Redbluemoon

I found myself in Wonderland.

Seule en sa demeure de Cécile Coulon

Posté : 9 novembre, 2024 @ 8:28 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

Genre : HistoriqueSeule en sa demeure

Editeur : L’Iconoclaste

Année de sortie : 2021

Nombre de pages : 334

Synopsis : « Le domaine Marchère lui apparaîtrait comme un paysage après la brume. Jamais elle n’aurait vu un lieu pareil, jamais elle n’aurait pensé y vivre. »

C’est un mariage arrangé comme il en existait tant au XIXème siècle. À dix-huit ans, Aimée se plie au charme froid d’un riche propriétaire du Jura. Mais très vite, elle se heurte à ses silences et découvre avec effroi que sa première épouse est morte peu de temps après les noces. Tout devient menaçant, les murs hantés, les cris d’oiseaux la nuit, l’emprise d’Henria la servante.
Jusqu’au jour où apparaît Emeline. Le domaine se transforme alors en un théâtre de non dits, de désirs et de secrets enchâssés, « car ici les âmes enterrent leurs fautes sous les feuilles et les branches, dans la terre et les ronces, et cela pour des siècles. »

 

Avis : J’étais intéressée par ce livre parce que, paradoxalement, j’ai lu des chroniques négatives qui m’ont intriguée, notamment des remarques sur l’écriture. Je me suis donc lancée en attendant quelque chose d’assez poétique – et, avec, en tête, l’idée potentielle de le proposer pour un club lecture, donc j’ai pris des notes

L’histoire est celle d’une jeune femme, Aimée, qui va devenir la maîtresse du domaine Marchère. C’est un mariage arrangé, me semble-t-il – en tout cas, ce n’est pas tout à fait un mariage d’amour, puisque les personnages ne se connaissent pas. D’un côté, Candre est un homme mystérieux, qui garde ses secrets et qui se montre doux, tendre avec sa femme. Pour autant, le fait qu’il cache quelque chose laisse entendre qu’il a une part sombre qui nous sera potentiellement révélée par la suite. Au fil de ma lecture, j’ai trouvé que le synopsis en disait beaucoup trop et était un peu mensonger : SPOILER 1

Concernant l’écriture, comme j’en parlais plus haut, j’ai repéré, au cours de ma lecture, quelques belles tournures de phrase, des jeux sur les couleurs surtout, dès le début, avec les vitraux de l’église et la lumière qui entre dans le bâtiment. J’ai aimé certains paragraphes ; j’ai même eu un espoir lors de l’introduction de la maison qui avait l’air personnifiée. Globalement, j’ai apprécié ma lecture, mais je n’y ai pas trouvé l’atmosphère à laquelle je m’attendais : oppressante, étouffante, envahissante pour la jeune femme qui entre dans le domaine Marchère, ambiance qui me semblait promise dans le résumé, justement, qui m’a semblé vendre un tout autre livre. Si certains éléments tentaient de la créer, j’ai trouvé que c’était un peu raté. De plus, certes, l’écriture est belle, mais elle m’a parfois semblé peut-être un peu trop alambiquée, un peu trop chargée ? J’ai aimé certains procédés, mais d’autres m’ont donné l’impression de sentir les ficelles de l’autrice, ce qui m’a un peu gênée.

J’avais deviné certains éléments de l’intrigue, notamment SPOILER 2

Je comprends la fin mais je la trouve tout de même très décevante, comme d’autres éléments que le dénouement amène. SPOILER 3 Il est possible de rapprocher ce livre d’un autre roman gothique : SPOILER 4

 

Donc, je ne sais pas si j’attendais trop de ce roman, mais j’en suis sortie déçue.

 

SPOILER 1 Aimée ne se sent pas menacée par Henria, elle ne se sent pas étouffée par le domaine, même s’il semble insidieusement l’envahir. Elle ne ressent le danger qu’à la fin du livre ; le lecteur qui a lu le synopsis peut donc s’attendre à quelque chose qui vient très tardivement et qui, selon moi, est un spoiler ! La toute dernière phrase du résumé est la dernière phrase du roman !

SPOILER 2 le désir qui allait naître entre Emeline et Aimée et qui n’est pas assez exploité, selon moi ; et l’histoire d’amour entre Aleth et Angelin. C’était assez évident : Emeline, qui est sans doute mon personnage préféré, vient perturber la vie d’une femme qui n’éprouve pas d’amour pour son mari et qui est soudain touchée, à la fois psychiquement et physiquement, par quelqu’un qu’elle admire et qui l’attire. Quant à Angelin, il était palpable que le secret tournait autour de lui. J’avais aussi compris qu’Aleth n’était pas morte ; en revanche, l’implication d’Henria était une surprise – qui aurait été dissipée si j’avais relu le synospis, puisqu’elle m’a semblé insoupçonnable jusqu’à la fin !

SPOILER 3 Je n’ai pas aimé le recyclage de l’image de la vieille sorcière, surtout qu’elle est ici dévoué à un jeune homme qu’elle sert, au détriment de la vie de son propre fils unique. J’ai trouvé la protagoniste assez inutile en fin de compte : elle subit beaucoup mais agit très peu.

SPOILER 4 Rebecca de Daphné du Maurier. Henria peut faire office de Mrs. Danvers, bien qu’elle soit ici dévouée à Candre et non à sa femme précédente. Aimée peut faire penser à la narratrice anonyme mais, ici, elle n’est pas dévouée à son mari ; elle rentre simplement dans le rang au lieu de se sauver – ce qui m’a vraiment énervée comme rarement à la lecture d’un roman. Candre peut, enfin, faire office de Gothic villain, comme Maxim, mais, ici, il n’a pas tué sa femme.

Le Soldat désaccordé de Gilles Marchand

Posté : 14 octobre, 2024 @ 7:35 dans Avis littéraires, Coup de cœur | Pas de commentaires »

Genre : HistoriqueLe Soldat désaccordé

Editeur : Les Forges de Vulcain

Année de sortie : 2022

Nombre de pages : 204

Synopsis : Paris, années 20, un ancien combattant est chargé de retrouver un soldat disparu en 1917. Arpentant les champs de bataille, interrogeant témoins et soldats, il va découvrir, au milieu de mille histoires plus incroyables les unes que les autres, la folle histoire d’amour que le jeune homme a vécu au milieu de l’enfer.
Alors que l’enquête progresse, la France se rapproche d’une nouvelle guerre et notre héros se jette à corps perdu dans cette mission désespérée, devenue sa seule source d’espoir dans un monde qui s’effondre.

 

Avis : Ce livre m’a été conseillé il y a quelques temps par une amie qui l’avait adoré. Intriguée par son enthousiasme, je l’avais noté puis oublié, comme souvent ! Il y a peu, pour un des cours du Master que je suis, il nous a été demandé de choisir un livre sorti récemment pour animer une séance « club lecture ». Ce roman m’est revenu en mémoire, je l’ai lu pour voir s’il y avait suffisamment à dire en terme d’analyse, de style, d’écriture.

Dès le début, le lecteur est interpellé par cette voix narrative qui lui raconte l’histoire de manière assez orale, mais aussi assez vraisemblable. Il est facile d’imaginer ce personnage qui nous parle de la guerre, de sa façon de la voir, de sa façon de vivre avec. Il devient assez vite attachant et le lecteur le suit avec plaisir au fil des pages. Rapidement, j’ai senti que ses enquêtes étaient une manière pour lui de ne pas raconter sa propre histoire tout en la gardant comme fil rouge. SPOILER 1 Maintenant que j’y pense, il me semble que le narrateur n’est jamais nommé, mais je peux me tromper – son anonymat renforcerait mon argument précédent, le fait qu’il ne veuille pas se centrer sur lui, mais sur d’autres, pour continuer à vivre. C’est d’ailleurs aussi « entendable » dans le parasitage régulier de la voix narrative par d’autres personnages qui racontent leur histoire : le narrateur est porte-parole, il s’efface derrière d’autres, alors même que sa voix est assez distinctive. En tout cas, cet ancien soldat enquête sur les disparitions de ses camarades tombés au front. Il mentionne aussi les tentatives de réhabilitation des soldats fusillés pour l’exemple, pour désertion ou mutinerie. J’ai trouvé ce point de vue assez intéressant : ce n’est pas vraiment l’angle d’approche privilégié pour évoquer la Première Guerre mondiale. Ceci dit, je n’ai pas lu tant de livres qui en traitent. Ce thème m’a aussi fait penser à Au revoir là-haut, qui évoque ce sujet de manière un peu différente, mais qui suit les mêmes grandes lignes : les auteurs traitent de l’ingratitude de l’Etat ou des habitants envers ces soldats destinés à n’être que de la chair à canon. A la fin de la guerre, la population veut reprendre une vie normale et oublier la guerre, ce qui est impossible pour les hommes qui ont échappé à la mort pour diverses raisons : stress post-traumatique, handicaps physiques ou mentaux, incapacité à travailler. On retrouve, dès le début du roman, des vétérans qui jouent dans la rue pour obtenir quelques pièces. On est loin du mythe du héros et de la patrie reconnaissante ; on sent, à travers les pages, le besoin d’ériger des monuments pour montrer cette gratitude, mais elle ne se réalise jamais concrètement auprès des survivants. En quelque sorte, ce qui ressort ici, c’est l’hypocrisie de l’époque, le fait de rendre hommage à ceux qui sont morts et de laisser dans la rue ceux qui sont revenus. Une forme de dichotomie est palpable entre le vécu des soldats et la volonté de l’Etat/la population. Sont aussi mentionnés dans l’œuvre des témoignages de la Première Guerre mondiale, comme A l’Ouest, rien de nouveau d’Eric-Maria Remarque ou Le Feu d’Henri Barbusse.

Ainsi, dans Le Soldat désaccordé, le lecteur ne vit pas vraiment la guerre avec le personnage, mais il se voit raconter les grandes étapes du parcours d’Emile Joplain. De Verdun à Vimy en passant par Arras, par exemple, il est amené à vivre, par double procuration, certaines scènes, que ce soit à l’infirmerie ou en plein no man’s land. On retrouve, bien sûr, de nombreuses références historiques, comme, par exemple, des noms d’officiers célèbres – encore une fois, je ne m’y connais pas assez pour les apprécier pleinement, mais j’ai reconnu celui du lieutenant-colonel Driant. De plus, je suis récemment passée voir une exposition sur les blessés de guerre dans laquelle étaient mentionnés, entre autres, le Dakin et les prothèses utilisées sur les amputés ; j’ai retrouvé les deux dans ce roman. L’auteur a fait des recherches approfondies mais, contrairement à ce qu’on aurait pu penser, et heureusement, il ne met à l’intérieur que ce qui est nécessaire sans vouloir faire un tableau complet de la guerre, ce qui aurait peut-être rapproché son roman des Bienveillantes, que je n’ai pas encore lu, mais dont j’entends souvent dire que l’auteur a voulu absolument tout mettre ce qui rend son récit invraisemblable. On se penche donc aussi ici sur le côté médical de la guerre, sur son côté horrible aussi, sans pour autant que l’écrivain nous abreuve de descriptions affreuses et détaillées des ravages de la guerre. Quelque part, il n’en a pas besoin : son absurdité, sa violence, le désespoir qu’elle a déclenché sont palpables dans le récit des différents personnages et dans celui, tardif, de notre narrateur. Nous parviennent, par leur entremise, les sentiments des Poilus : le doute, la honte, la culpabilité, la détermination, la résignation, et d’autres nuances encore. Donc, pas de mythification ici : le premier chapitre s’est débarrassé du côté héroïque de la guerre assez rapidement et de manière efficace. Si les soldats partent avec le sentiment de faire leur devoir, ils reviennent brisés, avec la conscience que cette guerre n’était pas nécessaire. J’ai vraiment eu le sentiment d’un hommage à de vrais hommes, et pas seulement à des images viriles et héroïques. Je ne l’ai pas mentionné jusque-là mais il est important de préciser que ce roman traite également du statut de l’Alsace et des Alsaciens pendant la Première Guerre mondiale, sujet que je n’ai jamais vu traiter auparavant – mais, encore une fois, je n’ai pas lu beaucoup de romans sur cette guerre. Le narrateur, ancien soldat français, se pose la question de leur point de vue dans tout cela, du fait que les Français partent faire la guerre pour eux sans leur demander leur avis ; il mentionne aussi la méfiance dont ils font l’objet en raison de leur « appartenance » à l’Allemagne pendant plusieurs années.

Au cœur de ce roman, comme le lecteur l’apprend assez vite, se cache une histoire d’amour. Je ne pense pas qu’on puisse dire que c’est l’histoire archétypale du Poilu qui part à la guerre avec, à l’arrière, une fiancée qui l’attend. En effet, SPOILER 2 Je ne veux pas trop vous en dire pour vous laisser apprécier le roman sans aucune révélation préalable, mais c’est une histoire que j’ai aimé suivre, en laquelle je croyais et dont la fin SPOILER 3

 

Je suis sûre que je n’ai pas tout dit sur ce roman, mais peut-être en ai-je dit suffisamment pour vous donner envie de le lire. Sachez que c’est, pour moi, un bel hommage, un livre très bien écrit, très prenant, et un coup de cœur que je ne peux que vous recommander chaudement ! Cela nous rappelle aussi à notre devoir de mémoire, mais pas tout fait celui que l’on nous demande officiellement : nous souvenir, bien sûr, mais pas seulement des héros tombés au combat, aussi des hommes terrifiés, revenus ou non, qui ont vécu un cauchemar pour une cause qui n’était pas forcément celle qu’ils croyaient.

 

 

SPOILER 1 Il me semblait étrange qu’il nous parle si souvent d’Anna mais que nous ne la voyions jamais. J’ai fini par deviner qu’il lui était arrivé quelque chose, mais je ne m’attendais pas à ce que sa fin nous soit racontée de manière si brutale – en écho avec la façon dont elle est morte, sans avertissement, du jour au lendemain. La narration mimait parfaitement la rapidité de sa disparition et le désespoir du personnage, son choc face à cette femme qui est là un instant, morte l’instant suivant.

SPOILER 2 loin d’attendre à l’arrière, Lucie décide de se rendre sur le front pour retrouver Emile. Elle fait ainsi montre d’un courage hors-norme pour plusieurs raisons : elle est Alsacienne et elle traverse la frontière française alors même que le statut des Alsaciens est, pour le moins, spécial ; elle traverse le no man’s land pendant la nuit, donc elle peut se faire tirer dessus à n’importe quel moment – les soldats qui l’ont vue pensent, d’ailleurs, qu’elle est une créature surnaturelle parce qu’il est pour eux impossible qu’elle évite les bombes et les balles de cette façon – ; elle passe de région en région, de travail en travail et elle a le cran de se faire embauchée par l’armée allemande pour retrouver Emile qui est un soldat français ! Vraiment, Lucie n’est pas le personnage féminin passif que l’on aurait pu imaginer dans ce genre de récit.

SPOILER 3 m’a un peu brisé le cœur : savoir qu’Emile est à quelques mètres de Lucie qui dépérit sans que ni l’un ni l’autre ne le sache … L’ironie est trop forte pour moi !

L’Ami du Prince de Marianne Jaeglé

Posté : 13 octobre, 2024 @ 8:26 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

Genre : HistoriqueL'Ami du Prince

Editeur : Gallimard (L’Arpenteur)

Année de sortie : 2024

Nombre de pages : 267

Synopsis : 12 avril 65 après Jésus-Christ, dans les environs de Rome.
Des soldats en armes envahissent la villa de Sénèque, porteurs d’un ordre de l’empereur : le philosophe doit se donner la mort.
Sénèque écrit alors une ultime lettre à son ami Lucilius, dressant pour lui le bilan de sa vie. Durant quinze années, il a été le précepteur, puis le conseiller, puis l’ami de celui qui exige désormais sa mort : l’empereur Néron.
Parce qu’il vit ses dernières heures, Sénèque peut enfin tenir un discours de vérité sur son élève. Dans cet ultime moment d’introspection, le philosophe interroge la réalité du pouvoir, mais affronte aussi ses propres erreurs et sa compromission.
L’Ami du Prince raconte comment Sénèque s’est retrouvé prisonnier d’un idéal de l’Empire, de ses illusions et d’un jeune homme imprévisible dont la vraie nature s’est révélée peu à peu.
Après Vincent qu’on assassine et Un instant dans la vie de Léonard de Vinci, Marianne Jaeglé fait revivre le stupéfiant face-à-face entre un philosophe épris de vertu et un jeune tyran sans merci.

 

Avis : J’étais ravie d’apprendre la sortie de ce livre après le coup de cœur incroyable qu’a été pour moi Vincent qu’on assassine, roman pour lequel j’ai aussi fait une chronique sur ce blog !

Comme l’indique le synopsis, cette fois, l’autrice va se pencher sur l’histoire de Sénèque. Alors qu’il a été précepteur de Néron dans son enfance, celui-ci finit par le condamner à mort : le philosophe est dans l’obligation de se suicider. Dans cette dernière lettre à Lucilius – l’écrivaine reprend ici le fait que Sénèque est connu pour cette correspondance avec son ami -, le philosophe, aux portes de la mort, va tenter de trouver un sens à ce qu’il a fait pendant ces années où il était l’ami du prince. Ce n’est pas tellement qu’il tente de se justifier : il essaie plutôt de comprendre les raisons de ses choix. Il ne fait pas tout à fait un mea culpa, même si le lecteur sent sa culpabilité après certains actes de son élève ; il revient sur sa vie, fait son introspection, semble vouloir faire un dernier examen de conscience, avant de se laisser glisser dans les ténèbres. Des traces de sa philosophie se retrouvent dans sa façon d’aborder les choses, notamment à la fin SPOILER 1

Le lecteur qui connaît déjà l’autrice retrouvera son écriture parfois très poétique, empreinte d’émotion : elle donne vie à ses personnages, nous les rendant attachants, que ce soit le philosophe stoïcien ou Néron, jeune homme en devenir. Pour ce dernier, je trouve que c’est un tour de force assez réussi : il est connu pour être un des empereurs les plus cruels et les plus mal-aimés de l’Antiquité romaine. En effet, Marianne Jaeglé, à travers son précepteur, nous le présente adolescent, encore « innocent ». Il n’a encore commis aucun des actes pour lesquels on se souvient de lui aujourd’hui. Ceux qui ne le connaissent pas pourront découvrir l’évolution de sa personnalité en déplorant ce qu’il devient ; ils pourront s’étonner de ses décisions, mais elles expliqueront peut-être la condamnation découverte dès le début du roman. Pour ceux qui connaissent déjà son histoire, ils pourront analyser le personnage, voir les indices, peut-être, de ces choix. SPOILER 2 Tout cela est vu par le filtre de Sénèque qui tente de comprendre le rôle qu’il a joué dans tout cela, ce qu’il aurait pu faire, s’il avait réellement du pouvoir, et si cette proximité avec lui ne l’a pas trop éloigné de ses principes. Un autre personnage que j’ai aimé découvrir à travers les yeux du philosophe : Agrippine, la mère de Néron. Il est assez rare que des femmes aient une influence tangible sur l’histoire romaine ; elle semble un peu être l’archétype de la matrone romaine qui parvient à ses fins. J’ai aimé découvrir la façon dont le Sénèque de Marianne Jaeglé la considère ; j’ai aimé SPOILER 3

J’ai aimé ce roman ; malheureusement, il a souffert de la comparaison avec Vincent qu’on assassine. Je n’ai pas retrouvé l’émotion brute de ce premier roman que j’avais lu, cet attachement viscéral au personnage, cette envie d’entrer et de vivre l’histoire avec eux. Ce n’est pas la faute du livre, c’est vraiment moi qui n’ai pas su me détacher de Vincent, qui m’attendais, peut-être, à avoir la même expérience. J’ai trouvé Sénèque moins touchant, l’écriture moins brute. C’est évidemment un bon roman, peut-être à lire avant de tenter Vincent qu’on assassine !

En revanche, il est un élément que je reproche un peu au roman : la toute dernière phrase, à la fin. J’ai trouvé qu’elle recentrait beaucoup trop l’histoire sur Néron et j’ai trouvé cela dommage. En effet, le roman met Sénèque à l’honneur, cet ami du prince qui n’a pas su faire peser suffisamment son influence, ou qui a cru donner des principes à son élève sans tenir compte de son environnement, de sa personnalité. Et cette dernière phrase, selon moi, tente de justifier tout cela en se focalisant sur Néron. SPOILER 4

 

Donc, c’est un bon roman qui rend brièvement vie à Sénèque ainsi qu’à Néron et aux autres personnages qui les entourent. L’Histoire romaine s’invite dans votre quotidien pendant ces quelques centaines de page et vous laisse surpris de tant de cruauté et de gâchis.

 

SPOILER 1 puisqu’il accepte la mort avec sérénité … avant qu’un messager lui annonce, pile au moment de mourir, que Marius, son neveu qu’il pensait avoir sauvé en l’envoyant chez son ami Lucilius auquel il écrit depuis le début de l’œuvre, a été arrêté avec Lucilius et qu’ils sont tous deux condamnés à mort. Cela plonge Sénèque dans le désespoir alors même qu’il s’éteint, dans un dernier geste de cruauté abjecte de la part de Néron.

SPOILER 2 Ainsi, à travers les yeux de Sénèque, nous assistons à la mort de Claude, à celle de Britannicus et d’Agrippine. Je ne peux qu’imaginer le choc de certains lecteurs en découvrant que Néron fait assassiner sa propre mère, l’acharnement qu’il y met, l’espèce de paranoïa qui le prend, entouré par des conseillers qui le manipulent sans qu’il s’en rende compte.

SPOILER 3 qu’ils soient adversaires sans vraiment l’être. Agrippine engage Sénèque, elle le ramène même d’exil pour servir de maître à son fils. Elle veut qu’il fasse de Néron un prince érudit et digne de gouverner. Sénèque échoue, mais Agrippine aussi, en quelque sorte : elle est tellement focalisée sur le pouvoir qu’elle ne se rend pas compte qu’elle retourne son fils contre elle. Le manque d’amour de la mère à son fils, sa sévérité avec lui, est beaucoup mis en avant dans tous les écrits que j’ai pu lire sur le sujet. Cela ne justifie évidemment pas le matricide ; j’ai aimé, pour autant, voir l’évolution de la situation à travers Sénèque qui n’apprécie pas forcément l’impératrice, mais qui lui doit tellement qu’il tente de concilier son enseignement et les désirs de la mère. Ces deux personnages, plus âgés, des mentors pour Néron, sont victimes de l’ingratitude et de la peur de l’enfant devenu tyran, mais aussi de ses conseillers qui veulent évincer ces deux figures intimidantes qui les empêchent de gouverner Rome tranquillement.

SPOILER 4 Certes, il semblerait, historiquement, que Néron n’avait pas l’étoffe d’un empereur, qu’il était davantage fait pour les lettres et, surtout, la poésie. Mais c’était l’histoire de Sénèque, pas celle de Néron. J’aurais vraiment préféré qu’elle s’achève sur une phrase faisant référence au philosophe, lui rendant une dernière fois hommage.

Les sœurs Charbrey, tome 2 : Un mari récalcitrant de Cassandra O’Donnell

Posté : 8 juillet, 2024 @ 6:09 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

Un mari récalcitrantGenre : Historique, Romance

Editeur : J’ai lu

Année de sortie : 2015

Nombre de pages : 250

Synopsis : - Ton fiancé sait-il à quel point tu peux être insolente dans l’intimité ?
- Non, mais moi je sais à quel point tu peux être mufle devant tout le monde, rétorqua Rosalie avec un sourire glacial.
Rosalie Charbrey ne parvient pas à y croire. Comment le duc de Langford, l’homme qui l’a séduite et abandonnée deux années plus tôt, ose-t-il se comporter d’une manière aussi odieuse ? Que cherche-t-il après tout ce temps ? À ruiner son bonheur et son prochain mariage avec le jeune et charmant vicomte d’Edgfield ? Bah, peu importe si ce débauché semble, pour une raison obscure, déterminé à lui rendre la vie impossible, Rosalie est fermement décidée, elle, à résister aussi bien à ses assauts qu’à gagner la guerre que « Sa Grâce » vient de lui déclarer…

 

Avis : J’ai lu le premier tome de cette duologie il y a un moment maintenant – après vérification, c’était il y a dix ans ! – et j’en garde un bon souvenir : c’était une lecture légère, sans prise de tête et surprenante parce que la romance, à l’époque – et aujourd’hui encore – n’est pas mon genre préféré. Je suis très difficile et je suis rapidement agacée par certaines tropes. Je me rappelle m’être complètement laissée surprendre et emporter par Sans orgueil ni préjugé. Dix ans plus tard, alors que je sentais arriver la panne de lecture, que rien ne me faisait envie malgré ma PAL infinie, je me suis lancée dans la lecture de ce deuxième tome.

Je m’attendais à la même chose que pour le premier : quelque chose de léger mais de passionné, qui m’emporte, le temps de la lecture, loin de mes doutes et de mes soucis. C’est exactement ce que j’ai obtenu !

C’était facile à lire, rapide, l’écriture était bonne – même si la répétition de certaines phrases m’a gênée parfois. L’histoire n’était pas forcément très originaleSPOILER 1 J’ai apprécié que, contrairement à Morgana, le domaine de prédilection de Rosalie soit la littérature, mais j’aurais aimé la voir davantage à l’œuvre !

Bien sûr, ce n’est pas parce que j’apprécie un livre que je ne remarque pas certains éléments qui ne me plaisent pas forcément : ici, les personnages masculins sont assez caricaturaux, des espèces d’ours mal-léchés devenus lions attendrissants, fidèles à une seule femme, la leur, mais capables de redevenir sauvages pour les protéger. La violence dont ils sont capables est effarante puisque SPOILER 2
Pour autant, cette fois, j’ai su laisser de côté cette petite voix qui pointe tous les défauts des livres que je lis pour apprécier le voyage ! Enfin, j’ai l’impression que j’apprécie davantage les romances historiques que les contemporaines.

Donc, une duologie qui m’a emportée, comme je le voulais, et que je relirai sans doute quand la panne de lecture pointera le bout de son nez !

 

SPOILER 1 une jeune femme se fait apparemment berner par un homme qui l’a séduite mais, en fait, il avait peur de s’engager et donc, lorsqu’il revient et qu’elle est sur le point de se marier, il fait tout pour la dissuader – y compris la séduire de nouveau. On ajoute à cela un enlèvement, transformant Rosalie en demoiselle en détresse, des hommes prêts à la violer et Langford en sauveur face à la femme fatale et déçue qui se venge sur la jeune femme juste et honnête qu’est l’héroïne. Tout cela, moins la naïveté de Rosalie qui a un caractère assez trempé tout de même, comme sa sœur dans le tome précédent.

SPOILER 2 Langford va jusqu’à tuer Alice en l’étranglant – ou en lui cassant la nuque, ce n’est pas tout à fait clair. Pour autant, ce n’est pas ce qui gêne Rosalie ; en effet, si elle ne revient pas vers lui, c’est parce qu’elle pense encore qu’il ne l’aime pas … 

Les Grandes oubliées : Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes de Titiou Lecoq

Posté : 20 octobre, 2023 @ 5:47 dans Avis littéraires, Coup de cœur | Pas de commentaires »

Genre : Essai, HistoriqueLes Grandes oubliées

Editeur : Collection Proche

Année de sortie : 2023 [2021]

Nombre de pages : 224

Synopsis : L’Histoire revisitée sous l’angle féminin : raconter et comprendre ce grand oubli dans lequel sont tombées les femmes de la Préhistoire jusqu’à nos jours.

« On nous a appris que l’histoire avait un sens et que, concernant les femmes, elle allait d’un état de servitude totale vers une libération complète, comme si la marche vers l’égalité était un processus naturel. Ce n’est pas exact. On a travesti les faits. On a effacé celles qui avaient agi, celles qui, dans le passé, avaient gouverné, parlé, dirigé, créé.»

A la préhistoire, les femmes chassaient, au Moyen Âge, elles étaient bâtisseuses de cathédrales ou encore espionnes durant la guerre de Cent Ans ; au XIXe siècle, elles furent journalistes… À chaque époque, elles ont agi, dirigé, créé, gouverné mais une grande partie d’entre elles n’apparaissent pas dans les manuels d’histoire. Dans la lignée des travaux de Michelle Perrot, Titiou Lecoq passe au crible les découvertes les plus récentes. Elle analyse, décortique les mécanismes, s’insurge, s’arrête sur des vies oubliées pour les mettre en lumière. Sa patte mordante donne à cette lecture tout son sel. Les femmes ne se sont jamais tues. Ce livre leur redonne leur voix.

 

Avis : C’est une petite vidéo sur Insta d’une créatrice que je suis qui m’a donné très envie d’enfin sauter le pas et me prendre Les Grandes oubliées à sa sortie en poche.

L’autrice nous offre ici un essai féministe sur la place des femmes dans l’Histoire ou, plutôt, sur l’effacement de leur place. Plutôt que d’en donner les raisons, elle explique qu’elles n’ont jamais été absentes des grandes phases de l’Histoire et montre en quoi elles étaient présentes, ce qu’elles faisaient, ce que l’on n’apprend pas à l’école – parce que cela ne se trouve pas au programme ni dans les manuels notamment, puisque ceux-ci sont exclusivement (ou presque) tournés vers des figures masculines et que les femmes se trouvent dans des encarts spécifiques ou dans une entrée du programme sur la lutte pour leurs droits. Je me suis aussi assez souvent reconnue quand Titiou Lecoq évoque son anticipation des cours d’histoire, enfant, et sa désillusion, adulte, quand elle se rend compte qu’on lui a appris une partie de l’Histoire en laissant de côté ce qui, apparemment, n’est pas si important ou à l’écart de la « vraie » Histoire.

Je dois dire que je me suis parfois énervée en lisant : pourquoi ne raconter qu’une partie, des semi-vérités ? Pourquoi est-ce qu’en arrivant dans la vingtaine, j’étais convaincue que le Moyen Âge était une période sombre alors que la Renaissance était formidable ? Pourquoi ne traite-t-on pas de l’Histoire entière ? Et pourquoi, mais POURQUOI, considère-t-on que les femmes n’ont rien fait quand elles sont partout, juste écartées du discours national ? Je ne dois qu’à ma curiosité de connaître les noms de Frédégonde ou de Brunehaut/Brunehilde, qu’à mon envie de lire des femmes « classiques » d’avoir entendu parler, voire lu, Christine de Pizan ou Louise Labé. Mais je ne connaissais aucune dramaturge avant de lire ce livre. Pourquoi ? Je ne comprends pas l’intérêt de minimiser l’apport des femmes : la réussite des uns (ici, des unes du coup) ne diminue pas celle des autres. Ce n’est pas une compétition, ce sont les faits ! J’étais aussi un peu abasourdie de voir que l’oubli est aussi récent qu’ancien !

Elle fait également un sort au mythe du progrès qui voudrait que la condition des femmes s’améliore de siècle en siècle, avec l’idée, par exemple, qu’elles n’avaient aucun droit au Moyen Âge. Vous savez, la célèbre expression du « on n’est plus au Moyen Âge » quand on parle des droits des femmes ? On peut la jeter à la poubelle du coup. Je le sais depuis un moment, mais cet essai en remet une couche bienvenue ! Il n’y a pas non plus d’idéalisation des Lumières, de la Renaissance ou de la Révolution ici : les faits, donc. Et ce n’est pas très joli, comme le XIXe siècle et son invisibilisation des femmes – j’adore ce siècle, notamment pour sa littérature et les grands auteurs qui en sortent, mais pour les femmes, ce n’est clairement pas la meilleure période … L’autrice traite aussi de la langue, ce que j’ai beaucoup apprécié parce que je me pose pas mal de questions à ce sujet.

Ce que j’ai particulièrement aimé ici, c’est que l’autrice fournit toutes ses sources. A aucun moment, le lecteur ne se retrouve avec une théorie ou une affirmation historique sans avoir l’essai ou le travail d’historien dont elle est tirée. Evidemment, ma wish-list a explosé, puisque ces sources sont données pour permettre à ceux qui le souhaitent de se plonger plus avant dans les sujets qu’ils veulent creuser. J’étais d’ailleurs contente de constater que j’avais déjà lu certains des ouvrages cités ! Ainsi, même si cet ouvrage en est un de vulgarisation, il est possible d’approfondir pour les lecteurs intéressés, à travers des livres, mais aussi des articles ou des podcasts.

Enfin, j’ajouterais que, malgré ma colère, j’ai ri à plusieurs reprises parce que l’autrice s’exprime avec humour et sans être guindée. Elle ne rédige pas en historienne, mais en transmettrice (bon, le site me dit que c’est une erreur d’orthographe, mais tant pis !) ce qui rend son discours plus accessible à tous et pas seulement à ceux qui ont un parcours universitaire ou qui sont déjà versés dans l’Histoire.

 

Donc, un excellent essai, court et accessible, qui part de la Préhistoire pour arriver à nos jours en traitant de faits et en donnant ses sources. A mettre entre toutes les mains !

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