L’Ami du Prince de Marianne Jaeglé
Editeur : Gallimard (L’Arpenteur)
Année de sortie : 2024
Nombre de pages : 267
Synopsis : 12 avril 65 après Jésus-Christ, dans les environs de Rome.
Des soldats en armes envahissent la villa de Sénèque, porteurs d’un ordre de l’empereur : le philosophe doit se donner la mort.
Sénèque écrit alors une ultime lettre à son ami Lucilius, dressant pour lui le bilan de sa vie. Durant quinze années, il a été le précepteur, puis le conseiller, puis l’ami de celui qui exige désormais sa mort : l’empereur Néron.
Parce qu’il vit ses dernières heures, Sénèque peut enfin tenir un discours de vérité sur son élève. Dans cet ultime moment d’introspection, le philosophe interroge la réalité du pouvoir, mais affronte aussi ses propres erreurs et sa compromission.
L’Ami du Prince raconte comment Sénèque s’est retrouvé prisonnier d’un idéal de l’Empire, de ses illusions et d’un jeune homme imprévisible dont la vraie nature s’est révélée peu à peu.
Après Vincent qu’on assassine et Un instant dans la vie de Léonard de Vinci, Marianne Jaeglé fait revivre le stupéfiant face-à-face entre un philosophe épris de vertu et un jeune tyran sans merci.
Avis : J’étais ravie d’apprendre la sortie de ce livre après le coup de cœur incroyable qu’a été pour moi Vincent qu’on assassine, roman pour lequel j’ai aussi fait une chronique sur ce blog !
Comme l’indique le synopsis, cette fois, l’autrice va se pencher sur l’histoire de Sénèque. Alors qu’il a été précepteur de Néron dans son enfance, celui-ci finit par le condamner à mort : le philosophe est dans l’obligation de se suicider. Dans cette dernière lettre à Lucilius – l’écrivaine reprend ici le fait que Sénèque est connu pour cette correspondance avec son ami -, le philosophe, aux portes de la mort, va tenter de trouver un sens à ce qu’il a fait pendant ces années où il était l’ami du prince. Ce n’est pas tellement qu’il tente de se justifier : il essaie plutôt de comprendre les raisons de ses choix. Il ne fait pas tout à fait un mea culpa, même si le lecteur sent sa culpabilité après certains actes de son élève ; il revient sur sa vie, fait son introspection, semble vouloir faire un dernier examen de conscience, avant de se laisser glisser dans les ténèbres. Des traces de sa philosophie se retrouvent dans sa façon d’aborder les choses, notamment à la fin SPOILER 1
Le lecteur qui connaît déjà l’autrice retrouvera son écriture parfois très poétique, empreinte d’émotion : elle donne vie à ses personnages, nous les rendant attachants, que ce soit le philosophe stoïcien ou Néron, jeune homme en devenir. Pour ce dernier, je trouve que c’est un tour de force assez réussi : il est connu pour être un des empereurs les plus cruels et les plus mal-aimés de l’Antiquité romaine. En effet, Marianne Jaeglé, à travers son précepteur, nous le présente adolescent, encore « innocent ». Il n’a encore commis aucun des actes pour lesquels on se souvient de lui aujourd’hui. Ceux qui ne le connaissent pas pourront découvrir l’évolution de sa personnalité en déplorant ce qu’il devient ; ils pourront s’étonner de ses décisions, mais elles expliqueront peut-être la condamnation découverte dès le début du roman. Pour ceux qui connaissent déjà son histoire, ils pourront analyser le personnage, voir les indices, peut-être, de ces choix. SPOILER 2 Tout cela est vu par le filtre de Sénèque qui tente de comprendre le rôle qu’il a joué dans tout cela, ce qu’il aurait pu faire, s’il avait réellement du pouvoir, et si cette proximité avec lui ne l’a pas trop éloigné de ses principes. Un autre personnage que j’ai aimé découvrir à travers les yeux du philosophe : Agrippine, la mère de Néron. Il est assez rare que des femmes aient une influence tangible sur l’histoire romaine ; elle semble un peu être l’archétype de la matrone romaine qui parvient à ses fins. J’ai aimé découvrir la façon dont le Sénèque de Marianne Jaeglé la considère ; j’ai aimé SPOILER 3
J’ai aimé ce roman ; malheureusement, il a souffert de la comparaison avec Vincent qu’on assassine. Je n’ai pas retrouvé l’émotion brute de ce premier roman que j’avais lu, cet attachement viscéral au personnage, cette envie d’entrer et de vivre l’histoire avec eux. Ce n’est pas la faute du livre, c’est vraiment moi qui n’ai pas su me détacher de Vincent, qui m’attendais, peut-être, à avoir la même expérience. J’ai trouvé Sénèque moins touchant, l’écriture moins brute. C’est évidemment un bon roman, peut-être à lire avant de tenter Vincent qu’on assassine !
En revanche, il est un élément que je reproche un peu au roman : la toute dernière phrase, à la fin. J’ai trouvé qu’elle recentrait beaucoup trop l’histoire sur Néron et j’ai trouvé cela dommage. En effet, le roman met Sénèque à l’honneur, cet ami du prince qui n’a pas su faire peser suffisamment son influence, ou qui a cru donner des principes à son élève sans tenir compte de son environnement, de sa personnalité. Et cette dernière phrase, selon moi, tente de justifier tout cela en se focalisant sur Néron. SPOILER 4
Donc, c’est un bon roman qui rend brièvement vie à Sénèque ainsi qu’à Néron et aux autres personnages qui les entourent. L’Histoire romaine s’invite dans votre quotidien pendant ces quelques centaines de page et vous laisse surpris de tant de cruauté et de gâchis.
SPOILER 1 puisqu’il accepte la mort avec sérénité … avant qu’un messager lui annonce, pile au moment de mourir, que Marius, son neveu qu’il pensait avoir sauvé en l’envoyant chez son ami Lucilius auquel il écrit depuis le début de l’œuvre, a été arrêté avec Lucilius et qu’ils sont tous deux condamnés à mort. Cela plonge Sénèque dans le désespoir alors même qu’il s’éteint, dans un dernier geste de cruauté abjecte de la part de Néron.
SPOILER 2 Ainsi, à travers les yeux de Sénèque, nous assistons à la mort de Claude, à celle de Britannicus et d’Agrippine. Je ne peux qu’imaginer le choc de certains lecteurs en découvrant que Néron fait assassiner sa propre mère, l’acharnement qu’il y met, l’espèce de paranoïa qui le prend, entouré par des conseillers qui le manipulent sans qu’il s’en rende compte.
SPOILER 3 qu’ils soient adversaires sans vraiment l’être. Agrippine engage Sénèque, elle le ramène même d’exil pour servir de maître à son fils. Elle veut qu’il fasse de Néron un prince érudit et digne de gouverner. Sénèque échoue, mais Agrippine aussi, en quelque sorte : elle est tellement focalisée sur le pouvoir qu’elle ne se rend pas compte qu’elle retourne son fils contre elle. Le manque d’amour de la mère à son fils, sa sévérité avec lui, est beaucoup mis en avant dans tous les écrits que j’ai pu lire sur le sujet. Cela ne justifie évidemment pas le matricide ; j’ai aimé, pour autant, voir l’évolution de la situation à travers Sénèque qui n’apprécie pas forcément l’impératrice, mais qui lui doit tellement qu’il tente de concilier son enseignement et les désirs de la mère. Ces deux personnages, plus âgés, des mentors pour Néron, sont victimes de l’ingratitude et de la peur de l’enfant devenu tyran, mais aussi de ses conseillers qui veulent évincer ces deux figures intimidantes qui les empêchent de gouverner Rome tranquillement.
SPOILER 4 Certes, il semblerait, historiquement, que Néron n’avait pas l’étoffe d’un empereur, qu’il était davantage fait pour les lettres et, surtout, la poésie. Mais c’était l’histoire de Sénèque, pas celle de Néron. J’aurais vraiment préféré qu’elle s’achève sur une phrase faisant référence au philosophe, lui rendant une dernière fois hommage.