Résister à la culpabilisation : Sur quelques empêchements d’exister de Mona Chollet
Editeur : Zones/Lizzie
Année de sortie : 2024
Nombre de pages/minutes : 264/545
Synopsis : Harcèlement, humiliations, insultes : nous sommes bien averti.es de ces fléaux de la vie en société et nous nous efforçons de lutter contre eux. Mais il y a un cas de figure que nous négligeons : celui où l’agresseur, c’est… nous-même. Bien souvent résonne dans notre tête une voix malveillante qui nous attaque, qui nous sermonne, qui nous rabaisse ; qui nous dit que, quoi que nous fassions, nous avons tort ; que nous ne méritons rien de bon, que nous présentons un défaut fondamental. Cette voix parle particulièrement fort quand nous appartenons à une catégorie dominée : femmes, enfants, minorités sexuelles ou raciales…
Ce livre se propose de braquer le projecteur, pour une fois, sur l’ennemi intérieur. Quels sont ces pouvoirs qui s’insinuent jusque dans l’intimité de nos consciences ? Comment se sont-ils forgés ?
Nous étudierons quelques-unes de leurs manifestations : la disqualification millénaire des femmes et, notamment, aujourd’hui, des victimes de violences sexuelles ; la diabolisation des enfants, qui persiste bien plus qu’on ne le croit ; la culpabilisation des mères, qui lui est symétrique ; le culte du travail, qui indexe notre valeur sur notre productivité ; et enfin la résurgence de logiques punitives jusque dans nos combats contre l’oppression et nos désirs de changer le monde.
Avis : Après avoir lu Sorcières et l’avoir plutôt apprécié, j’avais ajouté plusieurs livres de Mona Chollet dans ma wish-list. J’ai appris, peu de temps avant sa sortie, la publication de cet essai qui m’a tout de suite intéressée. Je l’ai écouté sur Spotify avant de le prendre en physique pour en avoir un exemplaire à la maison.
Comme beaucoup, sans doute, et comme l’autrice elle-même, je suis sujette à la culpabilité. C’est vraiment un des plus gros boulets que je me traîne au quotidien. Je suis capable de culpabiliser pour tout et il est donc très facile, pour quasi n’importe qui et même sans le vouloir, de faire en sorte que je me sente mal. A la lecture du titre de ce nouvel essai, évidemment, j’étais à la fois intriguée et pleine d’espoir : serait-ce possible que quelqu’un ait trouvé la solution à ce problème qui me pourrit la vie ? D’un côté, oui ; de l’autre, pas vraiment.
Ce livre fait partie de mes préférés de l’année parce qu’à sa lecture, à plusieurs reprises, je me suis sentie comprise, même si je ne suis pas forcément d’accord avec absolument tout ce qu’écrit l’autrice. Dès le début, avec la voix que décrit Mona Chollet, celle qu’elle entend dans sa tête, je me suis dit que j’étais au bon endroit pour me sentir un peu moins mal ou, en tout cas, pour me sentir moins seule. L’autrice prend le parti d’évoquer ce sujet par le prisme du féminisme, en parlant principalement de la culpabilisation des femmes, de l’origine de ce phénomène et de sa propagation dans d’autres sphères de la société. J’ai eu peur, au début, qu’elle se concentre exclusivement sur le rôle du clergé catholique dans la culpabilisation des femmes ; c’est un argument qui revient régulièrement, mais qui est accompagné d’autres. Autrement dit, l’autrice ne se contente pas de « taper » sur la religion, elle va plus loin. Je ne suis pas toujours d’accord avec elle sur certains aspects de cet argument – notamment quand elle explique que ce sont les préceptes mêmes de la religion qui incriminent la femme – mais cela n’a pas gêné ma lecture parce qu’elle se concentre assez peu dessus.
L’autrice passe aussi par la « diabolisation de l’enfant« , qui occupe l’entièreté du chapitre 2 et qui m’a parfois laissé perplexe – non pas pour les propos tenus par l’essayiste, mais pour ceux des psychologues et pédiatres qu’elle cite. J’ai trouvé que certains exemples étaient à la limite de la maltraitance, voire en sont tout à fait : on peut ne pas être partisan d’une éducation « positive » telle qu’on la voit mise en avant et qui semble parfois dériver si l’on ne comprend pas ses préceptes ou comment la mettre en place, mais certaines recommandations citées semblent aberrantes.
Mes chapitres préférés sont les derniers. Ils traitent de la productivité et des dérives du militantisme. Ils m’ont, honnêtement, fait prendre conscience d’un poids sur mes épaules. Je ne suis, à nouveau, pas forcément d’accord avec tout ; mais je me suis retrouvée dans le portrait dressé par l’autrice, dans cette envie de se détendre, de se laisser un peu aller parfois – de cette peur aussi de se laisser trop aller. Et je me suis rendu compte que les références de l’essayiste sont des textes que j’ai moi-même ajoutés à ma wish-list parce que le sujet m’intéresse – celui de la productivité à outrance, du fait de ne plus regarder autour de soi, de se désoler de contretemps qui nous empêchent de travailler alors même que la vie n’attend que d’être contemplée et vécue, d’une forme d’exploitation qui nous épuise mais à laquelle on consent parce qu’il « faut » travailler pour vivre. Quant au militantisme, j’ai vraiment eu l’impression d’une bouffée d’air frais : l’autrice reprend des idées qui me sont déjà venues, comme la culpabilisation de l’individu, la traque des moindres faux pas de ceux qui nous entourent et la responsabilisation à outrance de chacun quand ce sont les gros groupes, les multinationales, les gouvernements qui ont le pouvoir d’agir de manière beaucoup plus concrète. Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire d’efforts à l’échelle de l’individu, mais il ne faut pas être naïf non plus. Et je suis assez agacée par les conseils appuyés sur comment se comporter en bon petit citoyen soucieux de la planète quand je vois l’absence totale de prise en charge des élus ou des PDG d’entreprises. Le message est clair, lucide et doux : faire ce que l’on peut avec nos moyens, mais ne pas se leurrer et devenir un insupportable agent de surveillance pour ceux qui nous entourent. J’en garde aussi la profonde conviction que se juger et juger les autres ne nous apportent que du ressentiment, de la colère et de la mélancolie ; est-ce vraiment dans ce bain nauséabond que l’on veut vivre ?
Dernière remarque : j’ai fini par acheter un exemplaire après la lecture audio – la narratrice est très douée, d’ailleurs ! – parce que j’étais frustrée de ne pas avoir accès à la bibliographie. Il s’avère qu’il n’y en a pas dans l’ouvrage, ce que je trouve dommage ; toutes les références ne sont citées qu’en notes de bas de page, ce qui fait que j’ai dû toutes les relire pour retrouver les textes qui m’avaient interpellée !
Donc, un essai qui m’a fait réfléchir, qui m’a appris des choses, que j’ai apprécié découvrir et que je recommande chaudement !