Les Grandes oubliées : Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes de Titiou Lecoq
Editeur : Collection Proche
Année de sortie : 2023 [2021]
Nombre de pages : 224
Synopsis : L’Histoire revisitée sous l’angle féminin : raconter et comprendre ce grand oubli dans lequel sont tombées les femmes de la Préhistoire jusqu’à nos jours.
« On nous a appris que l’histoire avait un sens et que, concernant les femmes, elle allait d’un état de servitude totale vers une libération complète, comme si la marche vers l’égalité était un processus naturel. Ce n’est pas exact. On a travesti les faits. On a effacé celles qui avaient agi, celles qui, dans le passé, avaient gouverné, parlé, dirigé, créé.»
A la préhistoire, les femmes chassaient, au Moyen Âge, elles étaient bâtisseuses de cathédrales ou encore espionnes durant la guerre de Cent Ans ; au XIXe siècle, elles furent journalistes… À chaque époque, elles ont agi, dirigé, créé, gouverné mais une grande partie d’entre elles n’apparaissent pas dans les manuels d’histoire. Dans la lignée des travaux de Michelle Perrot, Titiou Lecoq passe au crible les découvertes les plus récentes. Elle analyse, décortique les mécanismes, s’insurge, s’arrête sur des vies oubliées pour les mettre en lumière. Sa patte mordante donne à cette lecture tout son sel. Les femmes ne se sont jamais tues. Ce livre leur redonne leur voix.
Avis : C’est une petite vidéo sur Insta d’une créatrice que je suis qui m’a donné très envie d’enfin sauter le pas et me prendre Les Grandes oubliées à sa sortie en poche.
L’autrice nous offre ici un essai féministe sur la place des femmes dans l’Histoire ou, plutôt, sur l’effacement de leur place. Plutôt que d’en donner les raisons, elle explique qu’elles n’ont jamais été absentes des grandes phases de l’Histoire et montre en quoi elles étaient présentes, ce qu’elles faisaient, ce que l’on n’apprend pas à l’école – parce que cela ne se trouve pas au programme ni dans les manuels notamment, puisque ceux-ci sont exclusivement (ou presque) tournés vers des figures masculines et que les femmes se trouvent dans des encarts spécifiques ou dans une entrée du programme sur la lutte pour leurs droits. Je me suis aussi assez souvent reconnue quand Titiou Lecoq évoque son anticipation des cours d’histoire, enfant, et sa désillusion, adulte, quand elle se rend compte qu’on lui a appris une partie de l’Histoire en laissant de côté ce qui, apparemment, n’est pas si important ou à l’écart de la « vraie » Histoire.
Je dois dire que je me suis parfois énervée en lisant : pourquoi ne raconter qu’une partie, des semi-vérités ? Pourquoi est-ce qu’en arrivant dans la vingtaine, j’étais convaincue que le Moyen Âge était une période sombre alors que la Renaissance était formidable ? Pourquoi ne traite-t-on pas de l’Histoire entière ? Et pourquoi, mais POURQUOI, considère-t-on que les femmes n’ont rien fait quand elles sont partout, juste écartées du discours national ? Je ne dois qu’à ma curiosité de connaître les noms de Frédégonde ou de Brunehaut/Brunehilde, qu’à mon envie de lire des femmes « classiques » d’avoir entendu parler, voire lu, Christine de Pizan ou Louise Labé. Mais je ne connaissais aucune dramaturge avant de lire ce livre. Pourquoi ? Je ne comprends pas l’intérêt de minimiser l’apport des femmes : la réussite des uns (ici, des unes du coup) ne diminue pas celle des autres. Ce n’est pas une compétition, ce sont les faits ! J’étais aussi un peu abasourdie de voir que l’oubli est aussi récent qu’ancien !
Elle fait également un sort au mythe du progrès qui voudrait que la condition des femmes s’améliore de siècle en siècle, avec l’idée, par exemple, qu’elles n’avaient aucun droit au Moyen Âge. Vous savez, la célèbre expression du « on n’est plus au Moyen Âge » quand on parle des droits des femmes ? On peut la jeter à la poubelle du coup. Je le sais depuis un moment, mais cet essai en remet une couche bienvenue ! Il n’y a pas non plus d’idéalisation des Lumières, de la Renaissance ou de la Révolution ici : les faits, donc. Et ce n’est pas très joli, comme le XIXe siècle et son invisibilisation des femmes – j’adore ce siècle, notamment pour sa littérature et les grands auteurs qui en sortent, mais pour les femmes, ce n’est clairement pas la meilleure période … L’autrice traite aussi de la langue, ce que j’ai beaucoup apprécié parce que je me pose pas mal de questions à ce sujet.
Ce que j’ai particulièrement aimé ici, c’est que l’autrice fournit toutes ses sources. A aucun moment, le lecteur ne se retrouve avec une théorie ou une affirmation historique sans avoir l’essai ou le travail d’historien dont elle est tirée. Evidemment, ma wish-list a explosé, puisque ces sources sont données pour permettre à ceux qui le souhaitent de se plonger plus avant dans les sujets qu’ils veulent creuser. J’étais d’ailleurs contente de constater que j’avais déjà lu certains des ouvrages cités ! Ainsi, même si cet ouvrage en est un de vulgarisation, il est possible d’approfondir pour les lecteurs intéressés, à travers des livres, mais aussi des articles ou des podcasts.
Enfin, j’ajouterais que, malgré ma colère, j’ai ri à plusieurs reprises parce que l’autrice s’exprime avec humour et sans être guindée. Elle ne rédige pas en historienne, mais en transmettrice (bon, le site me dit que c’est une erreur d’orthographe, mais tant pis !) ce qui rend son discours plus accessible à tous et pas seulement à ceux qui ont un parcours universitaire ou qui sont déjà versés dans l’Histoire.
Donc, un excellent essai, court et accessible, qui part de la Préhistoire pour arriver à nos jours en traitant de faits et en donnant ses sources. A mettre entre toutes les mains !