Redbluemoon

I found myself in Wonderland.

Blonde de Joyce Carol Oates

Classé dans : Avis littéraires — 6 décembre 2018 @ 17 h 49 min

Genre : ContemporaineBlonde

Editeur : Le Livre de Poche 

Année de sortie : 2012 [2000]

Nombre de pages : 1110

Titre en VO : Blonde

Synopsis : Alors, en début de soirée, ce 3 août 1962, vint la Mort, index sur la sonnette du 12305 Fifth Helena Drive. La Mort qui essuyait la sueur de son front avec sa casquette de base-ball. La Mort qui mastiquait vite, impatiente, un chewing-gum. Pas un bruit à l’intérieur. La Mort ne peut pas le laisser sur le pas de la porte, ce foutu paquet, il lui faut une signature. Elle n’entend que les vibrations ronronnantes de l’air conditionné. Ou bien … est-ce qu’elle entend une radio là ? La maison est de type espagnol, c’est une « hacienda » de plain-pied ; murs en fausse brique, toiture en tuiles orange luisantes, fenêtres aux stores tirés. On la croirait presque recouverte d’une poussière grise. Compacte et miniature comme une maison de poupée, rien de grandiose pour Brentwood. La Mort sonna à deux reprises, appuya fort la seconde. Cette fois, on ouvrit la porte. 

De la main de la Mort, j’acceptais ce cadeau. Je savais ce que c’était, je crois. Et de la part de qui c’était. En voyant le nom et l’adresse, j’ai ri et j’ai signé sans hésiter

 

Avis : Cela fait une éternité que je « dois » lire Blonde ; il est dans ma PAL depuis août 2012 ! Et c’est enfin chose faite !

Qu’est-ce que ce livre est cruel … Si vous cherchez un livre pour vous remonter le moral, je vous déconseille fortement celui-là ! Mais, commençons par le commencement !

Joyce Carol Oates nous prévient dès le début, dans une note d’auteur, qu’elle n’écrit pas une biographie de Marilyn Monroe, mais un roman tiré de sa vie, une sorte de biographie romancéefictionnalisée. Elle s’inspire donc de faits réels, mais prend, d’une certaine manière, le point de vue de Norma Jeane, se met à sa place parfois, imagine ce qu’elle a dû ressentir, comment les choses se sont déroulées exactement. L’auteure a condensé la vie de Norma pour en faire un roman, comme elle l’a fait pour elle-même quand elle a écrit The Lost Landscape (Paradis Perdu). Donc, elle ne mentionne pas toutes ses familles d’accueil, tous ses amants, ou toutes ses tentatives de suicide, mais conserve ceux qui lui paraissent le plus symbolique. Cela peut ajouter à la confusion que le lecteur ressent lors de la lecture, une impression de flou, parce qu’il se rend compte, à un moment donné, qu’il y a plus dans la vie de Norma que ce qu’il est en train de lire. Malgré mes connaissances préalables - j’ai déjà lu une biographie de Marilyn Monroe, écrite par Sandro Cassati -, et la longueur du livre, qui peut être vraiment impressionnante, je ne me suis pas ennuyée du tout !!

Comme toujours, j’ai aimé l’écriture de Joyce Carol Oates ; malheureusement, j’ai lu Blonde en français. J’ai donc perdu quelque chose du style de l’auteure, si particulier ; par exemple, son écriture est très dense, et cela a dû compliquer la traduction. Comment rendre les ing, les phrases interminables, les phrases nominales, certaines expressions ? A la lecture, cela ne fait pas naturel pour moi ; mais c’est sans doute parce que j’ai lu l’auteure en VO. Je relirai donc Blonde en anglais, quand j’en serai capable ! Malgré tout, la confusion doit se sentir dans les deux langues, et n’est pas qu’un résultat de la traduction. Elle est due au narrateur, qui ajoute des informations au fil du récit, mais surtout à Norma Jeane. Sa propre confusion imprègne le récit, et il est parfois difficile de savoir qui parle, quand, où. Pour autant, j’ai adoré ce narrateur peu fiable (unreliable narrator en anglais), et Norma Jeane comme personnage peu fiable elle aussi. Le lecteur ne sait pas toujours ce qu’il se passe, ou n’est pas au courant de tout ; puis, plus tard, dans un chapitre ultérieur, la scène est éclairée d’une façon différente, et la réalité – mais, est-ce vraiment elle ? – est révélée. De plus, la folie apparaît doucement, et prend de plus en plus de place, notamment dans les souvenirs du personnage principal. Le lecteur doute donc, tout le long de l’œuvre, de la réalité de ce qui lui est raconté !

Différents « sujets » sont mentionnés dans le livre – avec 1110 pages, on peut s’en douter ! Commençons par Hollywood, et la carrière d’acteur dans les années 40-60. A l’époque, c’est un monde cruel – je dis à l’époque mais, qui sait si ce n’est pas la même chose aujourd’hui ! Etant donné que Norma Jeane était une beauté blonde, elle était considérée comme une fille stupide, disposée ; autant appelé un chat un chat : une salope. Elle était méprisée, insultée, et très peu estimée : pas mal de personnes voyaient en elle une mauvaise actrice adepte de la promotion canapé. Pour autant, beaucoup la voulait dans leur film. Joyce Carol Oates dévoile ainsi la face cachée d’Hollywood, celle qu’on préfère oublier quand on voit des photos ou qu’on regarde des films montrant des personnages saines et souriantes. Mais ce n’est pas tout ! J’adore la façon qu’a eu l’auteure d’intégrer le cinéma à son processus d’écriture. En effet, il est omniprésent dans la narration elle-même. Certaines scènes sont décrites de manière cinématographique ; peut-être est-ce une façon de mettre en avant le fait que Norma Jeane voit sa vie à travers l’objectif d’une caméra ? Dans tous les cas, cela instaure une ambiance particulière. Ce peut aussi être une manière, pour Joyce Carol Oates, de nous rappeler, dans une sorte de mise en abîme, que son livre est une fiction, même si elle raconte la vie d’une personne réelle. La religion est également un des « thèmes » abordés. Tout d’abord, la mère de Norma ne peut pas la supporter ; puis elle est « enseignée » à la petite fille par le Dr. Mittelstadt. C’est une grande part de la vie de la jeune femme : elle guide en partie ses choix, ses intentions, et ses décisions. Mais, à partir d’un moment, sa place semble remise en question, et elle est victime de la confusion ambiante.

Bien sûr, un autre sujet important : la sexualité. Marilyn Monroe est considérée, encore aujourd’hui, comme un sex symbol. Elle est censée avoir eu un nombre presque incalculable d’amants, et était parfois qualifiée de nymphomane. Bien sûr, il y a des scènes sexuelles, et la mention des amants de Norma, ou de ce qu’elle a dû faire – ce qu’on l’a forcé à faire parfois/souvent – ; mais elle n’est pas du tout présentée comme une nympho. J’en viens ainsi au personnage de Norma Jeane alias Marilyn Monroe. Oates fait le portrait d’une femme fragile, réservée, timide, qui bégaye, et n’est pas consciente de sa beauté, ou des désirs des hommes (au début, en tout cas). Elle rêve d’amour, et interprète le désir comme de l’amour, jusqu’à la toute fin ! Elle veut être mère de tout son cœur ; c’est si intense que ça en devient douloureux pour le lecteur ! C’est comme si elle voulait conjurer une malédiction lancée par sa mère ; et le seul moyen, c’est d’avoir, à son tour, un enfant. De plus, pour elle, jouer n’est pas juste un travail : c’est toute sa vie. Tout le long du livre, le lecteur a l’impression qu’elle est schizophrène : Marilyn n’est pas Norma Jeane, elle n’est que son Amie Magique, quelqu’un qu’elle adore et déteste. Les rôles qu’elle joue, les femmes qu’elle incarne, ne sont que des parties d’elle, mais pas tout à fait elle. Norma les contient, mais elles ne la résument pas en retour. Peut-être est-ce une façon de montrer que la « folie », une part de « folie », était déjà présente chez elle depuis le début, et qu’elle fut ensuite renforcée par l’usage de nombreux médicaments. Personnellement, elle m’a fait mal au cœur tout le long, malgré le narrateur peu fiable qui nous raconte son histoire. Elle semble naïve, manipulée par tout le monde, tout le temps. C’est vraiment douloureux à lire à force, parce que je me suis beaucoup attachée à elle. Elle est dépeinte comme une jeune fille douce, gentille, qui sera peu à peu détruite par ses démons, et par les personnes qui l’entourent. Parfois, je savais ce qui allait arriver, mais ce n’est pas pour autant que c’était plus facile.

D’autres personnes réelles se trouvent, évidemment, dans le texte, mais ne sont pas nommées : Joe DiMaggio, Arthur Miller, Ava Gardner, John Fitzgerald Kennedy. Cela s’ajoute aux descriptions cinématographiques : nous sommes dans un film, et ces gens sont représentés par leur fonction dramatique. Ils n’ont pas de personnalité propre – ou nous le supposons, étant donné comment ils sont appelés – et sont nommés, pour la plupart, grâce à leur travail : Actrice, Ex-Sportif, Dramaturge. Certains personnages (soient-ils réels ou non) sont très difficiles à apprécier, surtout à cause de leur violence. C’est un autre thème important dans le roman. Marilyn/Norma est l’objet de différents types de violence : sexuelle, mais aussi sociale et physique. Elle est, la plupart du temps, infligée par d’autres, beaucoup moins par elle. Elle est violée (même si c’est assez vague parfois, et rendu clair plus tard), elle est battue par un de ses maris, elle est vendue (par différentes personnes …), elle est pauvre (même si elle ramène des millions au Studio). Et, tout le long, elle dit ne pas être amère – mais comment peut-elle ne pas l’être ? Et cette violence n’est pas sporadique : elle est CONSTANTE, du début à la fin ! Et c’est aussi la raison pour laquelle ce livre est difficile à lire parfois. Parce que le lecteur aimerait que cela s’arrête, que quelqu’un, dans le livre, réagisse, et cela n’arrive jamais.

Enfin, nous arrivons à la mort de Marilyn. Il y a une théorie à ce propos : elle aurait été assassinée parce qu’elle avait une relation avec Kennedy. [SPOILER] Je pense que c’est plus probable qu’une overdose, et il semblerait que Joyce Carol Oates soit du même avis. A un moment donné, un personnage, le Tireur d’élite, apparaît, et revient de plus en plus souvent au fil du roman, jusqu’à la fin. Ce procédé est très intéressant parce qu’en un sens, cela justifie la paranoïa de Marilyn : elle était suivie, et sera tuée dans son sommeil par quelqu’un envoyé par le gouvernement, par son Prince supposé, ou par ses proches. [FIN DU SPOILER] 

 

Donc, un livre très difficile à lire, une belle claque, que je relirai sans aucun doute en VO. Un portrait de femme blessée par la vie, par les autres, et qui, pourtant, brille encore aujourd’hui. 

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