La Séquence Aardtman de Saul Pandelakis
Editeur : Hélios
Année de sortie : 2023 [2021]
Nombre de pages : 623
Synopsis : Alors que la Terre devient progressivement inhabitable, les êtres humains restants doivent cohabiter avec des bots post-singularité. Pour faire face à l’effondrement climatique, des navettes spatiales sont envoyées à travers la galaxie, à la recherche de planètes susceptibles d’être terraformées.
Le vaisseau ari-me poursuit cette mission. À son bord, Roz, homme transgenre, est l’un des informaticiens en charge de l’intelligence artificielle navigatrice. Mais quand un problème inattendu sur l’IA survient, il a besoin d’aide pour y faire face. Il la trouve auprès d’Asha, une chercheuse bot transgenre, qui milite sur Terre pour la cause des siens.
Entre Terre et espace, la correspondance entre Roz et Asha va rapidement prendre une importance cruciale. Jusqu’où celle-ci va-t-elle les mener ?
Avis : J’ai reçu ce livre de la part de la maison d’édition, ActuSF, que je remercie chaleureusement : sans le mail de l’éditeur, je serais sans doute passée à côté de ce roman et quelle perte !
A la vue de la couverture et du résumé, je ne savais pas trop quoi penser de La Séquence Aardtman. La première est intrigante, mais ne me semblait pas être mon style ; le second m’a interpellée tout en me rendant méfiante – je ne suis pas fan de la mention du genre ou de la sexualité des personnages dans le synopsis, cela donne l’impression d’un argument de vente. Mais la cohabitation humains/bots, l’effondrement climatique, la recherche de planètes à terraformer, la cause des bots : tout cela m’a donné très envie, j’ai donc sauté le pas !
Quand j’ai commencé ce roman, j’hésitais avec un autre, donc je les ai commencés tous les deux le même soir pour voir lequel me conviendrait mieux en me disant que je n’allais lire que le début de chacun, voire le premier chapitre. Dès la première page, j’ai découvert une façon d’écrire que j’ai aimée, qui m’a charmée, et je n’ai pas arrêté de lire le livre jusqu’à ce qu’il soit achevé. C’était une envolée, une prise d’otages sans espoir d’échappée avant la dernière ligne. J’ai été happée par les mots, par les personnages, par l’histoire : j’étais complètement dedans. J’avais envie de ne faire que lire tout en ayant envie de faire durer le roman le plus longtemps possible pour rester avec cette écriture, avec ces bots et ces humains, avec cette intrigue en deux temps. Et c’était, évidemment, un immense coup de cœur ! Mais allons-y point par point !
Le premier élément qui m’a donc séduite, c’est l’écriture. Dans certaines de mes chroniques de romans francophones, je mentionne les problèmes de langue, que ce soit au niveau de la syntaxe, de l’orthographe ou des expressions figées qui ne sont pas écrites correctement. Ici, en plus d’être correcte syntaxiquement, grammaticalement et orthographiquement parlant, la langue était un délice. Les dialogues, écrits en français plus « relâché », oral, sonnent authentiques et la narration reste d’excellente qualité. Pas de froncement de sourcil face à une phrase alambiquée ou un mot mal employé : tout est à sa place. Plus encore, se dégage de ses pages une forme de poésie, une écriture toute particulière que j’ai vraiment adoré lire. C’était fluide, agréable et je me suis retrouvée à surligner certains passages tant ils sonnaient vrais, résonnaient de manière particulière ou étaient simplement beaux.
Puis, sont venus, ensemble, l’intrigue et les personnages. Je commencerai par la première. Nous suivons Roz et Asha, qui se trouvent très éloignés l’un de l’autre : le premier est sur un vaisseau au milieu de l’espace, la seconde est sur Terre. Le lecteur est ici confronté à deux environnements très différents, mais aussi aux lois de la relativité : par exemple, le temps ne s’écoule pas de la même façon pour nos deux protagonistes. Cela permet aussi d’aborder des notions comme la santé mentale dans un espace confiné avec les mêmes personnes, potentiellement pour toute une vie. Le cœur de l’œuvre reste, selon moi, l’altérité. En effet, Asha est une bot et elle vit dans un monde où ses semblables ont enfin des droits - ce monde est donc passé par un état de conscience des intelligences artificielles et par l’incarnat. Rien que cet aspect est passionnant. J’ai d’ailleurs, à un moment donné, préféré les chapitres se centrant sur Asha – avant que Roz ne revienne dans la danse avec force. Sont également évoqués l’extinction probable et approchante de l’humanité et les différents points de vue sur les bots, les humains, leur cohabitation, ce qui, là encore, est passionnant et devient très politique. On passe de la suprématie humaine à la suprématie bot en passant par la cohabitation saine entre les deux « espèces », les jugements des uns sur l’incarnat, des autres sur le manque d’ »humanité » des bots, certains qui tentent de ne pas entrer dans le débat, d’autres encore qui ne se rendent pas compte des remarques anti-bot qu’ils peuvent sortir sans y penser : autant de sujets qui semblent vrais, comme si les bots étaient déjà là. J’avais l’impression que tout cela se passait vraiment quelque part, ce qui rendait le roman actuel, présent. Mais j’ai sans doute aussi eu cette impression parce que « l’altérité » est présente autrement : tous les personnages présentés, ou presque, sont transgenres, gays ou lesbiennes. Dans notre société principalement hétérosexuelle, ces genres ou orientations sont encore perçus comme autres. De là à faire de ce roman une métaphore de la lutte pour les droits LGBT, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas : j’ai lu ce roman pour son côté SF et je n’aimerais pas réduire une œuvre à une interprétation possible. Toujours est-il que j’ai adoré cette diversité non forcée aux antipodes d’œuvres que j’ai pu lire dans lesquelles j’avais l’impression d’une liste à cocher. C’était naturel, évident ici. Le seul élément qui m’a gênée, plutôt vers la fin de l’œuvre : un commentaire sur la bêtise/l’absence de bon sens et d’intelligence des hommes cis hétéros. Cela m’a semblé être une généralité un peu dommageable : pourquoi partir dans un excès inverse ? Je ne dis pas que c’est la pensée de l’auteur, évidemment, puisque c’est un de ses personnages qui le pensait au sein de la narration ; c’est simplement le seul élément qui m’a fait hausser un sourcil sans gâcher ma lecture ni entacher mon coup de cœur. Pour finir sur l’intrigue, je trouve que le synopsis en dit un peu trop : effectivement, une correspondance va se mettre en place entre Asha et Roz, mais cela arrive très tardivement dans le roman, tellement tardivement que j’avais oublié cette partie de l’histoire. Cela permet, par ailleurs, de creuser davantage les personnages individuellement.
Passons donc à ces personnages ! Asha, donc, est une bot qui tente d’écrire sur le corps et d’expliquer son point de vue dans les médias sur la cohabitation humains/bots tout en ne voulant pas tout à fait s’impliquer politiquement, en tout cas, pas au point de certains de ses amis, bots ou humains, comme Clélia ou Zahir. J’ai d’ailleurs beaucoup aimé qu’elle ne soit pas aussi militante que d’autres personnages, parce que cela la rend, peut-être, plus proche du lecteur « lambda ». J’ai rapidement adoré la suivre, non seulement parce qu’elle est l’incarnation de cette nouvelle entité du futur, mais aussi parce qu’elle est profondément humaine, au sens où elle ressent des émotions, a des relations complexes, vit comme un être humain, mais aussi pas du tout comme eux. Elle est très différente des « machines » qu’imaginent encore certains humains : elle est vivante, consciente, indépendante, autonome, pas seulement des process, un programme, de la ferraille. J’ai adoré découvrir, à travers elle, mais aussi à travers les interludes qui coupent les alternances de chapitres entre Asha et Roz, l’émergence des bots, leur « venue au monde », la lutte pour leurs droits. SPOILER 1 C’était fascinant de découvrir son passé, sa « naissance », comment elle vit et « fonctionne ». Quant à Roz, il se trouve dans un vaisseau très loin de chez lui. SPOILER 2 J’ai trouvé les chapitres le concernant très bons, mais j’étais moins dans son histoire que dans celle d’Asha SPOILER 3 J’ai aimé découvrir, peu à peu, ses compagnons de voyage, les relations qu’il tisse avec eux, qu’elles soient positives ou non, mais aussi le vaisseau, ses différentes pièces, son environnement, son ambiance.
Enfin, un mot sur la fin. J’ai eu très peur qu’elle me déçoive au sens où SPOILER 4 Ce ne fut pas le cas. Je l’ai trouvée belle, même si j’ai quitté le roman à regret. J’avais envie qu’il dure encore, suivre encore les personnages SPOILER 5
Donc, un excellent roman et un énorme coup de cœur que je recommande à tous les fans de SF mais aussi à ceux qui veulent imaginer un futur où coexistent bots et humains, porté par une écriture remarquable.
SPOILER 1 La partie sur les bots sexuels m’a horrifiée, même si, malheureusement, je m’y attendais.
SPOILER 2 Le lecteur comprend rapidement qu’il ne va pas très bien, voire qu’il est déprimé. En effet, il est à des milliers de kilomètres de chez lui, entouré par le vide intersidéral, enfermé avec d’autres êtres humains qu’il apprécie plus ou moins selon les cas, sans grand-chose à faire de ses journées si ce n’est vérifier les logs de l’IA du vaisseau, Alexander, qui n’a pas besoin de lui pour fonctionner. Le problème que va rencontrer le vaisseau va lui donner une nouvelle « raison de vivre », en quelque sorte, puisqu’il va devoir s’assurer qu’Aardtman est viable et le former. J’ai adoré cette partie du roman, le fait qu’il lui faille quelque chose à faire pour aller mieux et qu’il se sente coupable de cela, qu’il en parle à Maman, la personne en charge du suivi psychologique des astronautes. J’ai trouvé cela vraisemblable, je me suis sentie d’autant plus proche de lui, il était d’autant plus vrai pour moi.
SPOILER 3 jusqu’au moment où Alex crashe et le vaisseau s’arrête.
SPOILER 4 le démantèlement d’Asha semblait une conclusion trop triste à ce roman. J’avais vraiment envie qu’elle continue à vivre, malgré tout. Je ne m’y attendais pas, mais j’ai sangloté lors du démantèlement de Tondo et je ne voulais vraiment pas imaginer ça pour Asha, personnage auquel je me suis rapidement attachée et que j’ai tant aimé. La mort de Clélia était aussi une claque en pleine figure ; le double deuil auquel doit faire face la jeune bot est terrible, d’autant plus qu’elle est encore en train de réfléchir aux différences entre humains et bots, à leurs expériences parallèles, mais qui ne se croiseraient jamais. Ici, elle fait l’expérience de quelque chose que l’on aurait pu imaginer impossible pour les bots : forcément, le backup existe et qui voudrait se faire démanteler alors qu’il peut vivre « éternellement » ? J’ai adoré que ce sujet soit abordé, l’idée d’une fin de vie aussi pour les bots, à la fois voulue pour Tondo et subie pour Clélia, qui connaissait les risques qu’elle encourait et qui a tout de même fait le choix de partir. Sont aussi abordés la question de la douleur et l’aspect « médical » de la vie des bots.
SPOILER 5 arriver au prochain tie-in et poursuivre la correspondance entre Asha et Roz. Savoir si ari-me a atteint une planète terraformable. Continuer à voir évoluer Asha au milieu de l’extinction humaine. Mais il est logique que le roman s’arrête là, laissant le lecteur suspendu : qu’arrive-t-il à nos personnages après ce dernier message et la décision d’Asha ?