L’Epaisseur d’un cheveu de Claire Berest
Editeur : Albin Michel
Année de sortie : 2023
Nombre de pages : 240
Synopsis : «Il était alors impossible d’imaginer que trois jours plus tard, dans la nuit de jeudi à vendredi, Etienne tuerait sa femme.»
Etienne est correcteur dans l’édition. Avec sa femme Vive, délicieusement fantasque, ils forment depuis dix ans un couple solide et amoureux. Parisiens éclairés qui vont de vernissage en concert classique, ils sont l’un pour l’autre ce que chacun cherchait depuis longtemps.
Mais quelque chose va faire dérailler cette parfaite partition.
Ce sera aussi infime que l’épaisseur d’un cheveu, aussi violent qu’un cyclone qui ravage tout sur son passage.
Implacable trajectoire tragique, L’Épaisseur d’un cheveu ausculte notre part d’ombre. Claire Berest met en place un compte-à-rebours avec l’extrême précision qu’on lui connaît pour se livrer à la fascinante autopsie d’un homme en route vers la folie.
Avis : J’ai lu ce livre pendant que je cherchais une œuvre pour un club lecture ; je l’ai donc annoté et je me suis demandé en quoi il était intéressant à analyser.
Dès le début, et même, dès le résumé, le roman nous accueille en nous prévenant : le personnage principal que nous suivons, Etienne, va bientôt tuer sa femme, Vive. Oh, joie. Ce livre traite donc de féminicide en nous plaçant dans la tête du tueur. Oh, joie ! Si j’ai déjà lu des ouvrages de ce style, comme You de Caroline Kepnes, un de mes romans préférés, ici, l’autrice a décidé de nous avertir sur l’issue de l’histoire, ce qui ne laisse aucune chance à son personnage principal : il est impossible de s’attacher à lui, de lui trouver la moindre excuse ou de lui pardonner quoi que ce soit. Je me suis demandé, à certains moments du récit, si, sans cette information, j’aurais ressenti de l’empathie pour lui.
En effet, Etienne, dès les premières phrases du roman, est un personnage proprement détestable. Arrogant, sûr de lui, méprisant avec ceux qui l’entourent, il est persuadé de sa grandeur et se permet d’adopter une attitude professionnelle difficilement justifiable, qu’il explique quand même parce qu’il sait mieux que les autres comment agir. Que ce soit avec des inconnus ou des proches, et surtout avec sa femme, Etienne est vraiment imbuvable. Bien sûr, cela empire quand il va jusqu’à tuer sa femme. SPOILER 1 Et il est persuadé que le monde tourne autour de lui, que les gens le regardent, pensent à lui, l’insultent peut-être ou le jalousent ; je ne sais pas si on peut parler de pervers narcissique – puisqu’on en parle un peu à toutes les sauces et que l’expression perd ainsi de son sens -, mais il est, au moins, définitivement narcissique.
Je me suis demandé, au fil des pages, si l’autrice allait nous faire vivre le meurtre ou non ; en effet, le lecteur comprend que la chronologie du roman est brisée puisqu’il a, à sa disposition, des bouts de l’enquête menée par la police après le meurtre de Vive. SPOILER 2
Concernant l’écriture, j’ai trouvé qu’elle était fluide, sans fioritures et sans accrocs ; j’ai aimé le saut de ligne qui, pour moi, SPOILER 3 Pour le titre, j’ai bien compris qu’il montrait le côté infime de ce qui fait basculer Etienne, SPOILER 4 Enfin, le résumé nous dit que « L’Épaisseur d’un cheveu ausculte notre part d’ombre« . Je suppose que l’idée est ici de faire comprendre que les féminicides ne sont pas commis seulement par des tueurs en puissance, mais que chacun de nous peut avoir recours à la violence, même extrême, dans certains cas. Je ne suis pas persuadée d’adhérer à cette idée. Évidemment, chacun a sa part d’ombre, mais je doute que chacun puisse, un jour, tuer, sur de simples suppositions, avec autant de précision et d’horreur que notre personnage principal. C’est une vision de l’être humain que je trouve assez glaçante.
Enfin, ce roman aborde aussi, de manière secondaire, puisque c’est un peu le décor en fond de l’histoire, le monde du livre et de la culture. En effet, Etienne et Vive évoluent dans le milieu parisien des galeries, des maisons d’édition et de l’art contemporain. Si Etienne a des idées bien arrêtés sur tout ça, le roman nous permet tout de même d’entrer momentanément dans ce milieu et d’en aborder certains aspects, comme la possible utilisation de l’IA en littérature.
Donc, un bon roman, bien écrit, qui reste assez difficile à lire, à la fois en raison de son sujet – le féminicide – que de la mise en avant de son personnage principal insupportable.
SPOILER 1 Et c’est là que le roman prend une direction que l’on peut juger comme on le veut, mais qui est intéressante : j’ai eu l’impression qu’Etienne devenait fou. Sa façon de parler, de détourner la conversation, de se mettre en avant, toujours, alors même qu’il est en salle d’interrogatoire pour le meurtre de sa femme qu’il est impossible de couvrir puisqu’il était couvert de son sang : on dirait que le personnage a lâché quelque chose et qu’il est entré dans un délire étrange. Je ne suis pas sûre de la façon d’interpréter cette fin : est-ce qu’il tente de manipuler le policier ? est-ce qu’il est dans le déni ? est-ce qu’il pense juste qu’il va s’en sortir parce qu’il est convaincu d’être dans le vrai, qu’il a eu raison de la tuer ? est-ce qu’il est à ce point déconnecté de la réalité ? Jusqu’à la fin, ce personnage est à vomir.
SPOILER 2 La façon dont Etienne tente de justifier son meurtre et le fait qu’il découvre qu’elle ne le trompait, en réalité, pas, ne font rien pour alléger l’horreur de son geste. La perversité du personnage va très loin : il prend des photos du cadavre de sa femme, comme un pied-de-nez morbide à son travail d’artiste qu’il a, au préalable, détruit pendant son absence.
SPOILER 3 mime peut-être l’état psychologie d’Etienne qui déraille déjà – mais a-t-il jamais été sain d’esprit ? ou est-ce une façon de nous montrer sa violence latente ?
SPOILER 4 l’ironie tragique étant qu’il s’est trompé sur pas mal de choses, notamment sur le fait que sa femme avait une liaison – ce qui n’est, évidemment et de toute façon, pas une raison pour lui faire le moindre mal, encore moins la tuer.
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