Redbluemoon

I found myself in Wonderland.

Archive pour avril, 2023

La Séquence Aardtman de Saul Pandelakis

Posté : 29 avril, 2023 @ 8:41 dans Avis littéraires, Coup de cœur | Pas de commentaires »

Genre : Science-Fiction La Séquence Aardtman

Editeur : Hélios

Année de sortie : 2023 [2021]

Nombre de pages : 623

Synopsis : Alors que la Terre devient progressivement inhabitable, les êtres humains restants doivent cohabiter avec des bots post-singularité. Pour faire face à l’effondrement climatique, des navettes spatiales sont envoyées à travers la galaxie, à la recherche de planètes susceptibles d’être terraformées.

Le vaisseau ari-me poursuit cette mission. À son bord, Roz, homme transgenre, est l’un des informaticiens en charge de l’intelligence artificielle navigatrice. Mais quand un problème inattendu sur l’IA survient, il a besoin d’aide pour y faire face. Il la trouve auprès d’Asha, une chercheuse bot transgenre, qui milite sur Terre pour la cause des siens.

Entre Terre et espace, la correspondance entre Roz et Asha va rapidement prendre une importance cruciale. Jusqu’où celle-ci va-t-elle les mener ?

 

Avis : J’ai reçu ce livre de la part de la maison d’édition, ActuSF, que je remercie chaleureusement : sans le mail de l’éditeur, je serais sans doute passée à côté de ce roman et quelle perte !

A la vue de la couverture et du résumé, je ne savais pas trop quoi penser de La Séquence Aardtman. La première est intrigante, mais ne me semblait pas être mon style ; le second m’a interpellée tout en me rendant méfiante – je ne suis pas fan de la mention du genre ou de la sexualité des personnages dans le synopsis, cela donne l’impression d’un argument de vente. Mais la cohabitation humains/bots, l’effondrement climatique, la recherche de planètes à terraformer, la cause des bots : tout cela m’a donné très envie, j’ai donc sauté le pas !

Quand j’ai commencé ce roman, j’hésitais avec un autre, donc je les ai commencés tous les deux le même soir pour voir lequel me conviendrait mieux en me disant que je n’allais lire que le début de chacun, voire le premier chapitre. Dès la première page, j’ai découvert une façon d’écrire que j’ai aimée, qui m’a charmée, et je n’ai pas arrêté de lire le livre jusqu’à ce qu’il soit achevé. C’était une envolée, une prise d’otages sans espoir d’échappée avant la dernière ligne. J’ai été happée par les mots, par les personnages, par l’histoire : j’étais complètement dedans. J’avais envie de ne faire que lire tout en ayant envie de faire durer le roman le plus longtemps possible pour rester avec cette écriture, avec ces bots et ces humains, avec cette intrigue en deux temps. Et c’était, évidemment, un immense coup de cœur ! Mais allons-y point par point !

Le premier élément qui m’a donc séduite, c’est l’écriture. Dans certaines de mes chroniques de romans francophones, je mentionne les problèmes de langue, que ce soit au niveau de la syntaxe, de l’orthographe ou des expressions figées qui ne sont pas écrites correctement. Ici, en plus d’être correcte syntaxiquement, grammaticalement et orthographiquement parlant, la langue était un délice. Les dialogues, écrits en français plus « relâché », oral, sonnent authentiques et la narration reste d’excellente qualité. Pas de froncement de sourcil face à une phrase alambiquée ou un mot mal employé : tout est à sa place. Plus encore, se dégage de ses pages une forme de poésie, une écriture toute particulière que j’ai vraiment adoré lire. C’était fluide, agréable et je me suis retrouvée à surligner certains passages tant ils sonnaient vrais, résonnaient de manière particulière ou étaient simplement beaux.

Puis, sont venus, ensemble, l’intrigue et les personnages. Je commencerai par la première. Nous suivons Roz et Asha, qui se trouvent très éloignés l’un de l’autre : le premier est sur un vaisseau au milieu de l’espace, la seconde est sur Terre. Le lecteur est ici confronté à deux environnements très différents, mais aussi aux lois de la relativité : par exemple, le temps ne s’écoule pas de la même façon pour nos deux protagonistes. Cela permet aussi d’aborder des notions comme la santé mentale dans un espace confiné avec les mêmes personnes, potentiellement pour toute une vie. Le cœur de l’œuvre reste, selon moi, l’altérité. En effet, Asha est une bot et elle vit dans un monde où ses semblables ont enfin des droits - ce monde est donc passé par un état de conscience des intelligences artificielles et par l’incarnat. Rien que cet aspect est passionnant. J’ai d’ailleurs, à un moment donné, préféré les chapitres se centrant sur Asha – avant que Roz ne revienne dans la danse avec force. Sont également évoqués l’extinction probable et approchante de l’humanité et les différents points de vue sur les bots, les humains, leur cohabitation, ce qui, là encore, est passionnant et devient très politique. On passe de la suprématie humaine à la suprématie bot en passant par la cohabitation saine entre les deux « espèces », les jugements des uns sur l’incarnat, des autres sur le manque d’ »humanité » des bots, certains qui tentent de ne pas entrer dans le débat, d’autres encore qui ne se rendent pas compte des remarques anti-bot qu’ils peuvent sortir sans y penser : autant de sujets qui semblent vrais, comme si les bots étaient déjà là. J’avais l’impression que tout cela se passait vraiment quelque part, ce qui rendait le roman actuel, présent. Mais j’ai sans doute aussi eu cette impression parce que « l’altérité » est présente autrement : tous les personnages présentés, ou presque, sont transgenres, gays ou lesbiennes. Dans notre société principalement hétérosexuelle, ces genres ou orientations sont encore perçus comme autres. De là à faire de ce roman une métaphore de la lutte pour les droits LGBT, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas : j’ai lu ce roman pour son côté SF et je n’aimerais pas réduire une œuvre à une interprétation possible. Toujours est-il que j’ai adoré cette diversité non forcée aux antipodes d’œuvres que j’ai pu lire dans lesquelles j’avais l’impression d’une liste à cocher. C’était naturel, évident ici. Le seul élément qui m’a gênée, plutôt vers la fin de l’œuvre : un commentaire sur la bêtise/l’absence de bon sens et d’intelligence des hommes cis hétéros. Cela m’a semblé être une généralité un peu dommageable : pourquoi partir dans un excès inverse ? Je ne dis pas que c’est la pensée de l’auteur, évidemment, puisque c’est un de ses personnages qui le pensait au sein de la narration ; c’est simplement le seul élément qui m’a fait hausser un sourcil sans gâcher ma lecture ni entacher mon coup de cœur. Pour finir sur l’intrigue, je trouve que le synopsis en dit un peu trop : effectivement, une correspondance va se mettre en place entre Asha et Roz, mais cela arrive très tardivement dans le roman, tellement tardivement que j’avais oublié cette partie de l’histoire. Cela permet, par ailleurs, de creuser davantage les personnages individuellement.

Passons donc à ces personnages ! Asha, donc, est une bot qui tente d’écrire sur le corps et d’expliquer son point de vue dans les médias sur la cohabitation humains/bots tout en ne voulant pas tout à fait s’impliquer politiquement, en tout cas, pas au point de certains de ses amis, bots ou humains, comme Clélia ou Zahir. J’ai d’ailleurs beaucoup aimé qu’elle ne soit pas aussi militante que d’autres personnages, parce que cela la rend, peut-être, plus proche du lecteur « lambda ». J’ai rapidement adoré la suivre, non seulement parce qu’elle est l’incarnation de cette nouvelle entité du futur, mais aussi parce qu’elle est profondément humaine, au sens où elle ressent des émotions, a des relations complexes, vit comme un être humain, mais aussi pas du tout comme eux. Elle est très différente des « machines » qu’imaginent encore certains humains : elle est vivante, consciente, indépendante, autonome, pas seulement des process, un programme, de la ferraille. J’ai adoré découvrir, à travers elle, mais aussi à travers les interludes qui coupent les alternances de chapitres entre Asha et Roz, l’émergence des bots, leur « venue au monde », la lutte pour leurs droitsSPOILER 1 C’était fascinant de découvrir son passé, sa « naissance », comment elle vit et « fonctionne ». Quant à Roz, il se trouve dans un vaisseau très loin de chez lui. SPOILER 2 J’ai trouvé les chapitres le concernant très bons, mais j’étais moins dans son histoire que dans celle d’Asha SPOILER 3 J’ai aimé découvrir, peu à peu, ses compagnons de voyage, les relations qu’il tisse avec eux, qu’elles soient positives ou non, mais aussi le vaisseau, ses différentes pièces, son environnement, son ambiance.

Enfin, un mot sur la fin. J’ai eu très peur qu’elle me déçoive au sens où SPOILER 4 Ce ne fut pas le cas. Je l’ai trouvée belle, même si j’ai quitté le roman à regret. J’avais envie qu’il dure encore, suivre encore les personnages SPOILER 5

 

Donc, un excellent roman et un énorme coup de cœur que je recommande à tous les fans de SF mais aussi à ceux qui veulent imaginer un futur où coexistent bots et humains, porté par une écriture remarquable. 

 

SPOILER 1 La partie sur les bots sexuels m’a horrifiée, même si, malheureusement, je m’y attendais. 

SPOILER 2 Le lecteur comprend rapidement qu’il ne va pas très bien, voire qu’il est déprimé. En effet, il est à des milliers de kilomètres de chez lui, entouré par le vide intersidéral, enfermé avec d’autres êtres humains qu’il apprécie plus ou moins selon les cas, sans grand-chose à faire de ses journées si ce n’est vérifier les logs de l’IA du vaisseau, Alexander, qui n’a pas besoin de lui pour fonctionner. Le problème que va rencontrer le vaisseau va lui donner une nouvelle « raison de vivre », en quelque sorte, puisqu’il va devoir s’assurer qu’Aardtman est viable et le former. J’ai adoré cette partie du roman, le fait qu’il lui faille quelque chose à faire pour aller mieux et qu’il se sente coupable de cela, qu’il en parle à Maman, la personne en charge du suivi psychologique des astronautes. J’ai trouvé cela vraisemblable, je me suis sentie d’autant plus proche de lui, il était d’autant plus vrai pour moi.

SPOILER 3 jusqu’au moment où Alex crashe et le vaisseau s’arrête. 

SPOILER 4 le démantèlement d’Asha semblait une conclusion trop triste à ce roman. J’avais vraiment envie qu’elle continue à vivre, malgré tout. Je ne m’y attendais pas, mais j’ai sangloté lors du démantèlement de Tondo et je ne voulais vraiment pas imaginer ça pour Asha, personnage auquel je me suis rapidement attachée et que j’ai tant aimé. La mort de Clélia était aussi une claque en pleine figure ; le double deuil auquel doit faire face la jeune bot est terrible, d’autant plus qu’elle est encore en train de réfléchir aux différences entre humains et bots, à leurs expériences parallèles, mais qui ne se croiseraient jamais. Ici, elle fait l’expérience de quelque chose que l’on aurait pu imaginer impossible pour les bots : forcément, le backup existe et qui voudrait se faire démanteler alors qu’il peut vivre « éternellement » ? J’ai adoré que ce sujet soit abordé, l’idée d’une fin de vie aussi pour les bots, à la fois voulue pour Tondo et subie pour Clélia, qui connaissait les risques qu’elle encourait et qui a tout de même fait le choix de partir. Sont aussi abordés la question de la douleur et l’aspect « médical » de la vie des bots. 

SPOILER 5 arriver au prochain tie-in et poursuivre la correspondance entre Asha et Roz. Savoir si ari-me a atteint une planète terraformable. Continuer à voir évoluer Asha au milieu de l’extinction humaine. Mais il est logique que le roman s’arrête là, laissant le lecteur suspendu : qu’arrive-t-il à nos personnages après ce dernier message et la décision d’Asha ? 

Celui qui a vu la forêt grandir de Lina Nordquist

Posté : 23 avril, 2023 @ 8:09 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

Genre : HistoriqueCelui qui a vu la forêt grandir

Editeur : Buchet Chastel

Année de sortie : 2023 [2021]

Titre en VO : Dit du går, följer jag

Nombre de pages : 447

Synopsis : « Si j’avais su prédire l’avenir, je n’aurais rien fait pour l’arrêter. Le chagrin ne mesure pas le bien et le mal. Le bonheur ne s’encombre pas de la morale. »

1897. Recherchée pour avoir pratiqué des avortements, Unni fuit la Norvège avec son compagnon et son bébé. Après avoir traversé les montagnes, la famille arrive en Suède, dans la province reculée du Hälsingland, et s’installe dans une ferme délabrée, à l’endroit le plus ensoleillé de la forêt. C’est ici qu’ils construiront leur vie, à la merci d’une nature splendide et terrible, qui leur donnera autant qu’elle leur prendra.

1973. Dans la même maison, deux veuves se font face. Entre elles se dressent les secrets d’une famille dont la rudesse et la tendresse épousent celles des arbres qui les encerclent.

Avec cette fresque en clair-obscur d’une famille suédoise isolée de tout, Lina Nordquist entraîne les lecteurs au cœur de la forêt, mêlant suspense et magnifiques descriptions de la nature pour un roman qui touche droit au cœur.

 

Avis : J’ai reçu ce livre en service presse de la part de la maison d’édition que je remercie à nouveau ! J’étais intriguée par Celui qui a vu la forêt grandir pour plusieurs raisons : je n’ai pas lu beaucoup d’auteurs suédois, voire d’auteurs scandinaves ; ce roman est présenté comme le meilleur de l’année 2022 en Suède ; à la lecture du résumé, j’ai tout de suite été intéressée par la double temporalité et le fait de suivre trois femmes à deux époques différentes. Il était aussi fait mention de « magnifiques descriptions de la nature« , ce qui a achevé de me convaincre.

Effectivement, les passages concernant la forêt étaient sublimes et, ce, dès l’incipit qui m’a immédiatement happée. L’atmosphère est déjà posée, l’écriture est déjà très belle : j’ai eu des frissons et j’ai aimé cette façon un peu particulière d’écrire SPOILER 1 On sent les personnages, et ce, notamment dans les chapitres centrés sur Unni, en réelle communion, voire en symbiose, avec la nature. C’est nécessaire pour leur survie – un aspect que je traiterai un peu plus bas – ; cela rend la nature proprement vivante, comme consciente. Les arbres respirent, soupirent, asssistent aux scènes décrites et ont une opinion sur ce qui se déroule. Je crois n’avoir jamais lu un roman dans lequel la nature était à ce point personnifiée sans, pour autant, virer vers le fantastique ou la Fantasy. C’était beau à lire, tout en simplicité, à la fois cosy et terrible. La beauté se trouve même au sein du cycle des saisons, et ce, malgré les difficultés que rencontrent les personnages, le froid intense de l’hiver ou la sécheresse de l’été. L’amour pour la nature – et pour la vie – est absolu, elle n’est jamais maudite malgré tout ce qui arrive. L’idée émerge également que, lorsque la nature donne, il faut tout prendre, ne rien laisser, ne rien renier ; prendre et être heureux d’être en vie.

Cela mène donc à l’idée de la survie, notamment à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle avec Unni. Il est terrible de lire la faim des personnages, terrifiant même : il est clair qu’ils peuvent mourir à tout instant, qu’ils se vident peu à peu de leurs forces, de leur énergie et qu’ils sont en danger de mort. Cela donne des passages difficiles à lire, aussi bien parce que les enfants souffrent de la pauvreté extrême de leurs parents, mais aussi parce que ces derniers se trouvent clairement dans une impasse. Ces moments sont vivaces, le lecteur les vit avec les personnages et se trouve à leur table, impuissant.

C’est d’autant plus difficile à lire que la famille, dans ce roman, est importante, essentielle même : elle est le centre du livre et de la vie des personnages, leur fil rouge. Dès le départ d’Unni de Norvège, le but est de rejoindre un pays où la jeune femme, avec son compagnon Armod, pourra vivre en paix, libre, et construire, peu à peu, une famille, faire en sorte d’obtenir, pour son fils, Roar, et ses enfants à venir, une vie meilleure. Elle régit tout : c’est la raison pour laquelle les personnages se battent et veulent survivre. C’est aussi ce avec quoi Kåra, l’autre héroïne du roman, a un problème – mais je reviendrai là-dessus en partie spoiler.

En effet, comme mentionné précédemment, le lecteur va ici suivre trois femmes, dont deux sont narratrices : Unni à partir de 1897 ; Kåra à partir de 1973, face à Bricken – sachant que son récit est couturé de flashbacks qui nous permettent de comprendre la sitauton dans laquelle se trouvent les deux veuves. J’ai trouvé ces héroïnes – Unni et Kåra – à l’opposé l’une de l’autre, même si Kåra, qui écoute l’histoire d’Unni racontée par Roar et Bricken, va s’identifier à elle. Elles n’ont, pour moi, rien à voir. Unni est une femme forte et libre, qui veut vivre, qui fera tout pour survivre, déterminée, même dans les moments les plus sombres, à porter ses enfants jusqu’au bout. Kåra, elle, est un peu perdue ; elle aussi veut vivre, mais elle se trompe de voie et finit dans une impasse dont elle ne parvient pas à s’extirper. Elle est, pour moi, comme Unni aurait pu être si elle avait fini à Tronka. La liberté de l’une fait miroir à l’enfermement de l’autre. SPOILER 2 Si Unni se sent bien dans la forêt, dans sa maison, malgré tout ce qui lui arrive, c’est parce qu’elle est avec sa famille, son fil rouge ; ce n’est pas du tout ce à quoi aspire Kåra qui n’est visiblement pas faite pour cette vie et cette famille. Unni représente, pour moi, la protection constante de ses enfants et un amour profond pour Armod, son mari ; Kåra, pas du tout. SPOILER 3 Point commun tout de même entre ces deux femmes : elles s’adressent toutes deux au même homme, Roar, le fils d’Unni et le beau-père de Kåra. Il est, lui aussi, le fil conducteur du roman et le lecteur, grâce à elle, va profondément s’attacher à lui SPOILER 4. Les enfants d’Unni sont également, globalement, tous très attachants : nous les voyons naître et souffrir, ce qui donne des passages particulièrement pénibles à lire. SPOILER 5 En revanche, j’ai trouvé Kåra assez peu sympathique. Certes, elle souffre clairement d’une maladie mentale SPOILER 6 et elle éprouve des difficultés à se conformer à ce que l’on attend d’elle. On brandit la menace de l’asile pour la contenir, ce qui ne fait que la ronger de l’intérieur. Mais elle ne semble jamais vraiment tenter d’entrer dans la famille. Dag m’a semblé un personnage poisseux, impossible à apprécier ; mais Bricken tente, à plusieurs reprises, de l’apprivoiser sans succès. SPOILER 7 

Vient enfin la partie avec laquelle j’ai eu beaucoup de mal – mais c’était évident – : la violence extrême de ce roman et son côté glauque. En effet, alors qu’elle n’était que suggérée au début du roman avec les avortements réalisés par Unni et la menace de Tronka, la violence surgit avec fracas dans l’histoire et comme c’était affreux … Elle est à la fois sociale, sexiste et sexuelle et, encore une fois, si elle n’est que mentionnée au début, elle devient plus « voyante » à un moment du roman. L’autrice ne nous donne, en réalité, pas de précisions ou de détails, mais les mots choisis et les passages sont suffisamment acérés pour heurter le lecteur. Ils surviennent également à un moment du récit où il s’est déjà profondément attaché aux personnages, ce qui rend la lecture d’autant plus douloureuse pour lui. SPOILER 8 La pauvreté des personnages les pousse également à commettre des actes qu’ils regrettent SPOILER 9 Cela participe de la tristesse pesante que l’on peut ressentir pendant la lecture.

Enfin, la fin. Elle est étonnamment surprenante : je ne m’attendais pas du tout à ça ! On y découvre la raison du départ d’Unni. SPOILER 10

Dernière remarque avant de clore : je salue le travail de la traductrice, Marina Heide, qui a fait un boulot remarquable. On ne sent qu’extrêmement rarement le passage entre les deux langues, peut-être seulement aux endroits où le français ne peut pas tout à fait rendre la poésie et la finesse des descriptions de la nature en suédois. 

 

Donc, un excellent roman, difficile à lire par la violence qu’il dépeint, mais également très beau et touchant par l’importance de la nature et de la famille dans la vie des personnages. Je suis heureuse d’avoir eu l’opportunité de pouvoir le découvrir !

 

SPOILER 1 que l’on retrouve, par la suite, chez Kåra. Je n’ai pas tout de suite compris qu’elle était, en réalité, responsable de la mort du personnage, mais cela devient très clair à la fin du roman, puisqu’on la voit agir. C’est assez étrange, d’ailleurs, que j’aie été aussi touchée par l’écriture au début, puisque ce sont les chapitres centrés sur Unni et, globalement, sa « timeline » que j’ai préféré, plutôt que celle de Kåra qui m’a nettement moins plu – sans doute parce qu’en fin de compte, j’ai eu beaucoup de mal avec ce personnage.

SPOILER 2 Elles se rejoignent seulement dans leur détermination à survivre, même si j’ai trouvé les moyens de Kåra et ce qu’elle fait douteux. Unni n’aurait jamais fait de mal à sa famille ; Kåra va jusqu’à causer la mort de son mari et risquer la vie de son fils.

SPOILER 3 Comme écrit dans le spoiler 2, Kåra cause la mort de son mari, met en danger Bo, mais causera aussi la mort de Roar et celle de Bricken, à laquelle le lecteur n’assiste pas mais qui est méticuleusement préparée par Kåra. Elle a, entre temps, également tué le chat – ou l’a tellement amoché que Roar est dans l’obligation de l’achever. A l’inverse, Unni, elle, souffre de devoir mettre à mort la corneille qu’elle avait fini par considérer comme son ami, regrette de devoir tuer des oiseaux pour nourrir ses enfants, respecte la vie au point de remercier la forêt de lui offrir ses bienfaits.

SPOILER 4 d’où, également, l’impossibilité de pardonner à Kåra. Certes, Roar lui avait demandé son aide, mais elle aurait pu faire autrement, plus paisiblement. J’ai eu l’impression qu’elle salissait tout parce qu’elle ne savait pas comment toucher les gens et les choses, comment aimer et vivre.

SPOILER 5 Le lecteur peut-il jamais se remettre de l’abandon de Brita Elise et de la mort de Tone Amalie ? C’est tellement dur que c’est trop : je n’ai pas réussi à pleurer, juste à ressentir une profonde pitié et une grande tristesse pour ces personnages perdus.

SPOILER 6 – la dépression, probablement, parce qu’elle est forcée d’entrer dans un moule qui ne lui convient pas du tout et qu’elle a conscience de passer complètement à côté de sa vie –

SPOILER 7 Kåra se rend compte, à la fin du roman, des efforts de Bricken et qu’elle aurait pu s’en faire une alliée, qu’elle n’était pas telle qu’elle se l’imaginait – peut-être souffre-t-elle aussi d’un délire de persécution ? de paranoïa ? Elle fait fausse route depuis le début en s’imaginant l’idylle de Roar et Bricken, en voyant leur bonheur qu’elle imagine conjugal, ce qui la fait paraître, en fin de compte, pathétique. Elle s’est inventée une histoire qui n’est que feu de paille et qui s’embrase dans une révélation terrible à la fin du roman.

SPOILER 8 Les violences sociales et sexuelles sont liées dans le fait que c’est le paysan propriétaire de la maison où loge Unni qui va décider, en guise de remboursement de sa dette après la mort d’Armod, de la violer régulièrement pendant des années. La nausée n’est pas loin lors de ces scènes. En effet, tout est glauque : le passage en lui-même ; l’arrivée du paysan et sa description à la fois sonore, olfactive, visuelle ; la perte de l’éclat de vie chez Unni mais aussi chez ses enfants qui perdent le sourire ; la violence du paysan sur les enfants, que ce soit lorsqu’il repousse trop violemment Brita Elise ou quand il bat Roar ; la mort de Tone Amalie pendant cette période ; l’absence de compassion, de sympathie, d’humanité de cet homme qui insulte, rabaisse, frappe et souille. Si ces passages n’étaient pas arrivés aussi tard, j’aurais peut-être abandonné le roman en cours de route tant ils sont sales.

SPOILER 9 comme le vol du garde-manger d’une famille riche ou le meurtre d’animaux « amis » pour Unni.

SPOILER 10 Quel coup sur la tête d’apprendre que Bricken est, en réalité, Brita Elise retrouvée ! Et donc que Roar a épousé sa petite sœur perdue ! Le soulagement est teinté d’horreur face à cette situation invraisemblable. C’est aussi très touchant, par la suite, de comprendre leur véritable relation, biaisée par le point de vue de Kåra : le frère et la sœur se sont rendu compte de leur parenté et ont fini par vivre fraternellement tout en éprouvant un amour véritable l’un pour l’autre, amour que mésinterprète Kåra. Suit ensuite la vérité sur la mort de Roar, puis celle à venir de Bricken. Cela permet à Kåra de se rendre compte qu’elle peut, elle aussi, partir, comme Unni – dernière ressemblance avec la mère des hommes qu’elle tue ! – et décider, enfin, de vivre sa vie comme elle l’entend. Cette libération vient après de longues années à souffrir et à faire souffrir autour d’elle. Le pire est sans doute qu’elle a conscience de ce qu’elle fait, puisqu’elle pense qu’elle « vole » Roar à Bricken et qu’elle trouve l’homme qu’il lui faut dans le père de celui qu’elle a épousé. Elle aimerait faire du mal à Bricken et tout lui dire ; seule sa retenue lui permet de garder son honneur en fin de compte, puisqu’elle ne dira rien à la veuve qui va s’éteindre à son tour. 

Mémoires de la forêt, tome 1 : Les souvenirs de Ferdinand Taupe de Mickaël Brun-Arnaud #plib2023

Posté : 16 avril, 2023 @ 9:28 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

Genre : Fantasy, JeunesseMémoires de la forêt 1

Editeur : L’école des loisirs

Année de sortie : 2022

Nombre de pages : 301

Synopsis : Dans la forêt de Bellécorce, au creux du chêne où Archibald Renard tient sa librairie, chaque animal qui le souhaite peut déposer le livre qu’il a écrit et espérer qu’il soit un jour acheté.

Depuis que ses souvenirs le fuient, Ferdinand Taupe cherche désespérément à retrouver l’ouvrage qu’il a écrit pour compiler ses mémoires, afin de se rappeler les choses qu’il a faites et les gens qu’il a aimés. Il en existe un seul exemplaire, déposé à la librairie il y a des années. Mais justement, un mystérieux client vient de partir avec… À l’aide de vieilles photographies, Archibald et Ferdinand se lancent sur ses traces en forêt, dans un périple à la frontière du rêve, des souvenirs et de la réalité.

 

Avis : J’ai lu ce livre dans le cadre du Plib 2023, puisqu’il est un des finalistes dans la section « jeunesse/YA ». Encore une fois, ce prix m’a fait découvrir un livre que je n’aurais jamais lu sans lui, et c’est tant mieux !

Tout d’abord, parlons de l’esthétique de ce roman. La couverture ne m’attirait pas spécialement, même si je la trouvais très douce. Pour autant, j’aime beaucoup que les illustrations courent sur l’ensemble des couvertures et la tranche pour former un seul et même dessin. De plus, le roman lui-même est illustré : cela le rend d’autant plus chaleureux et offre un bel accompagnement à l’histoire.

Cette dernière, par ailleurs, traite d’un sujet assez lourd : l’oubli et la maladie chez les personnes âgées. En effet, ce qui arrive à Ferdinand, la maladie de l’Oubli-Tout, m’a beaucoup fait penser à la maladie d’Alzheimer ; son comportement ressemble à celui d’une personne atteinte de ce syndrome. Cela rend le livre assez triste, mais aussi très touchant : une forme de mélancolie profonde due à l’oubli définitif à venir se dégage tout en rappelant que de nombreux petits bonheurs restent à vivre sur le chemin. Ce n’est facile ni pour celui qui est touché, ni pour ses proches, mais le lecteur comprend que la force des liens est toujours là et que l’accompagnement se fait dans la douceur.

Côté personnages, Ferdinand est comme un enfant, malgré son âge, à cause de la maladie. Cela le rend à la fois mignon, drôle et terriblement touchant : il ne se rend pas compte de ce qu’il fait. Certaines de ses réactions sont alarmantes pour ses proches, notamment quand il perd pied et ne reconnaît pas ceux qui l’entourent. Archibald, quant à lui, a déjà un prénom que j’adore mais il est aussi adorable dans ses réactions et sa détermination à aider son ami à retrouver son livre. SPOILER 1 De plus, le renard m’a fait penser à un relais du lecteur qui assiste à la quête de Ferdinand pour retrouver Maude, mais qui découvre aussi l’histoire de la vie de son ami, dont il ne sait, en fin de compte, pas grand-chose. Enfin, le libraire, ici, est le récepteur de toutes les histoires des animaux, en plus d’en être le relayeur, ce qui le rapproche encore du lecteur qui reçoit le roman.

J’ai adoré que ce monde soit peuplé d’animaux qui parlent et se vêtent ainsi que les jeux de mots sur les noms de lieux. L’auteur a également semé des tas de références, notamment dans les titres d’œuvres ; ce sont, je trouve, de jolis clins d’œil pour les lecteurs adultes qui liront le roman.

La fin est à la fois terrible, touchante et belle, comme le lecteur pouvait s’y attendre. SPOILER 2

 

En fin de compte, ce roman, tissé de rencontres et de souvenirs, est une ode aux liens qu’une personne forme tout au long de sa vie. C’était très beau, très touchant et cela émouvra petits et grands tout en permettant d’aborder la vieillesse, voire la fin de vie et la perte.

 

 

SPOILER 1 A un moment dans le roman, le narrateur précise qu’Archibald s’en veut parce qu’il a perdu patience avec son ami, Ferdinand. J’ai trouvé cela vraisemblable et émouvant – j’y ai reconnu la culpabilité de ceux qui, parfois, doivent se débrouiller seuls face à des personnes malades qui ne les reconnaissent pas toujours ou auxquelles il faut répéter plusieurs fois la même chose, voire raconter à nouveau la même histoire, la leur. C’était vrai.

SPOILER 2 Je me doutais que Maude était morte ; en effet, de son vivant, Ferdinand ne se serait jamais séparé d’elle, il aurait parlé de sa femme à Archibald, elle serait allée à la librairie avant même son mari, le renard l’aurait donc rencontrée.

 

#ISBN9782211313155

Mes nuits avec Emma B. de Rafaela Da Fonseca

Posté : 14 avril, 2023 @ 7:38 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

Genre : Contemporaine, HistoriqueMes Nuits avec Emma B.

Editeur : Les Presses Littéraires

Année de sortie : 2022

Nombre de pages : 127

Synopsis : Mars 2020, premier confinement : Leonor relit ses classiques et s’assoupit au milieu de Madame Bovary. Elle se réveille en 1843, sur la place de Yonville-l’Abbaye où sa cousine Emma est venue l’accueillir. Voici Leonor convertie malgré elle en voyageuse littéraire et temporelle, mais elle ne se fait pas longtemps prier pour intégrer la team « Emma B. ».
De Charles à Homais, en passant par Belle-Maman, Rodolphe et Binet, elle fait la connaissance de tous ceux que la Bovary aurait mieux fait de laisser patienter un peu plus longtemps sur le banc de touche.
Vous aussi, rejoignez l’odyssée ! Laissez Leonor vous raconter sa rencontre abracadabrante – mais aussi miraculeuse – avec son personnage romanesque préféré, dans un choc des cultures qui lui rappelle le Portugal de son enfance et lui fait redécouvrir une héroïne plus attachante que jamais.

 

Avis : Ce livre m’a été offert par ma sœur et a été écrit par ma professeure de français de Seconde : j’avais donc vraiment hâte de le lire !

Le roman débute pendant la période du premier confinement, en mars 2020, un moment qui a été difficile pour beaucoup et qui pousse donc notre héroïne, Leonor, à se plonger, littéralement, dans la littérature et, notamment, dans Madame Bovary. Grand classique de la littérature française, c’est un roman dans lequel l’auteur, très ironique, nous raconte la vie d’une femme insatisfaite qui court après des illusions. Par une manœuvre à la fois fantasque et étrangement très rafraîchissanteMes nuits avec Emma B. passe du XXIe siècle où chacun est enfermé chez soi à ruminer au XIXe siècle, à la fois romancé et vraisemblable, auprès d’une Emma fictive rendue réelle. En effet, jamais Emma n’a été aussi attachante que dans ce roman. Ici, elle prend vie alors même que le lecteur prend pitié d’elle, davantage encore que dans le roman de Flaubert. Elle devient une femme que l’on sait en sursis, que personne ne peut sauver. Cela teinte légèrement d’amertume la relation que Leonor va nouer avec elle ; quoi qu’elle fasse ou qu’elle lui dise, elle sait Emma perdue. Le lecteur retrouve également d’autres personnages du roman d’origine, comme Homais ou Rodolphe, plus détestables encore, ou Charles, d’autant plus digne de pitié que la narratrice constate, de visu, sa médiocrité et son « inadéquation » à ce qu’attendait Emma.

Ainsi donc, Leonor, femme du XXIe siècle, se retrouve au XIXe. Cela donne des situations à la fois drôles et déroutantes. En effet, ce n’est pas, ici, le XIXe rêvé, ce n’est plus une époque historique idéalisée, mais la réalité brute où le confort auquel nous sommes habitués a disparu. Adieu douche, toilettes et transports rapides et efficaces, bienvenue parfum, baquet d’eau, chaise percée et long voyage pénible et éreintant ! Evidemment, d’autres côtés plus agréables de l’époque émergent, comme l’appréciation du temps qui passe et de la contemplation, l’absence de connexion constante, l’échange de lettres, la nécessité de parler aux personnes qui se trouvent autour de soi, de créer des liens, et donc la relation naissante de Leonor et Emma. J’ai trouvé cette amitié à la fois touchante et décalée. SPOILER 1 J’ai également trouvé palpable la nostalgie de la narratrice pour son époque – une sorte de mal du pays doublé d’un mal du siècle – mais aussi pour son passé, puisqu’elle évoque des souvenirs qui remontent au fil de son séjour chez Emma, souvenirs souvent liés au Portugal, un pays que je ne connais pas du tout.

Un élément m’a surprise : les remarques ou façons de parler vulgaires qui peuvent émerger parfois. Cela aurait pu me gêner, mais ça n’a, étrangement, pas été le cas ici. La première fois que c’est arrivé, j’ai éclaté de rire tant je ne m’y attendais pas. C’est probablement parce que, le reste du temps, le livre est bien écrit – l’autrice manie la langue française avec dextérité. Le roman est aussi parcouru de régionalismes bienvenus – étant donné qu’ils viennent de ma région ! – ou de mots en portugais, étant donné les origines de la narratrice et de l’autrice. Cela donne un mélange qui fonctionne bien, une sorte de melting pot d’influences qui se marient au lieu de se combattre.

J’ai trouvé la fin plutôt belle, même si j’aurais aimé SPOILER 2 C’est donc une fin plutôt ouverte, autant le savoir !

 

Donc, un bon roman, léger et drôle, que j’ai apprécié, qui a rendu Emma plus touchante que jamais et qui donne envie de rencontrer nos héros fictifs !

 

SPOILER 1 Je me demandais si Leonor oserait avouer à Emma qu’elle ne fait pas partie de ce siècle et que la jeune femme est une créature de fiction. J’ai aimé l’idée d’une Madame Bovary fascinée par le XXIe siècle et presque en adéquation avec lui. Cela m’a donné envie de la voir évoluer de nos jours : que serait-elle devenue alors ? Le roman aurait-il mieux fini ? Aurait-elle trouvé satisfaction ou se serait-elle perdue encore plus vite ? Il faut dire que notre époque n’est pas aussi élégante que le siècle d’Emma : cela l’aurait-il sauvée ?

SPOILER 2 savoir si Leonor retourne vraiment dans son époque ! En effet, il est un peu troublant qu’à la fin de l’œuvre, l’héroïne reste suspendue entre deux époques. C’est au lecteur de choisir de l’imaginer revenue au XXIe siècle, puisque que l’autrice évoque ce retour à travers sa narratrice.

Maman, la nuit de Sara Bourre

Posté : 10 avril, 2023 @ 12:08 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

Genre : ContemporaineMaman, la nuit

Editeur : Editions Noir sur Blanc (Notabilia)

Année de sortie : 2023

Nombre de pages : 193

Synopsis : « Maman a disparu. C’est pas simple. Il a fallu le redire plusieurs fois, décomposer la phrase, la prendre et la secouer. Maman a disparu. Quelle folie de phrase. Si je la chuchote, les larmes me montent et me brûlent, si je la prononce avec une voix de fer, comme un vieux robot fatigué, ma-man-a-dis-pa-ru ma-man-a-dis-pa-ru, ça me fout la chair de poule et l’impression d’une catastrophe planétaire imminente. Si je la crie, si je la jette loin sur les routes, en plein cœur de ces villes qui scintillent et grincent sous ma peau, si je la crie si fort que ma voix casse, alors je crois que ce n’est plus vraiment triste. Pas aussi triste que ça. Je dirais plutôt affolant. Sidérant. Ou encore stupéfiant. Voilà. C’est affolant sidérant stupéfiant et ça me rend le cœur dingue, et étrangement vivant aussi. »

L’enfant écoute tout, observe tout, et avant toute chose sa mère, une fascination qui oscille entre haine et passion, dont on sent le danger, la menace, la violence des sentiments.

C’est une enfant sage, étrange. Elle a grandit robuste, comme une mauvaise herbe. Elle sent, perçoit, palpe, traque, à l’affût, toujours tapie.

Un jour, sa mère disparait. Alors, que va-t-elle devenir ?

 

Avis : J’ai reçu ce roman en service presse de la part de la maison d’édition. Le résumé m’avait plutôt intriguée comme le titre, que j’avais trouvé étrange (dans le bon sens du terme). Je me suis donc laissé tenter ; de plus, j’avais déjà lu plusieurs romans de cette collection et je n’avais jamais été déçue !

Maman, la nuit se lit très vite : le texte est divisé en chapitres courts, voire très courts, et la lecture est fluide, « facile ». On se laisse facilement porter par les mots et on se retrouve à la moitié du roman avant de s’en être rendu compte. Surtout, le roman est très bien écrit : aucune faute de syntaxe, de français en général et pas de coquille. On sent une maîtrise de la langue certaine et cela fait plaisir à lire. A cela s’ajoute un rythme particulier, des images parfois poétiques qui ont fini par me séduire.

En effet, si j’ai beaucoup aimé la forme, j’ai eu un peu plus de mal avec le fond. J’ai eu du mal à entrer dans l’histoire, à comprendre immédiatement certains éléments, étant donné que la narratrice parle son propre langage d’images, de formes et de couleurs, sans utiliser les mots précis qui désignent les choses et les gens. C’est un choix littéraire que j’ai, en fin de compte, apprécier ; en revanche, je n’ai pas réussi à aimer l’histoire, les personnages. SPOILER 1 Je ne me suis attachée qu’à l’écriture et, encore, cela s’est fait vers la fin de l’œuvre. Cela ne veut pas dire que la narratrice et la mère ne sont pas bien écrites – j’ai d’ailleurs aimé qu’elles n’aient pas de nom ou qu’ils soient si peu importants qu’ils ont disparu pour moi. Mais j’ai aussi retrouvé quelques stéréotypes que je trouve parfois lassants : SPOILER 2 Les sentiments ressentis par la mère pour sa fille sont, également, extrêmement violents parfois et SPOILER 3 Cette mère semble très dysfonctionnelle, ce qui explique peut-être en partie le côté étrange de la narratrice ; je n’ai, pour autant, pas réussi à m’attacher à elle. J’ai eu l’impression de rester en surface, sans jamais entrer vraiment, excepté à la fin. J’ai tout de même aimé les nombreuses scènes dans la nature et la façon de parler de celle-ci.

La fin m’a semblé très abrupte et étrange : SPOILER 4

 

Donc, c’est un roman très bien écrit, avec une langue maîtrisée et des images poétiques, mais dans lequel j’ai eu du mal à entrer en raison de l’intrigue qui ne m’a pas séduite et des personnages que j’ai perçus comme stéréotypés.

 

SPOILER 1 La narratrice a quelque chose de particulier sans pour autant avoir réussi à me toucher véritablement. J’ai eu pitié d’elle tout en appréciant sa liberté ; mais le fait qu’elle tue des animaux m’a rebutée – surtout la scène du chat. Elle m’a un peu fait penser à une petite fille de conte qui finit par se transformer en sorcière et qui reste toujours au bord d’une forme de folie.

SPOILER 2 par exemple, les femmes du village – visiblement toutes sans exception – qui haïssent la mère et, en réalité, sont jalouses d’elle. Pourquoi ? Le lecteur le devine : pour sa liberté, parce qu’elle couche avec qui elle veut, parce qu’elle vit seule. C’est clairement du slut-shaming de la part de ces femmes qui, apparemment, sont toutes vieilles, ont une vie rangée qui les ennuie et qu’elles peuplent de paroles nauséabondes sur la marginale. J’ai eu une impression de stéréotype sur le village et ses commères éternelles qui a renforcé l’impression de semi-conte de fées, mais qui m’a aussi semblé artificiel. Pareil pour le côté « sauvage » de la narratrice : plongé dans ses pensées, le lecteur a presque l’impression d’un être bestial, seulement dirigé par ses sentiments, qui ne reçoit aucune affection de personne et qui s’enferme dans une forme de spirale infernale qui la mène, finalement, à vivre recluse, comme sa mère, et à suivre le chemin qui, pourtant, l’avait tant fait souffrir enfant. J’ai eu aussi du mal avec le côté « prostitution » qui était seulement semi-explicite grâce aux insultes des femmes : la mère monnaye-t-elle vraiment ses services ou n’est-ce qu’un commérage sans fondement ? Quelle gêne également que la fille couche, également, avec le professeur une fois la mère morte. J’ai eu, parfois, dans ce roman, une impression de salissure constante des personnages, même si la narratrice n’en a pas conscience, même si elle vit dans un monde différent, fait d’oiseaux, de verre, d’arbres et d’ombres. Ces images véhiculent tout de même une idée particulière du corps et de ce qu’il subit. Autre « stéréotype » : les hommes sont absolument tous négatifs, du père violent au prof poisseux en passant par les hommes du bar qui regardent la mère puis la fille avec, on le devine, la lubricité au bord des yeux. 

SPOILER 3 je me suis demandée si elle ne s’était pas suicidée parce que sa fille a couché avec un homme. La haine qu’elle ressent pour son enfant est très gênante, m’a mise mal à l’aise parfois, comme le début du roman dans lequel la narratrice évoque les tentatives d’avortement de sa mère.

SPOILER 4 est-ce l’idée que la fille reproduit, en fin de compte, le schéma de la mère ? ou, au contraire, est-elle véritablement heureuse en fin de compte ?

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