Home Fire de Kamila Shamsie
Editeur : Bloomsbury
Année de sortie : 2017
Nombre de pages : 260
Titre en français : Pas encore traduit
Synopsis : Isma is free. After years spent raising her twin siblings in the wake of their mother’s death, she resumes a dream long deferred – studying in America. But she can’t stop worrying about Aneeka, her beautiful, headstrong sister back in London, or their brother, Parvaiz, who’s disappeared in pursuit of his own dream – to prove himself to the dark legacy of the jihadist father he never knew.
Then Eamonn enters the sisters’ lives. Handsome and privileged, he inhabits a London worlds away from theirs. As the son of a powerful British Muslim politician, Eamonn has his own birthright to live up to – or defy. The fates of these two families are inextricably, devastatingly entwined in this searing novel that asks: what sacrifices will we make in the name of love?
A contemporary reimagining of Sophocles’ Antigone, Home Fire is an urgent, fiercely compelling story of loyalties torn apart when love and politics collide – confirming Kamila Shamsie as a master storyteller of our times.
Avis : Avant même que ce livre gagne le Women’s Prize for Fiction en Angleterre, j’avais très envie de le lire, parce que c’est une réécriture d’Antigone, une de mes pièces préférées !
Donc, j’avais de grandes attentes ! Et j’ai compris pourquoi Home Fire avait gagné le prix, et avait été sélectionné pour le Man Booker Price. Je vais tenter d’être brève, parce que je ne sais pas si je vais rendre justice à ce livre, et que je pourrais en parler pendant des heures !
Tout d’abord, j’ai aimé l’écriture de Kamila Shamsie ; objectivement, elle écrit très bien, c’est fluide, agréable. Très bonne forme donc !
Ensuite, le lecteur est complètement absorbé par le livre grâce aux différents points de vue, et aussi grâce au fait que l’on commence avec celui d’Isma. On ne peut pas ne pas compatir, sympathiser avec chaque personnage ; grâce à leur point de vue, le lecteur les comprend, et les apprécie, malgré leurs erreurs et leurs faiblesses ; ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils sont pardonnables. La compréhension et le pardon n’ont rien à voir. Ils font tous des erreurs fatales, et le lecteur assiste au déroulement des événements, impuissant, juste capable de déplorer ce qui va inévitablement arriver.
J’ai ADORE le fait qu’Home Fire soit si fidèle à Antigone, et pourtant si contemporain, si actuel ! Les personnages, les événements ; tout colle parfaitement ! On retrouve donc Ismène sous les traits d’Isma, Antigone chez Aneeka, Hémon est Eamonn, Créon est Karamat, Polynice est Parvaiz. Je ne vous dirais pas si cette version moderne se termine comme la tragédie de Sophocle [SPOILER] évidemment que oui : la fin nous montre Aneeka et Eamonn enlacés, prêts à mourir ensemble, seule petite divergence d’avec la pièce dans laquelle Antigone meurt avant Hémon, qui se suicide ensuite ! Mais tout y est : la trahison d’Ismène, la putréfaction du corps de Polynice, l’inflexibilité de Créon, le fait qu’il soit le seul vivant à la fin (à part Ismène, bien sûr ; encore une petite divergence, sa femme n’est (pas encore ?) morte à la fin du roman contrairement à la pièce). On retrouve aussi la question du dévouement, des lois face à l’amour, de la force de cet amour qui pousse les personnages à faire « n’importe quoi » pour l’être aimé. J’ai adoré le fait qu’Antigone et Polynice soient ici jumeaux ; il ne me semble pas que ce soit le cas dans la tragédie d’origine ! [FIN DU SPOILER] Quasi, si on ne m’avait pas dit que c’était une réécriture, et que je n’avais pas repéré les noms des personnages, je n’aurais pas su que c’était une Antigone moderne malgré la fidélité à la pièce !
J’ai également adoré Aneeka, presque autant que l’Antigone d’origine. Têtue, belle, indomptable, elle veut faire justice, même si cela veut dire devenir hors-la-loi (et pourtant, elle s’y connaît en droit puisqu’elle l’étudie !) Elle ne mêle pas sa vie personnelle et les règles du monde extérieur : rien ne peut résister à l’amour qu’elle porte à son jumeau Parvaiz, malgré les erreurs qu’il a pu faire. Il sera toujours une part d’elle, quelque chose qu’elle ne peut, et ne veut pas renier. Comme Antigone, [SPOILER] elle utilise Eamonn/Hémon et finit par tomber amoureuse de lui ; mais leur amour ne peut survivre aux lois, représentées par Karamat/Créon. [FIN DU SPOILER] [SPOILER] Elle croit vraiment que son frère Parvaiz est quelqu’un de bien, qu’il s’est juste égaré sur le chemin ; et c’est ce que le lecteur finit par croire aussi, grâce au point de vue du jeune homme. Il s’est laissé emporter, enrôler, n’a jamais eu l’intention de devenir un véritable jihadi ; mais cela ne l’excuse pas pour autant. Traumatisé, paralysé par sa peur, conscient d’être coincé dans une situation intenable, il attend d’arriver au bout de ses forces pour réagir ; mais il est déjà trop tard. Une fois Parvaiz mort, Aneeka veut simplement l’enterrer, comme Antigone avec Polynice ; qu’il soit en paix, qu’il atteigne le ciel promis par la religion, ou plutôt, qu’elle-même soit en paix, et plus hanté par un frère qui lui hurle son innocence jusque dans ses rêves. Qui a-t-il de mal à ce qu’une jeune femme veuille que le corps de son frère soit enterré chez eux, afin de le pleurer, pas le jihadi, mais le frère qu’elle a perdu quand il est parti, et qu’elle a pensé retrouver au moment où il lui a échappé définitivement ? [FIN DU SPOILER] (me suis laissée aller aux spoilers, trop besoin d’en parler !)
En réalité, ce livre est parfois difficile à lire, parce qu’il frappe là où ça fait mal, comme Antigone le faisait déjà quand je l’ai lu. Mais ici, le sujet est beaucoup plus difficile à aborder, parce que très actuel. Antigone veut enterrer Polynice après que lui et son frère, Etéocle, se sont entretués. Créon refuse parce que Polynice est un ennemi de l’Etat. Et ainsi la tragédie commence. Ici, Parvaiz est un jihadi, un terroriste, enrôlé à Londres dans un moment de faiblesse, passé en Syrie pour découvrir le passé sur son père (ce n’est pas un spoiler, le résumé le dit clairement). Et nous ne comprenons pas le terrorisme, ce déchaînement de violence sans but apparent que de tuer des gens innocents, quelque chose contre quoi nous réagissons avec peur, et violence à notre tour. La violence ne fait qu’en créer davantage, et on ne se sort pas de ce cycle sans fin. Etant donné que le lecteur se voit offrir les points de vue de tous les personnages principaux, il peut comprendre comment tout arrive, comment tout se noue, comment chacun s’autodétruit. Antigone est une des plus belles tragédies ; mais, en lisant Home Fire, j’ai espéré une fin heureuse. Quelqu’un sera-t-il sauvé ? Le côté politique est évidemment très lourd ; Antigone traite de l’amour face aux lois, de la dévotion d’une sœur face à la « raison » d’un dirigeant. Ismène m’a toujours paru froide à côté de la passion d’Antigone, de son besoin que tout soit en ordre, même si ce n’est pas l’ordre de l’Etat ; elle ne comprend pas pourquoi elle devrait renier sa famille, malgré ses erreurs, pourquoi elle devrait faire taire un sentiment naturel. Elle ne peut pas s’empêcher de ressentir cet amour inconditionnel pour un être qui partage son sang ; peut-on vraiment lui en vouloir ? Dans le sens contraire, doit-on en vouloir à Ismène, qui a préféré renier Polynice après sa mort et celle d’Etéocle ? Eamonn, à nouveau, est un personnage qui paraît bien faible face à Aneeka/Antigone, mais aussi face à son père Karamat/Créon, qui tente de le raisonner, et ne cesse de penser au côté trop romantique, trop faible, mou de son fils. [SPOILER] Alors oui, d’accord, il est manipulé par une femme qu’il aime, il est emporté par l’amour. Il passe pour ridicule parce qu’il aime Aneeka, et qu’il veut la défendre face à son père. Pour retrouver un semblant de crédibilité, il ne peut que mourir dans ses bras. Quel dommage !! Et c’est si peu viril de montrer son amour n’est-ce pas ?!! (ironie quand tu nous tiens !) [FIN DU SPOILER]
J’ai été choquée par la façon dont les « non blancs » se sentent, sont traités, sont conscients de leur « différence » dans un monde censé les accepter. Je n’en avais pas conscience à ce point, et cela m’a tellement gênée. Je me suis sentie mal à l’aise parce que je me suis demandée si, moi aussi, je ne participais pas, inconsciemment, à cet amalgame constant, alors que ce n’est pas du tout ma façon de penser et de voir le monde. Voir les personnages se faire tout petit, se forcer à ne pas faire la moindre vague, sans quoi ils sont automatiquement dans le radar du gouvernement. Je ne pensais vraiment pas que c’était à ce point. J’ai eu tellement honte de notre monde, et surtout de cette façon de considérer les enfants à la lumière de ce que leurs parents ont fait. Antigone, Ismène, Polynice ne sont pas Œdipe ; Aneeka, Isma, Parvaiz ne sont pas leur père non plus. Et pourtant, la société fait comme s’ils étaient des bombes à retardement, comme s’il existait une question d’hérédité dans tout ça. Le passage de l’interrogatoire, au tout début du roman, m’a donné envie de balancer le livre. On reconnaît donc aux blancs leur individualité, mais pas aux « autres » ? Ridicule.
Enfin, la fin. Explosion de mon cœur en mille morceaux. [SPOILER] Cette dernière image était trop pour mon pauvre cœur. Comme dans Antigone, personne ne gagne, tout le monde perd, soit la vie, soit la personne qu’il chérit le plus au monde. Et, comme dans la pièce, j’ai pitié de tous. [FIN DU SPOILER] J’ai trouvé pris le parti d’Antigone en lisant la pièce [SPOILER] et, comme dans l’œuvre d’origine, enfin, Créon est sur le point de reconnaître que la jeune fille a raison, mais il est déjà trop tard … Karamat veut exaucer le souhait d’Aneeka au moment même où il ne sert plus à rien. [FIN DU SPOILER] Je prends toujours son parti dans la version moderne.
Donc, un excellent roman, que tous devraient lire, sans aucune exception, même s’ils se fichent d’Antigone.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.