Genre : Contemporaine
Editeur : Collection Proche
Année de sortie : 2023 [2021]
Nombre de pages : 266
Synopsis : Elle a la vie dont elle rêvait : une belle maison, deux enfants, l’homme idéal. Après quinze ans de vie commune, elle ne se lasse pas de dire : « Mon mari ! » Pourtant elle veut plus encore : il faut qu’ils s’aiment comme au premier jour. Alors elle s’impose une discipline de fer pour entretenir la flamme. Elle l’observe, note ses fautes, tend des pièges, le punit en conséquence. Elle est follement amoureuse de lui. Jusqu’au jour où, évidemment, elle va trop loin …
Avis : J’étais très intriguée par ce livre que je voyais un peu partout, mais surtout sur des chaînes anglophones que je regarde régulièrement. J’ai fini par me laisser tenter !
D’abord, je trouve que le résumé en dit beaucoup trop et je suis contente de ne pas l’avoir relu en entier ; ceci dit, je me souvenais de la dernière phrase et j’attendais cet « événement » beaucoup plus tôt dans le texte – il n’arrive qu’à la fin. Donc, petit conseil si vous ne l’avez pas encore lu : ne lisez pas le synopsis ! Sachez juste que la narratrice est obsédée par son mari – amoureuse, dira-t-elle – et que sa vie, ses pensées, toutes ses préoccupations tournent constamment autour de lui. Cela rend également le sujet même du roman original, sans doute pas dans l’idée de la conservation d’un amour pur et exclusif, mais peut-être dans la perception de cet amour par une femme qui, pense-t-elle, est restée coincée au stade d’amoureuse.
Ce que j’ai adoré, bien sûr, c’est que la narratrice, qui reste anonyme, est indigne de confiance – autrement dit, mon genre de narrateur préféré ! Le lecteur comprend vite non seulement qu’elle ne voit pas tout à fait les choses normalement, mais en plus, qu’elle ne lui dit pas tout, voire que, potentiellement, elle lui ment ! J’écris « potentiellement » parce qu’il ne peut pas en être sûr pour autant, il n’a qu’une intuition qu’il ne peut pas vérifier sur le moment. Cette narratrice, de manière assez originale et révélatrice, n’est pas la seule à ne pas être nommée : c’est aussi le cas de son mari, dont le prénom n’est jamais mentionné clairement, bien qu’elle l’évoque plusieurs fois sans le donner. Il n’est, en fin de compte, plus un individu mais simplement la fonction qu’il occupe auprès d’elle ; il ne peut rien être d’autre, il vit par rapport à elle. SPOILER 1
Ce roman est écrit sur un ton plutôt léger ; il m’a fait rire et sourire à plusieurs reprises. Ce n’est pas tout à fait un thriller – j’ai vu cette classification surtout chez les anglophones – ni tout à fait un roman d’horreur, même si j’ai un peu eu l’impression d’entrer dans une forme d’enfer en débarquant dans la vie de cette femme. Le récit aurait pu virer de bord et intégrait clairement l’un ou l’autre des genres, mais il reste plutôt à la frontière, ce qui est assez habile. SPOILER 2 De plus, ce roman, sans entrer dans une catégorie précise, est aussi terrifiant pour une autre raison : le lecteur peut, à certains moments, et lors de certaines réflexions de la narratrice, s’identifier à elle, notamment quand elle « overthink« tout ce qui se passe autour d’elle, ce que son mari fait ou ne fait pas, ce qu’une amie dit ou ne dit pas, ce qu’elle-même offre à une amie. J’ai parfois eu l’impression que l’autrice avait décidé de pousser cette tendance de l’overthinking à l’extrême avec sa narratrice : elle se repasse les conversations qu’elle a avec son mari, elle les décortique, elle pèse chaque mot SPOILER 3 Surtout, à aucun moment, la narratrice ne se dit qu’elle pourrait simplement communiquer avec son mari ! D’après ce que j’ai compris, dans son milieu social, « ça ne se fait pas » ; à plusieurs reprises, elle laisse entendre qu’elle ne peut pas partager ses émotions avec son mari. Cet aspect « absence de communication » aurait pu m’agacer mais, ici, il est nécessaire au déroulement de l’intrigue et m’a plutôt semblé logique. Cela participe aussi très bien de la caractérisation du personnage SPOILER 4
Ce texte comporte également une grosse part tournée vers l’« esthétique », les conventions, le rang social. Cette femme est obnubilée par l’apparence, le regard des autres et la place qu’elle occupe. C’est proprement épuisant ! Rien que lire les efforts qu’elle fournit ou l’argent qu’elle dépense pour ne pas se « négliger » m’a fait tressaillir !
Concernant les enfants, j’ai peu à peu ressenti de la compassion pour eux : SPOILER 5
La fin m’a surprise tout en confirmant une piste à laquelle j’avais pensé : SPOILER 6 Aussi, j’ai adoré la façon dont s’ouvre et se clôt le texte : le roman est parfaitement bouclé !
Enfin, je me dois de faire une petite remarque sur l’écriture que j’ai beaucoup aimé. Elle est élégante, fluide, parfois presque poétique sans jamais trop en faire. L’autrice choisit ses mots avec soin pour sa narratrice, ce qui se sent. On sent un réel travail du vocabulaire, une précision que j’ai adorée. Je lirai avec plaisir d’autres livres de l’autrice, et notamment Célèbre, sorti en 2024 !
Donc, un premier roman très réussi, très prenant et qui me permet de bien commencer mon année lecture 2025 !
SPOILER 1 Il est assez ironique et intelligent que le lecteur découvre, à la fin du roman, que ce mari fait subir le même sort à sa femme et ne l’appelle que par ce rôle qu’elle joue auprès de lui.
SPOILER 2 La fin laisse tout de même présager qu’elle pourrait aller plus loin : l’empoisonner à petit feu pour le rendre léthargique ou carrément le tuer !
SPOILER 3 elle va jusqu’à les enregistrer, fouiller dans son ordinateur et, par ce biais, dans son téléphone. Elle se demande, pendant tout le roman, pourquoi son mari l’a comparée à une clémentine, ce qui peut paraître complètement anodin mais qui lui reste en tête pendant toute la semaine et devient une rengaine dans le texte.
SPOILER 4 qui prête des intentions à son mari, interprète absolument tout et, encore une fois, laisse le lecteur penser qu’elle va beaucoup trop loin quand, en réalité, son époux joue effectivement avec tout ce qu’elle imagine.
SPOILER 5 ils vivent aux côtés de deux personnes complètement obnubilées l’une par l’autre, qui se jouent des tours, se rendent fous – comme le dit le mari – qui se torturent sans vraiment s’occuper d’eux. En fin de compte, je n’étais pas étonnée, à la fin du roman, qu’ils restent constamment à deux !
SPOILER 6 je me suis posé la question, à un moment donné, de savoir si le mari, lui aussi, « jouait » avec elle, notamment quand elle dit qu’il lui arrive plusieurs fois par jour d’entendre des « je t’aime » qu’elle a, en réalité, imaginé, ou quand elle sous-entend qu’il la torture. Je me suis dit qu’elle devait exagérer, tout interpréter à outrance, que c’était elle, la personne dérangée du couple. Il s’avère qu’ils le sont tous les deux et qu’ils se sont, visiblement, bien trouvés ! Je me demande, cependant, si cette fin ne réduit pas l’intelligence de cette femme à la bêtise ce qui peut, d’un autre côté, être dommage. Le fait est qu’elle n’est, en réalité, pas « folle » : il lui fait subir la même chose qu’elle – ou, en tout cas, il lui fait subir quelque chose, peut-être qui s’apparente davantage à un jeu que ce qu’elle entreprend et qui est plus une forme de contrôle, un système de récompenses et de punitions – puisqu’elle pense avoir des hallucinations auditives et le trouve froid. Comment peut-elle ne pas se rendre compte de son manège alors qu’il utilise les mêmes techniques qu’elle ? C’est vraiment étrange : cette fin a réussi à créer chez moi une forme de compassion pour cette femme que j’ai trouvée à la fois drôle et terrifiante assez rapidement dans le roman ! De plus, cette fin rend le mari pire que sa femme : il sait ce qu’elle fait alors qu’elle n’est pas consciente que lui aussi met en place une forme de jeu malsain avec elle. Il sait absolument tout, ce qu’elle a aussi rendu facile parce qu’elle garde une trace écrite de tout, comme si elle voulait être découverte – puisqu’elle laisse traîner ses carnets, par exemple. Elle est persuadée que, s’il les trouvait, il réagirait et lui en parlerait ; elle n’a pas compris qu’il a intégré tout ça à sa vie sous forme d’une farce perverse.