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I found myself in Wonderland.

Le Soldat désaccordé de Gilles Marchand

Classé dans : Avis littéraires,Coup de cœur — 14 octobre 2024 @ 19 h 35 min

Genre : HistoriqueLe Soldat désaccordé

Editeur : Les Forges de Vulcain

Année de sortie : 2022

Nombre de pages : 204

Synopsis : Paris, années 20, un ancien combattant est chargé de retrouver un soldat disparu en 1917. Arpentant les champs de bataille, interrogeant témoins et soldats, il va découvrir, au milieu de mille histoires plus incroyables les unes que les autres, la folle histoire d’amour que le jeune homme a vécu au milieu de l’enfer.
Alors que l’enquête progresse, la France se rapproche d’une nouvelle guerre et notre héros se jette à corps perdu dans cette mission désespérée, devenue sa seule source d’espoir dans un monde qui s’effondre.

 

Avis : Ce livre m’a été conseillé il y a quelques temps par une amie qui l’avait adoré. Intriguée par son enthousiasme, je l’avais noté puis oublié, comme souvent ! Il y a peu, pour un des cours du Master que je suis, il nous a été demandé de choisir un livre sorti récemment pour animer une séance « club lecture ». Ce roman m’est revenu en mémoire, je l’ai lu pour voir s’il y avait suffisamment à dire en terme d’analyse, de style, d’écriture.

Dès le début, le lecteur est interpellé par cette voix narrative qui lui raconte l’histoire de manière assez orale, mais aussi assez vraisemblable. Il est facile d’imaginer ce personnage qui nous parle de la guerre, de sa façon de la voir, de sa façon de vivre avec. Il devient assez vite attachant et le lecteur le suit avec plaisir au fil des pages. Rapidement, j’ai senti que ses enquêtes étaient une manière pour lui de ne pas raconter sa propre histoire tout en la gardant comme fil rouge. SPOILER 1 Maintenant que j’y pense, il me semble que le narrateur n’est jamais nommé, mais je peux me tromper – son anonymat renforcerait mon argument précédent, le fait qu’il ne veuille pas se centrer sur lui, mais sur d’autres, pour continuer à vivre. C’est d’ailleurs aussi « entendable » dans le parasitage régulier de la voix narrative par d’autres personnages qui racontent leur histoire : le narrateur est porte-parole, il s’efface derrière d’autres, alors même que sa voix est assez distinctive. En tout cas, cet ancien soldat enquête sur les disparitions de ses camarades tombés au front. Il mentionne aussi les tentatives de réhabilitation des soldats fusillés pour l’exemple, pour désertion ou mutinerie. J’ai trouvé ce point de vue assez intéressant : ce n’est pas vraiment l’angle d’approche privilégié pour évoquer la Première Guerre mondiale. Ceci dit, je n’ai pas lu tant de livres qui en traitent. Ce thème m’a aussi fait penser à Au revoir là-haut, qui évoque ce sujet de manière un peu différente, mais qui suit les mêmes grandes lignes : les auteurs traitent de l’ingratitude de l’Etat ou des habitants envers ces soldats destinés à n’être que de la chair à canon. A la fin de la guerre, la population veut reprendre une vie normale et oublier la guerre, ce qui est impossible pour les hommes qui ont échappé à la mort pour diverses raisons : stress post-traumatique, handicaps physiques ou mentaux, incapacité à travailler. On retrouve, dès le début du roman, des vétérans qui jouent dans la rue pour obtenir quelques pièces. On est loin du mythe du héros et de la patrie reconnaissante ; on sent, à travers les pages, le besoin d’ériger des monuments pour montrer cette gratitude, mais elle ne se réalise jamais concrètement auprès des survivants. En quelque sorte, ce qui ressort ici, c’est l’hypocrisie de l’époque, le fait de rendre hommage à ceux qui sont morts et de laisser dans la rue ceux qui sont revenus. Une forme de dichotomie est palpable entre le vécu des soldats et la volonté de l’Etat/la population. Sont aussi mentionnés dans l’œuvre des témoignages de la Première Guerre mondiale, comme A l’Ouest, rien de nouveau d’Eric-Maria Remarque ou Le Feu d’Henri Barbusse.

Ainsi, dans Le Soldat désaccordé, le lecteur ne vit pas vraiment la guerre avec le personnage, mais il se voit raconter les grandes étapes du parcours d’Emile Joplain. De Verdun à Vimy en passant par Arras, par exemple, il est amené à vivre, par double procuration, certaines scènes, que ce soit à l’infirmerie ou en plein no man’s land. On retrouve, bien sûr, de nombreuses références historiques, comme, par exemple, des noms d’officiers célèbres – encore une fois, je ne m’y connais pas assez pour les apprécier pleinement, mais j’ai reconnu celui du lieutenant-colonel Driant. De plus, je suis récemment passée voir une exposition sur les blessés de guerre dans laquelle étaient mentionnés, entre autres, le Dakin et les prothèses utilisées sur les amputés ; j’ai retrouvé les deux dans ce roman. L’auteur a fait des recherches approfondies mais, contrairement à ce qu’on aurait pu penser, et heureusement, il ne met à l’intérieur que ce qui est nécessaire sans vouloir faire un tableau complet de la guerre, ce qui aurait peut-être rapproché son roman des Bienveillantes, que je n’ai pas encore lu, mais dont j’entends souvent dire que l’auteur a voulu absolument tout mettre ce qui rend son récit invraisemblable. On se penche donc aussi ici sur le côté médical de la guerre, sur son côté horrible aussi, sans pour autant que l’écrivain nous abreuve de descriptions affreuses et détaillées des ravages de la guerre. Quelque part, il n’en a pas besoin : son absurdité, sa violence, le désespoir qu’elle a déclenché sont palpables dans le récit des différents personnages et dans celui, tardif, de notre narrateur. Nous parviennent, par leur entremise, les sentiments des Poilus : le doute, la honte, la culpabilité, la détermination, la résignation, et d’autres nuances encore. Donc, pas de mythification ici : le premier chapitre s’est débarrassé du côté héroïque de la guerre assez rapidement et de manière efficace. Si les soldats partent avec le sentiment de faire leur devoir, ils reviennent brisés, avec la conscience que cette guerre n’était pas nécessaire. J’ai vraiment eu le sentiment d’un hommage à de vrais hommes, et pas seulement à des images viriles et héroïques. Je ne l’ai pas mentionné jusque-là mais il est important de préciser que ce roman traite également du statut de l’Alsace et des Alsaciens pendant la Première Guerre mondiale, sujet que je n’ai jamais vu traiter auparavant – mais, encore une fois, je n’ai pas lu beaucoup de romans sur cette guerre. Le narrateur, ancien soldat français, se pose la question de leur point de vue dans tout cela, du fait que les Français partent faire la guerre pour eux sans leur demander leur avis ; il mentionne aussi la méfiance dont ils font l’objet en raison de leur « appartenance » à l’Allemagne pendant plusieurs années.

Au cœur de ce roman, comme le lecteur l’apprend assez vite, se cache une histoire d’amour. Je ne pense pas qu’on puisse dire que c’est l’histoire archétypale du Poilu qui part à la guerre avec, à l’arrière, une fiancée qui l’attend. En effet, SPOILER 2 Je ne veux pas trop vous en dire pour vous laisser apprécier le roman sans aucune révélation préalable, mais c’est une histoire que j’ai aimé suivre, en laquelle je croyais et dont la fin SPOILER 3

 

Je suis sûre que je n’ai pas tout dit sur ce roman, mais peut-être en ai-je dit suffisamment pour vous donner envie de le lire. Sachez que c’est, pour moi, un bel hommage, un livre très bien écrit, très prenant, et un coup de cœur que je ne peux que vous recommander chaudement ! Cela nous rappelle aussi à notre devoir de mémoire, mais pas tout fait celui que l’on nous demande officiellement : nous souvenir, bien sûr, mais pas seulement des héros tombés au combat, aussi des hommes terrifiés, revenus ou non, qui ont vécu un cauchemar pour une cause qui n’était pas forcément celle qu’ils croyaient.

 

 

SPOILER 1 Il me semblait étrange qu’il nous parle si souvent d’Anna mais que nous ne la voyions jamais. J’ai fini par deviner qu’il lui était arrivé quelque chose, mais je ne m’attendais pas à ce que sa fin nous soit racontée de manière si brutale – en écho avec la façon dont elle est morte, sans avertissement, du jour au lendemain. La narration mimait parfaitement la rapidité de sa disparition et le désespoir du personnage, son choc face à cette femme qui est là un instant, morte l’instant suivant.

SPOILER 2 loin d’attendre à l’arrière, Lucie décide de se rendre sur le front pour retrouver Emile. Elle fait ainsi montre d’un courage hors-norme pour plusieurs raisons : elle est Alsacienne et elle traverse la frontière française alors même que le statut des Alsaciens est, pour le moins, spécial ; elle traverse le no man’s land pendant la nuit, donc elle peut se faire tirer dessus à n’importe quel moment – les soldats qui l’ont vue pensent, d’ailleurs, qu’elle est une créature surnaturelle parce qu’il est pour eux impossible qu’elle évite les bombes et les balles de cette façon – ; elle passe de région en région, de travail en travail et elle a le cran de se faire embauchée par l’armée allemande pour retrouver Emile qui est un soldat français ! Vraiment, Lucie n’est pas le personnage féminin passif que l’on aurait pu imaginer dans ce genre de récit.

SPOILER 3 m’a un peu brisé le cœur : savoir qu’Emile est à quelques mètres de Lucie qui dépérit sans que ni l’un ni l’autre ne le sache … L’ironie est trop forte pour moi !

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