The Secret History de Donna Tartt
Genre : Drame (parce que je ne vois pas dans quel genre le classer …)
Editeur : Penguin
Année de sortie : 2002 [1992]
Nombre de pages : 629
Titre en français : Le maître des illusions
Synopsis : Truly deserving of the accolade Modern Classic, Donna Tartt’s novel is a remarkable achievement – both compelling and elegant, dramatic and playful.
Under the influence of their charismatic classics professor, a group of clever, eccentric misfits at an elite New England college discover a way of thinking and living that is a world away from the humdrum existence of their contemporaries. But when they go beyond the boundaries of normal morality their lives are changed profoundly and for ever.
Avis : The Secret History me tente depuis un moment ; je l’ai trouvé à la bibliothèque de ma ville !
J’étais déjà intriguée par le résumé que j’entendais/je lisais dans les chroniques des lecteurs : des amis issus d’un groupe très restreint et très sélect assassine un des leurs. Cela me semblait déjà bien sombre, et j’étais intéressé par le fait que l’on connaisse déjà la victime et les coupables : qu’allait raconter le livre dans ce cas ? En fait, The Secret History raconte la raison du meurtre, comment ils en sont arrivés là, puis, dans une deuxième partie, les conséquences sur leur vie. Ce n’est donc pas un thriller traditionnel dans lequel le lecteur est tenu par le suspense de savoir qui a fait le coup, mais plutôt un roman psychologique qui nous plonge dans la tête des personnages, nous fait découvrir ce qui les a poussés à le faire, et ce qui leur est arrivé ensuite.
Je suis sortie de ce livre comme frappée par la foudre. Je ne savais plus quoi faire de ma vie, ou quoi lire ; rien ne pouvait arriver à la hauteur de The Secret History – d’ailleurs, j’ai arrêté de lire le livre que j’ai choisi ensuite, je n’arrivais pas du tout à entrer dedans ! Tout d’abord, ce livre a une véritable atmosphère : j’étais à l’intérieur, j’étais avec les personnages. La narration à la première personne aide beaucoup ici : parfois, j’avais carrément l’impression d’être un lecteur-personnage embarqué dans leur groupe, j’en oubliais le nom du narrateur lui-même, comme s’il n’était qu’un relais. C’était à la fois formidable et affreux. Formidable parce que l’expérience de lecture est énorme ; affreux parce que l’histoire est très sombre, et si horrible que je me sentais vraiment mal parfois, j’avais la nausée. J’ai beaucoup aimé l’écriture, entre dialogues et descriptions ; c’est une des raisons pour lesquelles ce livre est si atmosphérique ! (il se lit aussi très très rapidement pour un roman de cette taille !)
J’ai rarement lu à propos d’autant de personnages aussi détestables ou en qui le lecteur ne peut pas avoir confiance dans un même livre ! Tous ont un trait de caractère qui les rend méprisants, arrogants, ou tout simplement insupportables. Malgré tout, l’auteure a un véritable talent : elle nous immerge tellement dans l’histoire qu’elle nous fait aimer les personnages parfois – je dis bien parfois, parce qu’il y a quand même des moments où j’avais envie de les tuer ! La première rencontre du lecteur dans ce groupe se fait avec un professeur élitiste, Julian Moore, un des maîtres des illusions du titre français selon moi ; et pourtant, comme je le dis juste au-dessus, on parvient à l’apprécier parce qu’il est chaleureux et adorable [SPOILER] mais est-il vraiment adorable ? Sa réaction à la fin et les commentaires de certaines personnes à son propos montrent clairement que ce n’est qu’un masque, et qu’il est bien un maître de l’illusion. Il est quand même devenu si proche des personnages que certains le considéraient comme leur père de substitution ! Il aurait pu leur demander n’importe quoi, ils l’auraient fait ; preuve : les bacchanales qu’ils organisent sont, en quelque sorte, une idée de Julian, qui veut voir en pratique ce que le mythe explique. Donc, si on le voit comme ça, tout arrive par sa faute. Et si le groupe est si peu socialisé, c’est aussi de sa faute : il a voulu se constituer un petit cercle privé d’adorateurs, quasi une secte en fait ! Je ne pensais pas que j’avais autant de ressentiment contre lui tiens ! [FIN DU SPOILER] Henry est sans aucun doute le personnage avec lequel j’ai eu le plus d’aller-retour « je t’aime » « je te hais ». Arrogant, méprisant, ayant développé un énorme complexe de supériorité [SPOILER] cultivé par Julian ! [FIN DU SPOILER], persuadé d’être au-dessus des autres, mais surtout d’être né dans un monde qui ne lui convient pas, il est parfois formidable, et parfois tellement … dégueulasse, je ne trouve pas d’autres mots, qu’on a envie de le frapper et de le ramener à la réalité. Extrêmement riche – le lecteur n’a pas de détails, et même les autres personnages ont du mal à imaginer l’étendue de ses ressources –, il n’étudie pas pour travailler, mais pour le plaisir de l’étude, pour le plaisir des classiques. En soi, c’est honorable, et magnifique de se dire que ce genre de personnes, qui aiment apprendre pour apprendre, existe ; mais toute sa personnalité à côté de ça invalide complètement ses bons côtés. Il est le pire du groupe, mais aussi, en quelque sorte, le meilleur. Difficile à expliquer, honnêtement ! Richard Papen, n’est pas beaucoup plus appréciable parce qu’il est narrateur ; au contraire, sa passivité et son manque de réaction en font un personnage assez faible, et parfois agaçant. Intoxiqué par le groupe, il se met aussi à se croire supérieur. Il a des regains de lucidité, qui le sauve peut-être aux yeux du lecteur. Il ne comprend son erreur qu’une fois qu’il est trop tard. C’est tout de même un excellent narrateur : par sa passivité, il permet au lecteur de prendre sa place, en quelque sorte ; par sa lucidité, il permet au livre d’aborder des réflexions très intéressantes dont je parlerai plus bas. J’ai ressenti de la pitié pour lui, et je me suis sentie très proche de lui à cause de cette possibilité de prendre sa place dans la fiction ; j’avais l’impression de vivre et de ressentir ce que lui-même vivait et ressentait. Richard est un peu la catharsis du lecteur : il lui permet de vivre son histoire pour comprendre son expérience, et ne jamais la vivre lui-même dans la réalité. Cela fait quand même de lui le personnage le moins détestable. Bunny fait, comme Henry, partie des pires du groupe. Homophobe, misogyne, touché par un complexe de supériorité, sans gêne, méprisant … autant de défauts qui poussent le lecteur à le détester ! Sauf que, c’est lui la victime du meurtre – non, ce n’est pas un spoiler, la première phrase du livre parle justement de Bunny mort depuis dix jours après que le groupe l’a tué. Et cette victimisation le rend touchant ; le lecteur ne peut pas s’empêcher de ressentir de la pitié mêlée à de la haine pour lui, des sentiments contradictoires que ressentent également les autres personnages – ce qui me pousse, encore une fois, à penser à la théorie du lecteur-personnage ! Les autres membres du groupe sont tout aussi détestables : Francis et sa manie d’abuser des gens bourrés ; Camilla et sa manipulation constante des sentiments des autres ; Charles, sa violence et sa jalousie. Aucun ne rattrape l’autre, et pourtant, le lecteur ne parvient pas à les haïr tout le temps. D’autres personnages, étudiants ou professeurs à Hampden College, parents des membres du groupe, se trouvent dans le livre. Concrètement, les parents sont complètement inutiles : soit ils ne se soucient pas de leurs enfants, comme c’est le cas des parents de Richard, soit ils sont complètement aveugles et ne voient pas ce qui arrivent à leurs enfants. Les parents de Bunny sont aussi très particuliers : après sa mort, le lecteur a l’impression qu’ils se préoccupent plus de l’image de leur famille que de la perte de leur fils ; mais, en même temps, le père de Bunny est complètement détruit par le chagrin à certains moments… Une famille bizarre vous dis-je ! Les autres étudiants sont des personnages moins fouillés parce que le narrateur ne passe pas énormément de temps avec eux. Seuls Cloke, Marion et Judy prennent du relief, les deux premiers à cause du meurtre, la dernière parce qu’elle est la voisine de Richard. Pour les profs, ils sont présentés soit de manière ridicule, soit comme des hommes séniles à travers les yeux du narrateur ; seul Julian trouve grâce à ses yeux et fait quasi office de dieu.
Ce qui aurait pu me faire détester ce livre est clairement l’aspect élitiste de l’histoire. Richard entre dans ce groupe d’étudiants complètement absorbés dans l’étude du grec, du latin et de l’ancien monde en général. C’est très honorable en apparence, et j’adore moi-même l’étude de l’Antiquité, cela me fascine ! Mais l’arrogance et le sentiment de supériorité des personnages annihilent complètement la beauté de l’étude. Et le pire, c’est qu’une part de ce sentiment de supériorité leur vient de l’argent ; d’ailleurs, Julian ne prend que des étudiants riches si j’ai bien compris, afin qu’ils soient complètement désintéressés et qu’ils se consacrent avec plaisir à l’étude qu’il leur propose. Le but n’est pas de travailler ensuite ; ce n’est que pour le plaisir. Richard entre dans ce groupe, mais ne correspond pas tout à fait à leur standard : ses parents ne sont pas fortunés, il doit travailler à côté de la fac pour pouvoir vivre. Il est fasciné par le groupe, et décide de mentir pour être intégré. Comme je l’ai dit, j’aurais pu détester ce livre à cause de toute cette arrogance ; mais j’ai adoré grâce à la manière dont le sujet est traité par l’auteure. Cette situation n’est pas du tout présentée comme normale ; j’ai été choquée par certaines idées, mais elles étaient formulées par des personnages choquants et détestables. Si je lis un livre de ce genre, et que je sens que l’auteur se cache derrière ces idées en tentant de me les faire accepter comme normales, j’aurais abandonné très rapidement, et haï le roman ! Grâce à ce traitement du sujet, The Secret History est un livre original, différent de tout ce que j’ai pu lire auparavant, unique. Pour une fois, je n’ai pas eu l’impression que l’auteure poussait le lecteur vers ses personnages, le forçait à les aimer malgré leurs défauts ; cela se fait naturellement. Et c’est peut-être pour cette raison qu’ils avaient l’air TELLEMENT réaliste !! C’est aussi ce qui m’a secoué pendant ma lecture : j’avais l’impression que tout était réel, et surtout eux, qu’ils allaient apparaître d’un instant à l’autre !
Comme je vous le disais, dès la première ligne, l’intrigue est installée : Bunny a été tué par les membres de son groupe. C’est clairement une des prémisses les plus affreuses de la littérature, et certaines parties étaient horribles à lire. J’avais envie de leur dire : « Vous êtes vraiment sérieux là ?!! Vous savez ce que ça veut dire « ami » au moins ?!! » Mais cela, et la narration à la première personne, permettent des réflexions très intéressantes, et un peu paradoxales (dans le sens étymologique du terme, différentes de l’opinion publique). Richard s’interroge sur le mal, la culpabilité, le meurtre. Il nous explique qu’il ne se considère pas comme quelqu’un de mauvais, ni en surface, ni profondément, même après avoir participé au meurtre, et qu’il se rend compte que c’est sans doute ce que se disent tous les criminels. Pour autant, il a tué – ou aidé à tuer quelqu’un – et doit vivre avec. La deuxième partie sur les conséquences nous montre peu à peu la déchéance de certains personnages, les ravages de la culpabilité. Cela peut paraître étrange de dévoiler la victime et les coupables dès le début ; et pourtant, ce n’est pas ce qui compte. J’ai trouvé beaucoup mieux de savoir qui mourrait et tué par qui pour bien comprendre les raisons de ce meurtre. Je me suis tellement attachée aux personnages, même en sachant que la scène du meurtre allait arriver.
La seule chose qui m’a agacée : l’alcool et la drogue. Ces deux éléments sont CONSTAMMENT présents, et quand je dis constamment, je suis sérieuse : pratiquement tout le long du livre, la majorité des personnages sont bourrés, et les étudiants autour d’eux sont shootés. Je me suis retrouvée à lever les yeux au ciel à de nombreuses reprises : « Non mais vous êtes sérieux là ?! » C’était un peu trop pour moi.
Je ne pensais pas que le livre allait se terminer de cette manière ; quand le retournement de situation est arrivé, je suis restée la bouche ouverte, incapable de comprendre, parce que c’était impossible que ça arrive – exactement comme les personnages, encore une fois ! La toute fin était assez mystérieuse et étrange ; j’ai aimé le message que j’en ai tiré.
Donc, un excellent roman original, que j’ai toujours l’impression d’habiter.