Au boulot, les robots … édité par Stéphanie Nicot et Jean-François Stich
Genre : Essai, Nouvelles, Science, Science-Fiction
Editeur : ActuSF
Année de sortie : 2024
Nombre de pages : 245
Synopsis : Depuis l’Antiquité, les êtres artificiels sont présents dans les récits d’imaginaire ou dans les expérimentations scientifiques ; apparus au XXe siècle, performants, les robots sont aujourd’hui massivement présents dans l’industrie. Mais après avoir rêvé, dans Blade Runner, de moutons électriques et d’androïdes, la science-fiction s’interroge : les robots seront-ils toujours, pour l’humanité, de fidèles assistants, ou pourraient-ils devenir une menace ?
En deux articles, une interview et huit nouvelles – deux classiques du genre et six fictions inédites –, la fine fleur de l’imaginaire et les meilleurs spécialistes s’interrogent sur la robotique et sur ses possibles évolutions.
Une chose est sûre : les robots et les cobots – ces nouveaux robots coopératifs du XXIe siècle – sont parmi nous. Et pour longtemps !
Avis : J’ai reçu ce livre en service presse de la part de la maison d’édition que je remercie de nouveau ! Cette anthologie m’intriguait d’autant plus que j’ai beaucoup aimé Travailler encore ? édité l’année dernière par Stéphanie Nicot.
Ici, nous traitons donc toujours du travail, mais en rapport direct avec la robotique, l’utilisation de robots et la potentielle singularité qui pourrait émerger – traitée depuis des décennies dans les récits de science-fiction. Cela fait un moment que j’apprécie particulièrement les œuvres qui se centrent sur l’IA ou les robots, j’étais donc d’autant plus enthousiaste à l’idée de me plonger dans cette anthologie ! Elle s’ouvre sur une introduction bien écrite et intéressante qui fait un peu un tour d’horizon du robot en SF tout en présentant l’anthologie. Elle m’a donné très envie de me plonger dans ces récits qui attendent souvent depuis des années dans ma PAL ou ma wish-list.
Les deux premières nouvelles n’ont pas été écrites spécialement pour le livre, mais ont été reprises d’autres ouvrages. Pour la première, « Un mauvais jour pour les ventes » de Fritz Leiber, je l’ai trouvée intéressante, surtout avec cette phrase qui clôt l’histoire SPOILER 1. Nous sommes dans un monde futuriste où il existe des robots distributeurs automatiques. Cela pose la question du tape-à-l’œil et du fait que les hommes ne font plus attention à ce qui les entoure ; SPOILER 2 Malgré le fait que ce soit donc intéressant, j’ai eu un peu de mal avec cette nouvelle – peut-être à cause de la fatigue à ce moment-là. J’ai aimé l’analyse qui en est faite plus loin et qui m’a fait reconsidérer mon point de vue après coup. Pour la deuxième nouvelle, « Cap Tchernobyl » de Sylvie Denis, je dois avouer que j’ai été un peu déçue par la fin : SPOILER 3 Le lecteur suit un père et son fils ; ceux-ci rencontrent un robot de travail qui semble se poser des questions sur la singularité et les éventuels droits des robots. J’ai aimé l’image des tigres qui file le texte, mais je ne suis pas sûre que cette nouvelle me restera.
Toutes les nouvelles qui suivent ont été écrites pour l’anthologie et sont entrecoupées d’entretien ou de petits essais sur les problématiques abordées par l’ouvrage dans son entier.
Vient donc ensuite « Vivants, yeux de sang » de Johan Heliot. Elle traite d’une forme de révolte, mais je ne veux pas trop en dire pour vous laisser la découvrir. SPOILER 4 C’est un sujet que l’on voit beaucoup et que je suis parfois un peu fatiguée de retrouver. La nouvelle est assez bonne, mais un peu laborieuse à lire parfois à cause de certaines formes de phrase. C’est aussi cruel et j’ai, également, été déçue par la fin ; pour moi, c’était un peu : « tout ça pour ça ? » SPOILER 5
Puis, nous avons « Patine » d’Alex Nikolavitch : c’est la première nouvelle de l’anthologie que j’ai vraiment appréciée. Elle est à la fois en lien avec l’actualité sans utiliser de procédés qui m’agacent et elle permet d’aborder le sujet de l’IA et du comportement que les êtres humains adoptent quand ils sont confrontés à elle. J’ai aimé SPOILER 6 Cette nouvelle nous renvoie toujours à l’idée d’un capitalisme écrasant et d’une catastrophe climatique imminente qui pousse les hommes à construire des infrastructures sur d’autres planètes. J’ai beaucoup aimé la fin ! Seul petit défaut : quelques coquilles qui se sont glissées dans le texte, ce qui est un peu dommage.
Cette nouvelle est suivie d’un article qui nous permet de découvrir le contexte de son écriture et d’amorcer une réflexion sur la SF, ce à quoi elle « sert », ce qu’elle imagine, mais aussi la raison pour laquelle elle n’a rien à voir avec la Silicon Valley, clairement critiquée ici.
Le lecteur enchaîne avec un autre article, cette fois par Ketty Steward ; il répond au précédent et donne une autre vision du contexte d’écriture des nouvelles. Il en explique la genèse au sein d’un atelier d’écriture dans une entreprise et évoque la raison pour laquelle ces ateliers ont été mis en place.
L’autrice nous livre ensuite une nouvelle, « Collabots ». Elle y utilise l’écriture inclusive, mais je n’ai pas toujours trouvé cela très logique – parfois, elle n’est pas utilisée et je n’ai pas compris pourquoi, mais ce peut aussi être moi, bien sûr, je ne suis pas une experte. Le titre laisse entendre une division entre deux camps et m’a fait penser à la collaboration sous l’Occupation : SPOILER 7 Ici, la singularité a déjà eu lieu mais SPOILER 8 C’était un récit bien mené que j’ai aimé suivre, d’autant plus en comprenant que SPOILER 9
Vient alors ma nouvelle préférée – et je m’y attendais un peu, étant donné que j’avais adoré La Séquence Aardtman de cet auteur – : « Extrêmement fébrile, terriblement fonctionnel » de Saul Pandelakis. C’était top et c’était évident que ce le serait ! J’adore l’écriture de cet auteur, à la fois vraie, orale et parfois poétique. Ici, il donne une véritable voix à son personnage qui devient réel pour le lecteur. J’aime aussi l’univers qui est construit autour d’elle : un monde futuriste où il est possible d’avoir un orgabot. Je ne vais pas expliquer ce que c’est parce qu’une partie du plaisir du texte vient de l’absence de compréhension, au début. En effet, notre narratrice ne nous raconte pas les faits de manière linéaire ce qui perd un peu le lecteur quand il commence à lire ; mais tout finit par faire sens, on finit par comprendre très rapidement et l’on est happé par le style de l’auteur qui nous embarque complètement. J’ai beaucoup aimé aussi la typo qui change, l’intégration des émojis, le fait que notre narratrice – que j’ai adorée au fil des pages – SPOILER 10 J’adore aussi le choix des noms, la fin, le ton … Tout ! Je vous recommande fortement cet auteur et ses textes !
Il est très difficile de passer derrière Saul Pandelakis ; heureusement, les récits sont suffisamment différents pour que je ne les compare pas. La nouvelle précédente reste ma préférée, mais j’ai tout de même pu apprécier les suivantes.
Vient ensuite « L’amibot » de Pierre Bordage. C’est une belle nouvelle, peut-être un peu trop rapide dans son déroulé, mais agréable à lire et très touchante. On y rencontre un robot qui va être « engagé » pour suivre la fin de vie d’un petit garçon. SPOILER 11
Puis arrive « De mères en filles » de Floriane Soulas, une très bonne nouvelle, un peu creepy, et c’est aussi ce qui fait son originalité et sa qualité ! On y suit un robot qui doit faire une inspection dans une usine ; il se pose des questions sur une partie de son activité. J’ai beaucoup aimé l’atmosphère pesante qui se crée peu à peu et la fin est assez glaçante !
Après cette nouvelle, nous n’avons plus que des articles et un entretien. Thierry Colin et Benoît Grasser écrivent au sujet des cobots et de leur différence avec les robots. C’était intéressant, mais très spécialisé et pas forcément ce que je recherche en lisant ce genre d’anthologie, même si cela apporte un degré de réalité supplémentaire étant donné que ce sont des articles scientifiques et non fictionnels. Alexandre Publié, quant à lui, a accepté un entretien concernant son activité – il est directeur fondateur du groupe O -, notamment l’utilisation de cobots, et le projet d’atelier d’écriture mené dans une de ses usines. Je ne sais pas si c’est moi qui ai mal compris, mais j’ai l’impression que le lien entre l’anthologie, l’atelier d’écriture et le groupe O n’était pas tout à fait clair ; les pièces du puzzle s’assemblent au fil de la lecture, mais ce n’est pas expliqué en amont. A nouveau, le propos de l’entretien est assez spécialisé, mais toujours intéressant. En effet, les cobots semblent des éléments importants dans l’évolution de l’industrie sur différents points (conditions de travail, non remplacement des êtres humains mais véritable collaboration avec eux). Suit un nouvel article de Ketty Steward sur l’atelier d’écriture, ici en lien avec l’entretien précédent. J’ai trouvé intéressante l’idée de faire écrire des gens qui n’en ont pas l’habitude et qui travaillent dans un secteur en lien potentiel avec la science-fiction et j’ai aimé lire les explications de l’autrice sur les raisons qui l’ont poussée à mener à bien ce projet.
L’anthologie se clôt sur une postface écrite par Amandine Brugière et Grégory Plançon. Le début était aussi spécialisé que les différents articles ; par la suite, les auteurs analysent les nouvelles grâce au sujet précis que celles-ci abordent. J’ai aimé ce côté réflexif qui m’a semblé une très bonne conclusion pour l’ensemble de l’ouvrage : il permet de revenir sur les nouvelles, de les voir différemment parfois et de prolonger la réflexion au-delà de l’anthologie pour le lecteur, s’il le désire.
SPOILER 1 Elle rapproche les hommes des robots et les robots de l’homme. Ce n’est pas le robot qui n’est pas humain, malgré le fait qu’il ne comprenne pas ce qui est arrivé et qu’il continue de tenter de vendre ses produits à des êtres agonisants ; ce sont les êtres humains qui l’ont programmé et ces hommes qui viennent sauver les victimes qui se sont mués en robots de par leur apparence.
SPOILER 2 ils se préoccupent d’apparence, de futilité : ils suivent le robot et ignorent le danger qui vient. Attirés par la publicité et l’appât de la consommation, ils ne sont plus conscients de leur environnement et incapables de réagir quand leur vie est en péril. J’ai vraiment eu l’impression d’êtres obnubilés par un nouveau jouet.
SPOILER 3 Certes, l’enfant et le robot sont ensemble, mais j’ai trouvé que c’était trop peu. Que se passe-t-il ensuite ? Je suppose que l’autrice a voulu laisser le lecteur imaginer ce qui allait arriver : une possible union des robots et l’implication de certains êtres humains dans l’émergence de la singularité ? Pour une fois, je n’ai pas apprécié ce procédé. J’aurais préféré avoir une fin claire, une piste, quelque chose qui permette au lecteur de voir le chemin pris par ces personnages et ce qui pouvait en résulter.
SPOILER 4 Un jeune homme est confronté à l’idée qu’il est une forme de complice du gouvernement quand une grande partie de la population souffre et une autre se soulève pour lutter contre le système oppresseur.
SPOILER 5 Je n’ai vraiment pas aimé que le personnage principal tombe aussi vite amoureux d’une jeune femme dont il ne sait rien dans une forme d’insta love que j’ai beaucoup de mal à supporter dans tout type de récit. Mais le fait qu’en plus, il ne la revoit plus par la suite ? Je me suis vraiment dit que cet aspect ne servait pas vraiment l’histoire ; le fait que son frère soit dans la résistance suffisait pour donner au récit un aspect tragique.
SPOILER 6 la façon dont Ti-May considère Jackson, le fait qu’elle lui parle correctement, qu’elle ne le traite pas en objet. Le fait aussi que se crée entre eux une forme de relations qui donne à penser au lecteur que Jackson n’est pas qu’un robot, qu’il peut être plus. Même si Jackson patine, elle s’accroche à l’idée qu’il ne doit pas être débranché et regrette le fait qu’il soit amputé d’une partie de sa mémoire. J’ai également apprécié que le robot ne soit pas du tout fautif, mais que ce soit des êtres humains, sur terre, qui, par paresse, ont engendré un trop plein de données pour le robot, lui permettant d’avoir accès à des informations qu’il n’aurait pas dû connaître. C’était un joli pied-de-nez et un rappel que nous sommes faillibles et que, pour l’instant, si nos outils technologiques ont des défauts, ils sont de notre fait, non du leur.
SPOILER 7 j’ai beaucoup aimé le côté « machines contre machines » couplé à l’émergence de la singularité. Quand certains robots revendiquent des droits, d’autres semblent complètement dévoués aux êtres humains, ce qui mène à des sabotages, des formes d’ »attentats » contre ces collabots.
SPOILER 8 les robots sont seulement destinés au travail pour l’instant, ce qui entraîne le conflit auquel le lecteur assiste.
SPOILER 9 le narrateur est un de ces collabots qui demande de l’aide aux IA autonomes.
SPOILER 10 parle en réalité à Grobot qui a cessé de fonctionner, après un incident survenu chez Gershwin et impliquant son propre orgabot, Bastrimal.
SPOILER 11 J’ai trouvé que le déclenchement de la singularité était très rapide, ce qui m’a un peu sortie du texte ; mais je comprends que, pour les besoins de la nouvelle, il faut que tout arrive en trois mois.