai tout de suite été intéressée par la double temporalité et le fait de suivre trois femmes à deux époques différentes. Il était aussi fait mention de « magnifiques descriptions de la nature« , ce qui a achevé de me convaincre.

Effectivement, les passages concernant la forêt étaient sublimes et, ce, dès l’incipit qui m’a immédiatement happée. L’atmosphère est déjà posée, l’écriture est déjà très belle : j’ai eu des frissons et j’ai aimé cette façon un peu particulière d’écrire SPOILER 1 On sent les personnages, et ce, notamment dans les chapitres centrés sur Unni, en réelle communion, voire en symbiose, avec la nature. C’est nécessaire pour leur survie – un aspect que je traiterai un peu plus bas – ; cela rend la nature proprement vivante, comme consciente. Les arbres respirent, soupirent, asssistent aux scènes décrites et ont une opinion sur ce qui se déroule. Je crois n’avoir jamais lu un roman dans lequel la nature était à ce point personnifiée sans, pour autant, virer vers le fantastique ou la Fantasy. C’était beau à lire, tout en simplicité, à la fois cosy et terrible. La beauté se trouve même au sein du cycle des saisons, et ce, malgré les difficultés que rencontrent les personnages, le froid intense de l’hiver ou la sécheresse de l’été. L’amour pour la nature – et pour la vie – est absolu, elle n’est jamais maudite malgré tout ce qui arrive. L’idée émerge également que, lorsque la nature donne, il faut tout prendre, ne rien laisser, ne rien renier ; prendre et être heureux d’être en vie.

Cela mène donc à l’idée de la survie, notamment à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle avec Unni. Il est terrible de lire la faim des personnages, terrifiant même : il est clair qu’ils peuvent mourir à tout instant, qu’ils se vident peu à peu de leurs forces, de leur énergie et qu’ils sont en danger de mort. Cela donne des passages difficiles à lire, aussi bien parce que les enfants souffrent de la pauvreté extrême de leurs parents, mais aussi parce que ces derniers se trouvent clairement dans une impasse. Ces moments sont vivaces, le lecteur les vit avec les personnages et se trouve à leur table, impuissant.

C’est d’autant plus difficile à lire que la famille, dans ce roman, est importante, essentielle même : elle est le centre du livre et de la vie des personnages, leur fil rouge. Dès le départ d’Unni de Norvège, le but est de rejoindre un pays où la jeune femme, avec son compagnon Armod, pourra vivre en paix, libre, et construire, peu à peu, une famille, faire en sorte d’obtenir, pour son fils, Roar, et ses enfants à venir, une vie meilleure. Elle régit tout : c’est la raison pour laquelle les personnages se battent et veulent survivre. C’est aussi ce avec quoi Kåra, l’autre héroïne du roman, a un problème – mais je reviendrai là-dessus en partie spoiler.

En effet, comme mentionné précédemment, le lecteur va ici suivre trois femmes, dont deux sont narratrices : Unni à partir de 1897 ; Kåra à partir de 1973, face à Bricken – sachant que son récit est couturé de flashbacks qui nous permettent de comprendre la sitauton dans laquelle se trouvent les deux veuves. J’ai trouvé ces héroïnes – Unni et Kåra – à l’opposé l’une de l’autre, même si Kåra, qui écoute l’histoire d’Unni racontée par Roar et Bricken, va s’identifier à elle. Elles n’ont, pour moi, rien à voir. Unni est une femme forte et libre, qui veut vivre, qui fera tout pour survivre, déterminée, même dans les moments les plus sombres, à porter ses enfants jusqu’au bout. Kåra, elle, est un peu perdue ; elle aussi veut vivre, mais elle se trompe de voie et finit dans une impasse dont elle ne parvient pas à s’extirper. Elle est, pour moi, comme Unni aurait pu être si elle avait fini à Tronka. La liberté de l’une fait miroir à l’enfermement de l’autre. SPOILER 2 Si Unni se sent bien dans la forêt, dans sa maison, malgré tout ce qui lui arrive, c’est parce qu’elle est avec sa famille, son fil rouge ; ce n’est pas du tout ce à quoi aspire Kåra qui n’est visiblement pas faite pour cette vie et cette famille. Unni représente, pour moi, la protection constante de ses enfants et un amour profond pour Armod, son mari ; Kåra, pas du tout. SPOILER 3 Point commun tout de même entre ces deux femmes : elles s’adressent toutes deux au même homme, Roar, le fils d’Unni et le beau-père de Kåra. Il est, lui aussi, le fil conducteur du roman et le lecteur, grâce à elle, va profondément s’attacher à lui SPOILER 4. Les enfants d’Unni sont également, globalement, tous très attachants : nous les voyons naître et souffrir, ce qui donne des passages particulièrement pénibles à lire. SPOILER 5 En revanche, j’ai trouvé Kåra assez peu sympathique. Certes, elle souffre clairement d’une maladie mentale SPOILER 6 et elle éprouve des difficultés à se conformer à ce que l’on attend d’elle. On brandit la menace de l’asile pour la contenir, ce qui ne fait que la ronger de l’intérieur. Mais elle ne semble jamais vraiment tenter d’entrer dans la famille. Dag m’a semblé un personnage poisseux, impossible à apprécier ; mais Bricken tente, à plusieurs reprises, de l’apprivoiser sans succès. SPOILER 7 

Vient enfin la partie avec laquelle j’ai eu beaucoup de mal – mais c’était évident – : la violence extrême de ce roman et son côté glauque. En effet, alors qu’elle n’était que suggérée au début du roman avec les avortements réalisés par Unni et la menace de Tronka, la violence surgit avec fracas dans l’histoire et comme c’était affreux … Elle est à la fois sociale, sexiste et sexuelle et, encore une fois, si elle n’est que mentionnée au début, elle devient plus « voyante » à un moment du roman. L’autrice ne nous donne, en réalité, pas de précisions ou de détails, mais les mots choisis et les passages sont suffisamment acérés pour heurter le lecteur. Ils surviennent également à un moment du récit où il s’est déjà profondément attaché aux personnages, ce qui rend la lecture d’autant plus douloureuse pour lui. SPOILER 8 La pauvreté des personnages les pousse également à commettre des actes qu’ils regrettent SPOILER 9 Cela participe de la tristesse pesante que l’on peut ressentir pendant la lecture.

Enfin, la fin. Elle est étonnamment surprenante : je ne m’attendais pas du tout à ça ! On y découvre la raison du départ d’Unni. SPOILER 10

Dernière remarque avant de clore : je salue le travail de la traductrice, Marina Heide, qui a fait un boulot remarquable. On ne sent qu’extrêmement rarement le passage entre les deux langues, peut-être seulement aux endroits où le français ne peut pas tout à fait rendre la poésie et la finesse des descriptions de la nature en suédois. 

 

Donc, un excellent roman, difficile à lire par la violence qu’il dépeint, mais également très beau et touchant par l’importance de la nature et de la famille dans la vie des personnages. Je suis heureuse d’avoir eu l’opportunité de pouvoir le découvrir !

 

SPOILER 1 que l’on retrouve, par la suite, chez Kåra. Je n’ai pas tout de suite compris qu’elle était, en réalité, responsable de la mort du personnage, mais cela devient très clair à la fin du roman, puisqu’on la voit agir. C’est assez étrange, d’ailleurs, que j’aie été aussi touchée par l’écriture au début, puisque ce sont les chapitres centrés sur Unni et, globalement, sa « timeline » que j’ai préféré, plutôt que celle de Kåra qui m’a nettement moins plu – sans doute parce qu’en fin de compte, j’ai eu beaucoup de mal avec ce personnage.

SPOILER 2 Elles se rejoignent seulement dans leur détermination à survivre, même si j’ai trouvé les moyens de Kåra et ce qu’elle fait douteux. Unni n’aurait jamais fait de mal à sa famille ; Kåra va jusqu’à causer la mort de son mari et risquer la vie de son fils.

SPOILER 3 Comme écrit dans le spoiler 2, Kåra cause la mort de son mari, met en danger Bo, mais causera aussi la mort de Roar et celle de Bricken, à laquelle le lecteur n’assiste pas mais qui est méticuleusement préparée par Kåra. Elle a, entre temps, également tué le chat – ou l’a tellement amoché que Roar est dans l’obligation de l’achever. A l’inverse, Unni, elle, souffre de devoir mettre à mort la corneille qu’elle avait fini par considérer comme son ami, regrette de devoir tuer des oiseaux pour nourrir ses enfants, respecte la vie au point de remercier la forêt de lui offrir ses bienfaits.

SPOILER 4 d’où, également, l’impossibilité de pardonner à Kåra. Certes, Roar lui avait demandé son aide, mais elle aurait pu faire autrement, plus paisiblement. J’ai eu l’impression qu’elle salissait tout parce qu’elle ne savait pas comment toucher les gens et les choses, comment aimer et vivre.

SPOILER 5 Le lecteur peut-il jamais se remettre de l’abandon de Brita Elise et de la mort de Tone Amalie ? C’est tellement dur que c’est trop : je n’ai pas réussi à pleurer, juste à ressentir une profonde pitié et une grande tristesse pour ces personnages perdus.

SPOILER 6 – la dépression, probablement, parce qu’elle est forcée d’entrer dans un moule qui ne lui convient pas du tout et qu’elle a conscience de passer complètement à côté de sa vie –

SPOILER 7 Kåra se rend compte, à la fin du roman, des efforts de Bricken et qu’elle aurait pu s’en faire une alliée, qu’elle n’était pas telle qu’elle se l’imaginait – peut-être souffre-t-elle aussi d’un délire de persécution ? de paranoïa ? Elle fait fausse route depuis le début en s’imaginant l’idylle de Roar et Bricken, en voyant leur bonheur qu’elle imagine conjugal, ce qui la fait paraître, en fin de compte, pathétique. Elle s’est inventée une histoire qui n’est que feu de paille et qui s’embrase dans une révélation terrible à la fin du roman.

SPOILER 8 Les violences sociales et sexuelles sont liées dans le fait que c’est le paysan propriétaire de la maison où loge Unni qui va décider, en guise de remboursement de sa dette après la mort d’Armod, de la violer régulièrement pendant des années. La nausée n’est pas loin lors de ces scènes. En effet, tout est glauque : le passage en lui-même ; l’arrivée du paysan et sa description à la fois sonore, olfactive, visuelle ; la perte de l’éclat de vie chez Unni mais aussi chez ses enfants qui perdent le sourire ; la violence du paysan sur les enfants, que ce soit lorsqu’il repousse trop violemment Brita Elise ou quand il bat Roar ; la mort de Tone Amalie pendant cette période ; l’absence de compassion, de sympathie, d’humanité de cet homme qui insulte, rabaisse, frappe et souille. Si ces passages n’étaient pas arrivés aussi tard, j’aurais peut-être abandonné le roman en cours de route tant ils sont sales.

SPOILER 9 comme le vol du garde-manger d’une famille riche ou le meurtre d’animaux « amis » pour Unni.

SPOILER 10 Quel coup sur la tête d’apprendre que Bricken est, en réalité, Brita Elise retrouvée ! Et donc que Roar a épousé sa petite sœur perdue ! Le soulagement est teinté d’horreur face à cette situation invraisemblable. C’est aussi très touchant, par la suite, de comprendre leur véritable relation, biaisée par le point de vue de Kåra : le frère et la sœur se sont rendu compte de leur parenté et ont fini par vivre fraternellement tout en éprouvant un amour véritable l’un pour l’autre, amour que mésinterprète Kåra. Suit ensuite la vérité sur la mort de Roar, puis celle à venir de Bricken. Cela permet à Kåra de se rendre compte qu’elle peut, elle aussi, partir, comme Unni – dernière ressemblance avec la mère des hommes qu’elle tue ! – et décider, enfin, de vivre sa vie comme elle l’entend. Cette libération vient après de longues années à souffrir et à faire souffrir autour d’elle. Le pire est sans doute qu’elle a conscience de ce qu’elle fait, puisqu’elle pense qu’elle « vole » Roar à Bricken et qu’elle trouve l’homme qu’il lui faut dans le père de celui qu’elle a épousé. Elle aimerait faire du mal à Bricken et tout lui dire ; seule sa retenue lui permet de garder son honneur en fin de compte, puisqu’elle ne dira rien à la veuve qui va s’éteindre à son tour. 

Mes nuits avec Emma B. de Rafaela Da Fonseca

Posté : 14 avril, 2023 @ 7:38 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

Genre : Contemporaine, HistoriqueMes Nuits avec Emma B.

Editeur : Les Presses Littéraires

Année de sortie : 2022

Nombre de pages : 127

Synopsis : Mars 2020, premier confinement : Leonor relit ses classiques et s’assoupit au milieu de Madame Bovary. Elle se réveille en 1843, sur la place de Yonville-l’Abbaye où sa cousine Emma est venue l’accueillir. Voici Leonor convertie malgré elle en voyageuse littéraire et temporelle, mais elle ne se fait pas longtemps prier pour intégrer la team « Emma B. ».
De Charles à Homais, en passant par Belle-Maman, Rodolphe et Binet, elle fait la connaissance de tous ceux que la Bovary aurait mieux fait de laisser patienter un peu plus longtemps sur le banc de touche.
Vous aussi, rejoignez l’odyssée ! Laissez Leonor vous raconter sa rencontre abracadabrante – mais aussi miraculeuse – avec son personnage romanesque préféré, dans un choc des cultures qui lui rappelle le Portugal de son enfance et lui fait redécouvrir une héroïne plus attachante que jamais.

 

Avis : Ce livre m’a été offert par ma sœur et a été écrit par ma professeure de français de Seconde : j’avais donc vraiment hâte de le lire !

Le roman débute pendant la période du premier confinement, en mars 2020, un moment qui a été difficile pour beaucoup et qui pousse donc notre héroïne, Leonor, à se plonger, littéralement, dans la littérature et, notamment, dans Madame Bovary. Grand classique de la littérature française, c’est un roman dans lequel l’auteur, très ironique, nous raconte la vie d’une femme insatisfaite qui court après des illusions. Par une manœuvre à la fois fantasque et étrangement très rafraîchissanteMes nuits avec Emma B. passe du XXIe siècle où chacun est enfermé chez soi à ruminer au XIXe siècle, à la fois romancé et vraisemblable, auprès d’une Emma fictive rendue réelle. En effet, jamais Emma n’a été aussi attachante que dans ce roman. Ici, elle prend vie alors même que le lecteur prend pitié d’elle, davantage encore que dans le roman de Flaubert. Elle devient une femme que l’on sait en sursis, que personne ne peut sauver. Cela teinte légèrement d’amertume la relation que Leonor va nouer avec elle ; quoi qu’elle fasse ou qu’elle lui dise, elle sait Emma perdue. Le lecteur retrouve également d’autres personnages du roman d’origine, comme Homais ou Rodolphe, plus détestables encore, ou Charles, d’autant plus digne de pitié que la narratrice constate, de visu, sa médiocrité et son « inadéquation » à ce qu’attendait Emma.

Ainsi donc, Leonor, femme du XXIe siècle, se retrouve au XIXe. Cela donne des situations à la fois drôles et déroutantes. En effet, ce n’est pas, ici, le XIXe rêvé, ce n’est plus une époque historique idéalisée, mais la réalité brute où le confort auquel nous sommes habitués a disparu. Adieu douche, toilettes et transports rapides et efficaces, bienvenue parfum, baquet d’eau, chaise percée et long voyage pénible et éreintant ! Evidemment, d’autres côtés plus agréables de l’époque émergent, comme l’appréciation du temps qui passe et de la contemplation, l’absence de connexion constante, l’échange de lettres, la nécessité de parler aux personnes qui se trouvent autour de soi, de créer des liens, et donc la relation naissante de Leonor et Emma. J’ai trouvé cette amitié à la fois touchante et décalée. SPOILER 1 J’ai également trouvé palpable la nostalgie de la narratrice pour son époque – une sorte de mal du pays doublé d’un mal du siècle – mais aussi pour son passé, puisqu’elle évoque des souvenirs qui remontent au fil de son séjour chez Emma, souvenirs souvent liés au Portugal, un pays que je ne connais pas du tout.

Un élément m’a surprise : les remarques ou façons de parler vulgaires qui peuvent émerger parfois. Cela aurait pu me gêner, mais ça n’a, étrangement, pas été le cas ici. La première fois que c’est arrivé, j’ai éclaté de rire tant je ne m’y attendais pas. C’est probablement parce que, le reste du temps, le livre est bien écrit – l’autrice manie la langue française avec dextérité. Le roman est aussi parcouru de régionalismes bienvenus – étant donné qu’ils viennent de ma région ! – ou de mots en portugais, étant donné les origines de la narratrice et de l’autrice. Cela donne un mélange qui fonctionne bien, une sorte de melting pot d’influences qui se marient au lieu de se combattre.

J’ai trouvé la fin plutôt belle, même si j’aurais aimé SPOILER 2 C’est donc une fin plutôt ouverte, autant le savoir !

 

Donc, un bon roman, léger et drôle, que j’ai apprécié, qui a rendu Emma plus touchante que jamais et qui donne envie de rencontrer nos héros fictifs !

 

SPOILER 1 Je me demandais si Leonor oserait avouer à Emma qu’elle ne fait pas partie de ce siècle et que la jeune femme est une créature de fiction. J’ai aimé l’idée d’une Madame Bovary fascinée par le XXIe siècle et presque en adéquation avec lui. Cela m’a donné envie de la voir évoluer de nos jours : que serait-elle devenue alors ? Le roman aurait-il mieux fini ? Aurait-elle trouvé satisfaction ou se serait-elle perdue encore plus vite ? Il faut dire que notre époque n’est pas aussi élégante que le siècle d’Emma : cela l’aurait-il sauvée ?

SPOILER 2 savoir si Leonor retourne vraiment dans son époque ! En effet, il est un peu troublant qu’à la fin de l’œuvre, l’héroïne reste suspendue entre deux époques. C’est au lecteur de choisir de l’imaginer revenue au XXIe siècle, puisque que l’autrice évoque ce retour à travers sa narratrice.

Chronique croisée – Sorcières de Mona Chollet et Sorcières ! de Julie Proust Tanguy

Posté : 11 janvier, 2023 @ 7:24 dans Avis littéraires, Chroniques croisées | Pas de commentaires »

Sorcières (Chollet)Genre : Essai

Editeur : Zones

Année de sortie : 2018

Nombre de pages : 233

Synopsis : Tremblez, les sorcières reviennent ! disait un slogan féministe des années 1970. Image repoussoir, représentation misogyne héritée des procès et des bûchers des grandes chasses de la Renaissance, la sorcière peut pourtant, affirme Mona Chollet, servir pour les femmes d’aujourd’hui de figure d’une puissance positive, affranchie de toutes les dominations.
Davantage encore que leurs aînées des années 1970, les féministes actuelles semblent hantées par cette figure de la sorcière. Elle est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable. Mais qui étaient au juste celles qui, dans l’Europe de la Renaissance, ont été accusées de sorcellerie ?

Ce livre explore trois archétypes de la chasse aux sorcières et examine ce qu’il en reste aujourd’hui, dans nos préjugés et nos représentations : la femme indépendante – les veuves et les célibataires furent particulièrement visées ; la femme sans enfant – l’époque des chasses a marqué la fin de la tolérance pour celles qui prétendaient contrôler leur fécondité ; et la femme âgée – devenue, et restée depuis, un objet d’horreur.

Mais il y est aussi question de la vision du monde que la traque des sorcières a servi à promouvoir, du rapport guerrier qui s’est développé alors tant à l’égard des femmes que de la nature : une double malédiction qui reste à lever.

 

Sorcières ! Genre : Essai, Historique

Editeur : Les Moutons électriques

Année de sortie : 2016

Nombre de pages : 248

Synopsis : Nécromanciennes redoutables, guérisseuses ignorées, doubles obscurs des fées, femmes fatales livrées au bûcher… Rejoignez-les dans ce grimoire moderne qui vous révèlera les lointaines origines et l’étrange destinée de vos sorcières bien-aimées !

Fascinée par la figure de la sorcière, j’avais très envie d’en apprendre plus sur elle. Quel meilleur endroit que les livres ? J’ai donc lu à la suite Sorcières : la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet et Sorcières ! le sombre grimoire du féminin de Julie Proust Tanguy.

Je m’attendais, pour les deux, à une analyse historique et sociologique de cette « créature », notamment pour Mona Chollet ; pour Julie Proust Tanguy, je penchais plus pour une évolution culturelle de la figure. Après avoir fini le premier, je me suis dit que le second pouvait le compléter.

 

Effectivement, ces deux essais m’ont paru complémentaires.

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La Colline des sorcières (Le Martyr de Salem), Thomas Satterwhite Noble

Mona Chollet se penche assez brièvement sur la sorcière « historique » avant de passer à la femme moderne, sa « condition », les injonctions qu’elle rencontre, les préjugés contre lesquels elle doit lutter, les jugements qu’elle s’attire par les choix qu’elle décide de faire. La sorcière est plutôt vue comme la raison pour laquelle les femmes sont dans la situation qu’elles connaissent – ou une des raisons tout du moins – mais aussi comme une insulte qu’on leur a jetée au visage pendant longtemps et qu’elles réutilisent maintenant de manière positive. On ne s’attarde donc pas vraiment sur la sorcière en tant que personnage historique ou de fiction : celle-ci est évoquée dans l’introduction (« Les Héritières »), puis dans la première partie (« Une vie à soi »). Viennent ensuite « Le désir de la stérilité : pas d’enfant, une possibilité », « L’ivresse des cimes : briser l’image de la vieille peau » et « Mettre ce monde cul par-dessus tête : guerre à la nature, guerre aux femmes ». La sorcière, en fin de compte, est vue comme modèle de femme libre, puissante et incontrôlable dans un monde qui n’a fait que tenter de contrôler les femmes, de les faire taire et de leur assigner des rôles qui ne leur donne aucun pouvoir.

Comme l’indique le titre de la deuxième partie, l’autrice écrit un chapitre entier sur l’absence de désir de maternité et, donc, le choix de la non-maternité. Elle donne à cela plusieurs raisons et c’est sans doute le passage qui m’a le plus perturbée. En effet, elle évoque des aspects de la grossesse, de l’accouchement et de la maternité que l’on passe sous silence ou auxquels on ne pense pas quand on pense à avoir un enfant. J’ai eu une impression de justification un brin gênante, même si je reconnais qu’il est important aussi d’affirmer ses propres choix : chacun devrait pouvoir décider de ce qui lui convient sans, justement, avoir à se justifier. C’est un choix tout à fait personnel que je respecte ; je n’avais pas, pour autant, envie de lire une « liste » de raisons pour lesquelles l’autrice avait choisi de ne pas avoir d’enfants. Cela m’a donné une impression désagréable, comme si décider d’avoir un enfant était considéré comme un mauvais choix. Evidemment, ce n’était pas l’intention de l’autrice, mais j’en ai gardé un goût un peu amer. J’ai également été dégoûtée et, même, franchement déprimée par la dernière partie/la fin qui se concentre sur les pratiques criminelles sexuelles dirigées contre les femmes : autant de noms, de mots et de descriptions que j’aurais préféré ne jamais lire – parce que je les connaissais déjà et qu’elles m’avaient déjà secouée.

Globalement, l’essai traite de la misogynie ou de la « condition féminine » sous toutes ses formes : les moqueries physiques ou mentales, le mythe de l’homme puissant face à la femme fragile et incapable de se gouverner, l’impact de la contraception dans la vie d’une femme, le rejet de la femme dans certaines institutions ou cultures et la place qu’elle pouvait occuper autrefois, les chasses aux sorcières (évidemment), le rôle de la religion dans la représentation de la femme. Combien de fois ai-je levé les yeux au ciel en lisant une citation tellement misogyne qu’on en rirait si l’auteur ne pensait pas ce qu’il disait ? Combien de fois ai-je annoté cet essai pour commenter lesdites citations ou tout autre partie du livre qui me hérissait le poil ? Il est toujours aussi énervant de lire qu’en tant que femme, l’on est faible, hystérique, inférieure ou trop passionnée.

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Circe Invidiosa, John William Waterhouse

 

De son côté, Julie Proust Tanguy réalise un portrait de la sorcière de l’Antiquité à nos jours, en montrant son évolution historique et culturelle. Ici, l’on (re)découvre donc les personnages de magiciennes inventées dans la mythologie, comme Circé et Médée, et la conception de la sorcière à cette époque pour glisser vers l’image médiévale de cette « créature ».

Je le précise ici : aucune des deux autrices ne fait l’erreur de situer les chasses aux sorcières au Moyen-Âge ou d’appeler cette période « les temps sombres » (« the Dark Ages »). Certes, les persécutions ont commencé à cette époque, mais leur apogée arrive à la Renaissance, un moment de l’Histoire que l’on n’associe pas du tout aux bûchers ou à la torture.

J’ai préféré cet essai au précédent parce que c’était ce que je recherchais à l’origine : une étude du personnage de la sorcière à travers le temps, voir ses origines, son évolution et son aboutissement au XXIe siècle ! Le lecteur comprend alors que la sorcière est surtout un personnage inventé, loin de la réalité des femmes de toute époque. Elle est celle qui fraie avec le Diable et permet de rappeler que la femme est si faible qu’elle se laisse séduire par le Malin. D’où la parution, en 1486, de ce merveilleux livre qu’est le Malleus Maleficarum, le Marteau des sorcières, qui décrit tout un tas de choses fort sympathiques dont les méthodes de reconnaissance des sorcières, avec différents moyens de torture et tout ce qui va avec. L’autrice évoque donc aussi le rôle de la religion dans la création de cet archétype. Le choix des victimes est également analysé : ce sont souvent de vieilles femmes seules qui vivent à l’écart des communautés et qui ne peuvent pas se défendre contre le système mis en place pour traquer les sorcières. L’autrice traite également le rôle de la médecine, discipline interdite aux femmes mais qu’elles s’appropriaient tout de même, notamment par leur connaissance des plantes. Elle évoque une concurrence entre les deux professions, médecins et guérisseuses, et la victoire des premiers sur les secondes.

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Couverture de Wyrd Sisters de Terry Pratchett

Un autre aspect est abordé dans les deux essais : les sorcières modernes, celles qui pratiquent la magie blanche ou la wicca. Elles évoquent – notamment Julie Proust Tanguy – les cristaux, les sortilèges et autres rituels. J’adore l’idée de la magie, j’ai notamment envie d’en apprendre plus sur les cristaux ou le tarot ; mais c’est là que cela s’arrête pour moi. Je ne parviens pas à adhérer à l’idée de concocter effectivement des potions, de lancer réellement des sorts, de prédire l’avenir dans les cartes. C’est pour moi plus subtil que cela, différent. J’ai donc moins apprécié les parties qui l’évoquaient tout en les lisant avec intérêt.

Pour résumer cet essai, Julie Proust Tanguy rend hommage à la sorcière en nous montrant ses origines, plongées dans les ténèbres, jusqu’à nos jours où, majoritairement, elle combat le mal au lieu de le propager. J’ai adoré ces heures de lecture et j’ai maintenant une belle pile de livres à explorer !

 

Donc, je recommande la lecture de ces essais : ils apportent des informations différentes et sont passionnants à leur manière. La sorcière est aux fondements des deux ouvrages mais elle est exploitée très différemment. Le lecteur apprend, ressent et ne sort pas les mains vides de ces deux voyages !

 

La mort du fossoyeur

La Mort du fossoyeur, Carlos Schwabe

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