Les Furtifs d’Alain Damasio
Editeur : Folio SF
Année de sortie : 2021 [2019]
Nombre de pages : 929
Synopsis : Ils sont là, parmi nous, jamais où tu regardes, à circuler dans les angles morts de la vision humaine. On les appelle les furtifs. Des fantômes ? Plutôt l’exact inverse : des êtres de chair et de sons, à la vitalité hors norme, qui métabolisent dans leur trajet pierres, déchets, animaux ou plantes pour alimenter leurs métamorphoses incessantes. Lorca Varèse, sociologue pour communes autogérées, et sa femme, Sahar, proferrante dans la rue pour les enfants que l’Éducation nationale, en faillite, a abandonnés, ont vu leur couple brisé par la disparition de leur fille unique de quatre ans, Tishka – volatilisée un matin, inexplicablement. Sahar ne parvient pas à faire son deuil alors que Lorca, convaincu que sa fille est partie avec les furtifs, intègre une unité clandestine de l’armée chargée de chasser ces animaux extraordinaires. Peu à peu, ils apprendront à apprivoiser leur puissance de fuite et à renouer, grâce à eux, avec ce vivant que nos sociétés excommunient.
Avis : La Horde du contrevent se trouve dans ma PAL depuis longtemps mais, intimidée, je n’ose jamais me lancer. Un collègue m’a conseillé de commencer par Les Furtifs, plus accessible selon lui.
Si, pendant les premières pages, j’ai eu du mal avec la langue, je ne peux que reconnaître la virtuosité de l’auteur qui manie les mots comme bon lui semble tout en gardant leur sens. Pour chaque personnage, le langage et sa forme s’adaptent : j’avais plus de mal avec Nèr, non pas à cause du vocabulaire plus grossier qu’il utilise, mais à cause de sa façon très saccadée de penser. J’ai fini par m’y faire et par laisser le récit m’attirer de plus en plus loin dans le roman.
J’ai adoré l’idée des furtifs et le message porté à travers eux d’une nature sauvage mais pas forcément brutale ou violente, d’une vie sans traces, sans technologie et dans la transformation constante. J’ai également trouvé leur existence poétique et leur lien avec la musique touchant. Je me suis plutôt attachée aux personnages : j’ai aimé Saskia et Sahar, j’ai apprécié Lorca et Agüero, Toni m’a fait rire – seul Nèr ne m’a pas autant touchée. J’ai trouvé l’histoire du couple à la recherche de leur fille, Tishka, émouvant et beau dans leur détermination et leur courage mais aussi SPOILER 1 J’ai beaucoup aimé les passages à propos de la nature, de la façon dont les êtres humains la traitent, de la façon dont ils semblent ne pas comprendre la valeur de la vie, de toute vie, y compris celle d’autres êtres comme eux. Certaines scènes sont très émouvantes ; j’ai vraiment quelques larmes, j’ai annoté, souligné quelques phrases pour ne pas les oublier. Je dois aussi dire que ce roman est très vraisemblable : j’ai clairement eu l’impression que tout cela pouvait arriver ! Les moments où les politiciens s’expriment ou ceux durant lesquels les journalistes prennent la parole m’ont fait grincer des dents tant je pouvais y croire ! A ce sujet, les dialogues et la façon de parler des personnages sont authentiques, sonnent vrai et n’ont rien d’artificiel.
Bien sûr, connaissant un peu l’auteur, le livre ne pouvait qu’être politique dans une large mesure. Et, en effet, les personnages sont en lutte contre un état presque totalitaire qui prive les citoyens de liberté. Dans ce futur, l’utopie est loin : (spoiler léger pour ceux qui ne voudraient rien savoir) l’Education Nationale a disparu, laissant les enfants dans les rues, sans enseignement ; certains quartiers sont réservés aux citoyens premium ou privilège, occasionnant des amendes pour ceux qui n’ont pas le droit de les emprunter ; la publicité est partout, toujours et les moindres faits et gestes des habitants sont connus pour peu que ceux-ci portent une bague. Les villes ont été rachetées par des grandes entreprises. (fin du spoiler léger) Bref, nous sommes très loin d’un pays qui appartient à ses habitants, d’une ville saine ou d’un gouvernement qui se préoccupe de ses citoyens. L’argent règne en maître et la vie privée n’existe presque plus.
A ce modèle, l’auteur oppose celui des communes autogérées, des ZAG (Zone Auto-Gouvernées) et des personnages ivres de liberté. J’ai apprécié ces passages auprès d’eux, mais je me suis aussi demandé si ce n’était pas également une utopie. J’y ai vu une forme d’idéalisme qui ne me gêne pas forcément, mais que j’ai pris pour tel. Et c’est en me rendant compte de cela et, surtout, avec la fin du roman, que je me suis un peu détachée du livre. En effet, j’ai eu l’impression que l’auteur voulait tant délivrer un message qu’en fin de compte, je n’étais plus dans une fiction, je ne lisais plus de littérature, mais je lisais un texte porteur d’une idée que je devais assimiler. C’était, pour moi, de la littérature engagée : je n’ai rien contre, mais ce n’est pas ce que je préfère. Et j’ai ainsi eu l’impression de m’éloigner de la science-fiction, que le message était trop gros, prenait trop de place par rapport à l’histoire. Autre « bémol » : la fin m’a semblé un peu décalée par rapport au livre ; j’ai eu, à nouveau, du mal à entrer. Enfin, le livre est très long : il m’a tenue pendant un moment mais peut-être que la fin, tellement étrange en fin de compte, m’a fait décrocher au dernier moment. C’était, pour autant, une très bonne lecture et je continuerai à lire l’auteur !
Donc, un très bon roman, prenant et ingénieux, qui traite de la nature et de politique, mais qui, de par sa longueur, n’a pas réussi à me tenir tout à fait jusqu’à la fin.
SPOILER 1 dans leur acceptation de la petite une fois qu’ils ont compris qu’elle avait changé « définitivement ».
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