The Penelopiad de Margaret Atwood
Editeur : Canongate
Année de sortie : 2006 [2005]
Nombre de pages : 196
Titre en français : L’Odyssée de Pénélope
Synopsis : Murder comes back to haunt you
For Penelope, wife of Odysseus, maintaining a kingdom while her husband was off fighting the Trojan war was not a simple business. Already aggrieved that he had been lured away due to the shocking behaviour of her beautiful cousin Helen, Penelope must bring up her wayward son, face down scandalous rumours and keep over a hundred lustful, greedy and bloodthirsty suitors at bay …
And then, when Odysseus finally returns and slaughters her murderous suitors, he brutally hangs Penelope’s twelve beloved maids. What were his motives? And what was Penelope herself really up to? Margaret Atwood has given Penelope a realistic and witty voice to tell her own story and set the record straight for good.
Avis : J’adore la mythologie, et quand j’ai vu que ce livre existait, je l’ai tout de suite ajouté à ma wish-list !!
Margaret Atwood offre ici une réécriture de L’Odyssée vu par Pénélope, la femme d’Ulysse. Petit bémol sur la traduction du titre en français : le nom du mari se trouve encore dans le titre, alors qu’il est complètement absent dans le titre en VO ! Ici, l’histoire est donnée sans toutes les fioritures et les mensonges qui l’accompagnent dans le mythe. Pénélope laisse entendre qu’Ulysse n’a pas accompli les grands exploits qu’on lui attribue dans L’Odyssée, mais plutôt qu’il s’est arrêté dans un bordel pendant très longtemps, ou qu’il s’est battu avec un aubergiste à cause de la note : tout est plus trivial ici, et, en quelque sorte, drôle en même temps ! Ulysse est un peu ridiculisé ; il est aussi montré, comme dans les mythes habituels, comme un homme rusé, un voleur et un menteur. Il n’y a pas de grand amour entre lui et sa femme ; ils font tous deux semblant de croire l’autre, tout en sachant qu’ils mentent tous les deux. Au revoir la belle histoire d’amour, le héros formidable, et l’épouse naïve et dévouée ! Le lecteur suit donc Pénélope de sa naissance à sa vie aux Enfers – aussi appelés l’Hadès. Elle raconte l’histoire après sa mort, des milliers d’années après, ce qui lui permet de faire des références à notre monde. Elle commence en nous expliquant qu’elle va dire toute la vérité, qu’il ne sert plus à rien de mentir maintenant que tout le monde est mort. Le lecteur s’empresse donc de la croire. Mais peut-il vraiment lui faire confiance ? Dit-elle vraiment toute la vérité ? N’essaie-t-elle pas de paraître, ou de se sentir moins coupable ? Parce qu’évidemment, elle se sent coupable : Ulysse n’a pas fait que tuer ses prétendants quand il est revenu à Ithaque ; il a aussi fait pendre ses douze servantes préférées, celles qu’elle considérait comme ses filles, et qu’elle n’a pas pensé à sauver à temps ! Entremêlés à l’histoire de Pénélope, les chœurs de ces servantes nous racontent leur histoire, mais aussi leur point de vue sur ce qui est vraiment arrivé – j’ai d’ailleurs aimé cette référence aux pièces grecques anciennes, comme l’écriture de Margaret Atwood, qui m’a encore séduite ! [SPOILER] Elles laissent entendre que Pénélope a trompé son mari avec certains prétendants ; l’image de Pénélope est tellement ancrée comme la femme fidèle et désespérée qu’il est difficile de l’imaginer autrement. Pourtant, le complot qu’elle ourdirait ensuite contre les servantes est plausible : qui dit alors la vérité ? [FIN DU SPOILER] J’ai aimé comme il est compliqué de démêler le vrai du faux, et comme chaque version d’une histoire est différente.
Ce point de vue féminin permet de redécouvrir la société grecque et sa façon de traiter les femmes. Comme Pénélope le dit, elles sont de la viande à acheter et à vendre, à ensemencer pour obtenir des héritiers, quand elles sont nobles. Les servantes nous montrent la façon dont elles sont traitées : comme des prostituées, des objets jetables. Le maître doit quand même d’abord donner la permission pour que les servantes soient violées ; s’il ne la donne pas, les nobles invités n’ont pas le droit de les toucher. Permission pour violer ? Vraiment ?!!!! De plus, la société grecque met en avant la domination de l’homme sur la femme, humain ou dieu. Combien de femmes ont été violées par Zeus par jeu ? Et cette théorie à la fin !!! Elle m’a fait penser à From Hell d’Alan Moore : Jack l’Eventreur explique comment les hommes ont complètement soumis les femmes, jusque dans l’architecture de Londres, dans la façon dont ils ont recouvert les traces de culte féminin par des symboles de puissance masculine. Margaret Atwood donne ses sources : The Greek Myths de Robert Graves, que j’ai maintenant encore plus envie de lire !! Je trouve cette hypothèse, et ce qu’elle implique, fascinante, et cela peut nous aider à comprendre comment nous en sommes arrivés là !
J’ai vu pas mal d’avis de lecteurs qui n’ont pas aimé le livre parce que Pénélope ne fait que se plaire d’Hélène et de sa beauté ; mais je peux tout à fait la comprendre. La beauté était – et est encore aujourd’hui – un tel critère de valeur qu’elle ne peut pas ne pas en parler et être à la fois jalouse et dégoûtée. La société nous fait voir la beauté de cette façon, et nous demande ensuite d’être hypocrite en prétendant ne pas lui prêter attention : nous sommes, en réalité, obligés de nous en soucier. Les apparences sont si importantes, que ce soit à l’époque ou de nos jours ; ce serait un mensonge de prétendre le contraire. Il suffit de regarder autour de soi, à la télé ou dans les cinémas. Cela ne veut pas dire qu’il faut nous contenter de cela, et être heureux de la situation ; mais ne soyons pas hypocrites non plus. Hélène n’est pas punie justement parce qu’elle est belle ; une autre femme aurait été condamnée à mort, Pénélope y compris. Elle a été façonnée par la société, comme nous le sommes ; nous pouvons tenter de lui échapper, de penser différemment ; elle ne pouvait pas. J’ai d’ailleurs aimé le mix entre mythologie et société moderne ; il aurait pu paraître étrange, mais il était réussi pour moi.
Donc, une très bonne réécriture mythologique, qui me conforte dans l’idée de continuer à lire Margaret Atwood !
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