Genre : Essai, Fantasy 
Editeur : ActuSF
Année de sortie : 2023
Nombre de pages : 283
Synopsis : La fantasy, déjà omniprésente dans les jeux de rôle et jeux vidéo, part aujourd’hui à la conquête des petits écrans – elle connaît en effet depuis quelques années une impressionnante expansion du côté des séries télévisées diffusées en streaming sur les plateformes VOD. Comment expliquer ces « affinités médiatiques » de la fantasy ? est-elle la même au travers de ses adaptations, ou se transforme-t-elle en fonction de ses supports d’expression ? Pourquoi ses univers se prêtent-ils si bien à l’exploitation croisée qu’on appelle aujourd’hui « transmédia » ?
Riche de douze articles issus du colloque des Imaginales 2022, qui nous parlent d’illustrations et de musique, de séries animées, d’arts du spectacle ou de forums RPG, ce volume se propose d’explorer les liens entre un genre et ses formes et supports d’apparition – entre la fantasy et ses médias.
Avis : J’ai reçu cet ouvrage en service presse, donc je remercie à nouveau la maison d’édition de me l’avoir envoyé ! En effet, grâce à elle, j’ai enfin fini par lire Anne Besson !
En effet, la recherche littéraire m’intéresse beaucoup, surtout sur la Fantasy, mais je dois dire que c’est aussi le nom de cette chercheuse qui m’a donné envie de lire ce livre. Je l’ai découverte grâce à deux Mooc et une de mes enseignantes qui l’a citée, me poussant à aller voir sa bibliographie et faisant exploser ma wish-list par la même occasion. C’est elle qui m’a montré que la Fantasy était digne d’être étudiée – je n’en doutais pas, mais aucun universitaire avant elle ne l’avait laissé entendre aussi clairement -, contrairement à ce que j’entendais régulièrement – « ce n’est pas de la vraie littérature », « c’est pour les enfants », « ça ne fait pas sérieux ».
Donc, dès l’introduction, qui évoque l’essor de la Fantasy à travers les médias et présente globalement l’ouvrage, j’étais séduite. C’est clair, précis, fluide et certains éléments résonnent dans mon petit cœur de fan de Fantasy : l’importance du worldbuilding, l’idée de « vivre » dans cet autre monde, de le visualiser clairement. Elle met les différents articles en valeur, donnant envie de tous les découvrir.
Le sommaire ne l’annonce pas, mais l’ouvrage est découpé en trois parties : « Un genre, des médias », « Quels publics pour quels médias ? » et « Circulations transmédiatiques ». J’ai trouvé qu’il abordait des médias divers, de l’illustration au jeu de rôle en passant par les jeux vidéos, les jeux de société et la musique. C’est une façon quasi organique de voir le genre : les différents médias interagissent les uns avec les autres, se répondent ou s’alimentent entre eux. Je n’avais jamais vraiment pensé à la Fantasy de cette façon, mais cela semblait naturel en lisant. Je précise qu’une bibliographie figure à la fin de chaque article, étendant encore ma wish-list infinie – et les vôtres ! Certains des essais sont illustrés, ce que j’ai trouvé bienvenu et pratique, étant donné que certaines des ces illustrations sont analysées au sein des articles, voire en sont le cœur même !
Pour cette chronique, j’ai voulu être la plus exhaustive possible, ce qui la rend très longue. J’aborde donc, après les deux sauts de ligne suivants, chaque article individuellement sans pour autant tout dire, évidemment. Pour ceux qui ne voudraient donc pas lire cette partie mais préféreraient tout découvrir à la lecture, je vous propose de parcourir la suite en diagonale ou ne pas la lire, afin d’accéder directement à la conclusion de la chronique, elle aussi signalée par deux sauts de ligne.
La première partie comporte d’abord un article de William Blanc sur les illustrations de Fantasy qui remonte aux origines de l’esthétique médiévaliste. On y traite également d’orientalisme et de la symbolique des couvertures au fil des années, l’auteur s’appuyant sur le sublime développé à la période des Lumières. J’ai adoré les analyses de différentes illustrations présentes dans l’ouvrage : on y décèle un genre inscrit dans l’Histoire moderne et non en décalage par rapport à elle.
Le second article, de Jérémy Michot, traite de la musique dans The Witcher. Fascinant, intriguant, il m’a permis de comprendre pourquoi, à l’écoute de la BO de la première saison de la série Netflix, j’ai eu l’impression d’une musique exotique et familière à la fois, pourquoi cette musique me semblait unique dans le paysage Fantasy tout en conservant des traces déjà entendues. Je n’ai jamais joué aux jeux vidéos de la « franchise », ni regardé les premières adaptations ; cela m’a d’autant plus donné envie de m’y mettre. Cette série est alimentée régulièrement par différents supports et sans doute que celui qui ne s’attache qu’à un seul d’entre eux perd une grande partie de l’immersion possible dans l’univers créé, à l’origine, par Andrzej Sapkowski. L’auteur traite également des emprunts historiques de l’auteur mais aussi des « adaptateurs », ainsi que du mélange savant des types musicaux pour créer cette bande-son bien particulière, finalement facilement reconnaissable.
Vient ensuite Silène Edgar avec son roman Lune rousse adapté du jeu des Loups-garous de Thiercelieux ! Un élève, pendant mon stage, m’a prêté ce livre que j’ai beaucoup aimé ; j’étais très contente de le retrouver ici et d’en avoir une analyse ! L’autrice nous révèle ses emprunts, ses adaptations, ses mélanges pour créer un roman à l’ambiance très proche du jeu tout en étant original, parvenant à surprendre le lecteur quant à l’identité des personnages ou à l’issue de l’intrigue. En effet, des éléments mythologiques, littéraires, culturels ou tirés de la réalité se cachent également dans Lune rousse. La fin m’a achevée avec l’onomastique : j’adore découvrir la symbolique des noms. Cet article m’a donné envie de relire l’œuvre – et de rejouer au jeu ! Attention, toutefois : je vous conseille de lire Lune rousse avant l’essai, puisqu’il spoile l’intégralité du roman !
Enfin, cette première partie s’achève avec Oanez Hélary et les forums RPG. Je ne m’y connais absolument pas, c’était donc une totale découverte de la façon dont fonctionnent ces forums, d’où ils tirent leur inspiration. J’ai aimé qu’ils soient analysés quasiment comme des œuvres littéraires, au niveau de l’écriture mais aussi de leur dimension de worldbuilding ou de leur « prétention » encyclopédique sur un univers entièrement nouveau ou inspiré d’un monde déjà existant.
La deuxième partie débute avec un article de Laura Martin-Gomez au sujet des « modes de réception par les fans » du Seigneur des Anneaux. L’autrice y traite de différentes adaptations, celle de Bakshi, de Rankin & Bass, mais aussi celles de Peter Jackson, incluant les deux trilogies. La série Les Anneaux au pouvoir n’est pas analysée mais juste mentionnée. J’ai beaucoup aimé cet article qui m’a appris beaucoup de choses, notamment sur les adaptations de Peter Jackson et le « jeu » avec les fans, le fait de prévoir les films des années à l’avance, comme la série, alimentant une forme de suspense qui n’est pas toujours très sain au cœur de la communauté de fans. Il traite également de la peur de l’adaptation et de la conscience qu’une œuvre, quelle qu’elle soit, ne peut pas vraiment être parfaitement adaptée, d’où la difficulté, pour le réalisateur, de satisfaire les fans. Pour autant, comme l’évoque l’autrice, ces films ont apporté de nombreux nouveaux lecteurs à Tolkien – elle mentionne donc les expressions de « book-firsters » et de « movie-firsters ». J’ai aimé la partie sur les rituels, dans laquelle je me suis reconnue.
Vient ensuite Marie Barraillier avec les séries Netflix de Fantasy destinées à la jeunesse. Elle y analyse trois séries pour des catégories d’âge différent et explique comment Netflix utilise le genre de la Fantasy pour attirer également les adultes en jouant sur les codes connus mais cachés dans leurs productions et sur la nostalgie des parents geeks. J’ai ajouté deux de ces séries à ma liste de visionnage – pourquoi se contenter de la PAL à faire grossir, après tout ?
Louis Barchon arrive alors avec un article sur le jeu de rôle, article que j’aurais pu apprécier davantage si je n’avais pas été très gênée par un de ses aspects. En effet, l’auteur, sans doute dans un souci d’inclusion, utilise un procédé que je n’avais jamais vu auparavant et que j’espère ne pas revoir par la suite : « femmes+ » – sachant que le « terme » « hommes+ » n’est jamais utilisé. Le « + », dans la note de l’auteur, « recouvre ici toutes les identités de genre hors masculin-féminin ». J’ai d’abord eu du mal à comprendre, puis je me suis agacée. Enfin, j’en suis arrivée à trois interprétations différentes, toutes potentiellement offensantes pour tel ou tel genre. 1) L’homme est la seule identité de genre qui vaut pour elle-même ; on peut donc associer toutes les autres à la femme qui devient quasiment une identité de genre « minoritaire » face à l’homme majoritaire – je ne pense pas que ce soit l’intention de l’auteur, mais ce peut être perçu ainsi par certains lecteurs. 2) « femmes+ » associe toutes les identités de genre hors masculin/féminin à la femme, ce qui veut dire que ces identités sont tout de même féminisées. 3) On peut enfin avoir l’impression d’un « tout le monde versus les hommes ». En fin de compte, il est possible que, dans une envie d’inclure tout le monde, l’auteur se montre maladroit avec l’utilisation de ce « terme », problématique pour toutes les catégories de genre. J’ai tout de même fini par entrer dans l’article, qui est intéressant, analysant l’essor, le creux puis la renaissance des jeux de rôle. Les nombreuses références m’ont confortée dans l’idée que j’aimerais, un jour, tenter d’y participer, tout en étant un peu douchée par la conclusion qui évoque le côté très masculin de ce média – c’est la raison pour laquelle j’ai inclus l’interprétation 3) de « femmes+ », l’auteur insistant sur le fait que le domaine du jeu de rôle est majoritairement masculin. Selon moi, l’intention était de montrer que le jeu de rôle avait périclité à cause de cette homogénéité du genre, ne parvenant pas à inclure les femmes et les autres identités de genre.
La deuxième partie se poursuit avec les sports et la pop culture par Raphaël Luis, un aspect de la Fantasy qui m’était complètement inconnu ! En effet, ici, l’auteur évoque la série Game of Zones qui mêle NBA et Fantasy grâce à Game of Thrones, et l’émission The Ringer. J’ai trouvé que c’était une façon assez parlante de montrer les liens entre la « réalité » et la Fantasy, le fait qu’on puisse utiliser ce genre pour « promouvoir » un autre élément, ici le sport, attirant ainsi des fans de sport vers le genre médiatique, et des fans de Fantasy vers le basket – peut-être tout de même moins dans ce sens, étant donné le vocabulaire utilisé dans The Ringer, par exemple, pour prédire ce qui allait arriver dans Game of Thrones. J’ai apprécié le parallèle que fait l’auteur entre une élévation du journalisme sportif à un niveau d’excellence et l’élévation du genre de la Fantasy à un niveau « littéraire » tout en les réunissant dans un bain commun : la culture populaire, qui le reste tout en devenant digne d’être étudiée/analysée. C’est une façon de montrer que l’on peut être sérieux, que l’on soit journaliste, auteur ou universitaire, tout en traitant de pop culture (cf. tous les universitaires et auteurs de cet acte de colloque, mais aussi Marianne Chaillan, qui lie philosophie et culture populaire avec talent !). Les événements mis en place par The Ringer sont à la fois fun et recherchés, liant de manière intelligente deux domaines qui semblent à l’opposé l’un de l’autre. Je pense que cet article était l’un de mes préférés !
Enfin, (cette chronique finira-t-elle un jour ?!), nous passons à la dernière partie qui traite donc des œuvres transmédiatiques c’est-à-dire qui utilisent différents médias. Le premier article, de Sophie Le Hiress, est centré sur Once Upon a Time et sa construction. Je peux d’emblée vous dire que, malgré les spoilers, elle m’a donné très envie de reprendre la série, abandonnée au bout de la première saison. L’autrice nous explique ici le fonctionnement de la série, qui emprunte aux contes de fées tout en parvenant à rester originale et à conserver une part de surprise, ce que l’on imagine difficile avec un matériau aussi connu. Je vous laisse découvrir les mécanismes à l’œuvre dans l’article, que j’ai trouvé passionnant ! J’ajouterai simplement que j’ai aimé la mention des fanfictions, elles aussi souvent considérées comme indignes d’être étudiées.
Vient ensuite l’article de Justine Breton sur The Witcher, celui qui m’a donné très envie de reprendre ma lecture de la série, laissée en pause au seuil du tome 5. Elle nous invite à découvrir la richesse de cet univers, richesse notamment due à la diversité de médias grâce auxquels se développe le monde du Sorceleur. J’ai notamment apprécié découvrir l’utilisation des médias au sein même de la série, créant une sorte de mise en abyme, et j’y ai retrouvé la cause de mon abandon temporaire : le fait qu’on ne nous fait pas vivre certains événements, mais qu’ils nous sont racontés par des personnages au cœur de la fiction elle-même. C’est un procédé original, mais qui peut s’avérer frustrant. Enfin, l’autrice nous révèle les limites de cette transmédiation, ce que j’ai trouvé particulièrement intéressant : elle montre ainsi qu’il n’y a pas que du positif dans cette méthode multiforme.
L’article de Clara Colin Saidani, quant à lui, se concentre sur le lore, sa transmission et sa construction dans les œuvres de Fantasy, du Seigneur des anneaux à Skyrim. J’ai aimé découvrir cette façon d’étoffer un univers, de le rendre plus « réel », ce qui paraît plus compliqué dans un jeu vidéo où le joueur peut décider de ne pas se focaliser sur cet aspect du média, mais aussi le but de cette construction.
Enfin, l’ouvrage s’achève sur la découverte, pour moi, de l’escrime artistique avec l’article que Marie Kergoat consacre à l’adaptation, à travers ce média, du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. J’ai aimé cette impression de découvrir un art nouveau, inédit, et d’avoir envie d’assister à la représentation. L’autrice nous fait comprendre les difficultés rencontrées par la troupe pour faire passer l’essence de l’œuvre à travers un média considéré d’abord comme martial et en très peu de temps comparé à la longueur des films. J’ai trouvé cela fascinant, comme, à nouveau, l’espèce de mise en abyme créée par cette adaptation d’adaptation !
Pour conclure, j’ai passé un excellent moment avec cet ouvrage. Il est abordable pour tous – je veux dire ici que même quelqu’un qui n’a pas fait d’études littéraires peut tout comprendre -, traite d’une diversité de médias, certains parfois peu connus, et reste passionnant du début à la fin tout en nous apprenant des choses. Il fait aussi la part belle aux fans, à ceux qui continuent de faire vivre une série ou une adaptation parfois des années après sa sortie, continuant à l’alimenter par le biais de divers médias. Enfin, la passion des auteurs eux-mêmes est palpable : ils transmettent leur enthousiasme pour la Fantasy, donnant envie au lecteur de plonger, à corps perdu, dans cette mer de médias qui s’offre à lui.