Chronique croisée – Sorcières de Mona Chollet et Sorcières ! de Julie Proust Tanguy
Editeur : Zones
Année de sortie : 2018
Nombre de pages : 233
Synopsis : Tremblez, les sorcières reviennent ! disait un slogan féministe des années 1970. Image repoussoir, représentation misogyne héritée des procès et des bûchers des grandes chasses de la Renaissance, la sorcière peut pourtant, affirme Mona Chollet, servir pour les femmes d’aujourd’hui de figure d’une puissance positive, affranchie de toutes les dominations.
Davantage encore que leurs aînées des années 1970, les féministes actuelles semblent hantées par cette figure de la sorcière. Elle est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable. Mais qui étaient au juste celles qui, dans l’Europe de la Renaissance, ont été accusées de sorcellerie ?
Ce livre explore trois archétypes de la chasse aux sorcières et examine ce qu’il en reste aujourd’hui, dans nos préjugés et nos représentations : la femme indépendante – les veuves et les célibataires furent particulièrement visées ; la femme sans enfant – l’époque des chasses a marqué la fin de la tolérance pour celles qui prétendaient contrôler leur fécondité ; et la femme âgée – devenue, et restée depuis, un objet d’horreur.
Mais il y est aussi question de la vision du monde que la traque des sorcières a servi à promouvoir, du rapport guerrier qui s’est développé alors tant à l’égard des femmes que de la nature : une double malédiction qui reste à lever.
Editeur : Les Moutons électriques
Année de sortie : 2016
Nombre de pages : 248
Synopsis : Nécromanciennes redoutables, guérisseuses ignorées, doubles obscurs des fées, femmes fatales livrées au bûcher… Rejoignez-les dans ce grimoire moderne qui vous révèlera les lointaines origines et l’étrange destinée de vos sorcières bien-aimées !
Fascinée par la figure de la sorcière, j’avais très envie d’en apprendre plus sur elle. Quel meilleur endroit que les livres ? J’ai donc lu à la suite Sorcières : la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet et Sorcières ! le sombre grimoire du féminin de Julie Proust Tanguy.
Je m’attendais, pour les deux, à une analyse historique et sociologique de cette « créature », notamment pour Mona Chollet ; pour Julie Proust Tanguy, je penchais plus pour une évolution culturelle de la figure. Après avoir fini le premier, je me suis dit que le second pouvait le compléter.
Effectivement, ces deux essais m’ont paru complémentaires.
Mona Chollet se penche assez brièvement sur la sorcière « historique » avant de passer à la femme moderne, sa « condition », les injonctions qu’elle rencontre, les préjugés contre lesquels elle doit lutter, les jugements qu’elle s’attire par les choix qu’elle décide de faire. La sorcière est plutôt vue comme la raison pour laquelle les femmes sont dans la situation qu’elles connaissent – ou une des raisons tout du moins – mais aussi comme une insulte qu’on leur a jetée au visage pendant longtemps et qu’elles réutilisent maintenant de manière positive. On ne s’attarde donc pas vraiment sur la sorcière en tant que personnage historique ou de fiction : celle-ci est évoquée dans l’introduction (« Les Héritières »), puis dans la première partie (« Une vie à soi »). Viennent ensuite « Le désir de la stérilité : pas d’enfant, une possibilité », « L’ivresse des cimes : briser l’image de la vieille peau » et « Mettre ce monde cul par-dessus tête : guerre à la nature, guerre aux femmes ». La sorcière, en fin de compte, est vue comme modèle de femme libre, puissante et incontrôlable dans un monde qui n’a fait que tenter de contrôler les femmes, de les faire taire et de leur assigner des rôles qui ne leur donne aucun pouvoir.
Comme l’indique le titre de la deuxième partie, l’autrice écrit un chapitre entier sur l’absence de désir de maternité et, donc, le choix de la non-maternité. Elle donne à cela plusieurs raisons et c’est sans doute le passage qui m’a le plus perturbée. En effet, elle évoque des aspects de la grossesse, de l’accouchement et de la maternité que l’on passe sous silence ou auxquels on ne pense pas quand on pense à avoir un enfant. J’ai eu une impression de justification un brin gênante, même si je reconnais qu’il est important aussi d’affirmer ses propres choix : chacun devrait pouvoir décider de ce qui lui convient sans, justement, avoir à se justifier. C’est un choix tout à fait personnel que je respecte ; je n’avais pas, pour autant, envie de lire une « liste » de raisons pour lesquelles l’autrice avait choisi de ne pas avoir d’enfants. Cela m’a donné une impression désagréable, comme si décider d’avoir un enfant était considéré comme un mauvais choix. Evidemment, ce n’était pas l’intention de l’autrice, mais j’en ai gardé un goût un peu amer. J’ai également été dégoûtée et, même, franchement déprimée par la dernière partie/la fin qui se concentre sur les pratiques criminelles sexuelles dirigées contre les femmes : autant de noms, de mots et de descriptions que j’aurais préféré ne jamais lire – parce que je les connaissais déjà et qu’elles m’avaient déjà secouée.
Globalement, l’essai traite de la misogynie ou de la « condition féminine » sous toutes ses formes : les moqueries physiques ou mentales, le mythe de l’homme puissant face à la femme fragile et incapable de se gouverner, l’impact de la contraception dans la vie d’une femme, le rejet de la femme dans certaines institutions ou cultures et la place qu’elle pouvait occuper autrefois, les chasses aux sorcières (évidemment), le rôle de la religion dans la représentation de la femme. Combien de fois ai-je levé les yeux au ciel en lisant une citation tellement misogyne qu’on en rirait si l’auteur ne pensait pas ce qu’il disait ? Combien de fois ai-je annoté cet essai pour commenter lesdites citations ou tout autre partie du livre qui me hérissait le poil ? Il est toujours aussi énervant de lire qu’en tant que femme, l’on est faible, hystérique, inférieure ou trop passionnée.
De son côté, Julie Proust Tanguy réalise un portrait de la sorcière de l’Antiquité à nos jours, en montrant son évolution historique et culturelle. Ici, l’on (re)découvre donc les personnages de magiciennes inventées dans la mythologie, comme Circé et Médée, et la conception de la sorcière à cette époque pour glisser vers l’image médiévale de cette « créature ».
Je le précise ici : aucune des deux autrices ne fait l’erreur de situer les chasses aux sorcières au Moyen-Âge ou d’appeler cette période « les temps sombres » (« the Dark Ages »). Certes, les persécutions ont commencé à cette époque, mais leur apogée arrive à la Renaissance, un moment de l’Histoire que l’on n’associe pas du tout aux bûchers ou à la torture.
J’ai préféré cet essai au précédent parce que c’était ce que je recherchais à l’origine : une étude du personnage de la sorcière à travers le temps, voir ses origines, son évolution et son aboutissement au XXIe siècle ! Le lecteur comprend alors que la sorcière est surtout un personnage inventé, loin de la réalité des femmes de toute époque. Elle est celle qui fraie avec le Diable et permet de rappeler que la femme est si faible qu’elle se laisse séduire par le Malin. D’où la parution, en 1486, de ce merveilleux livre qu’est le Malleus Maleficarum, le Marteau des sorcières, qui décrit tout un tas de choses fort sympathiques dont les méthodes de reconnaissance des sorcières, avec différents moyens de torture et tout ce qui va avec. L’autrice évoque donc aussi le rôle de la religion dans la création de cet archétype. Le choix des victimes est également analysé : ce sont souvent de vieilles femmes seules qui vivent à l’écart des communautés et qui ne peuvent pas se défendre contre le système mis en place pour traquer les sorcières. L’autrice traite également le rôle de la médecine, discipline interdite aux femmes mais qu’elles s’appropriaient tout de même, notamment par leur connaissance des plantes. Elle évoque une concurrence entre les deux professions, médecins et guérisseuses, et la victoire des premiers sur les secondes.
Un autre aspect est abordé dans les deux essais : les sorcières modernes, celles qui pratiquent la magie blanche ou la wicca. Elles évoquent – notamment Julie Proust Tanguy – les cristaux, les sortilèges et autres rituels. J’adore l’idée de la magie, j’ai notamment envie d’en apprendre plus sur les cristaux ou le tarot ; mais c’est là que cela s’arrête pour moi. Je ne parviens pas à adhérer à l’idée de concocter effectivement des potions, de lancer réellement des sorts, de prédire l’avenir dans les cartes. C’est pour moi plus subtil que cela, différent. J’ai donc moins apprécié les parties qui l’évoquaient tout en les lisant avec intérêt.
Pour résumer cet essai, Julie Proust Tanguy rend hommage à la sorcière en nous montrant ses origines, plongées dans les ténèbres, jusqu’à nos jours où, majoritairement, elle combat le mal au lieu de le propager. J’ai adoré ces heures de lecture et j’ai maintenant une belle pile de livres à explorer !
Donc, je recommande la lecture de ces essais : ils apportent des informations différentes et sont passionnants à leur manière. La sorcière est aux fondements des deux ouvrages mais elle est exploitée très différemment. Le lecteur apprend, ressent et ne sort pas les mains vides de ces deux voyages !