Fun Home: A Family Tragicomic d’Alison Bechdel
Editeur : Jonathan Cape
Année de sortie : 2006
Nombre de pages : 232
Titre en français : Fun Home : une tragicomédie familiale
Synopsis : Fun Home is a fresh and brilliantly told memoir marked by gothic twists, a family funeral home, sexual angst and great books. Like Marjane Satrapi’s Persepolis it’s a story exhilaratingly suited to graphic memoir form.
Meet Alison’s father, obsessive restorer of the family’s Victorian home, funeral director, high school English teacher, icily distant parent and closeted homosexual, who, as it turns out, is involved with his male students and a babysitter.
Through a narrative that is alternately heart-breaking and fiercely funny, we are drawn into a daughter’s complex yearning for her father. When Alison comes out as homosexual herself in late adolescence, the denouement is swift, graphic – and redemptive.
Avis : J’ai entendu parler de ce livre, le terme « gothique » a été employé, et je n’avais jamais lu de mémoire sous forme graphique : je me suis lancée !!
J’avoue que je ne m’attendais pas à être aussi émue par ce livre ; et en même temps, j’avais entendu pas mal de bonnes choses, alors je m’attendais quand même à quelque chose. Je savais seulement qu’il traitait du père de l’auteure, et de leur maison gothique. En fait, Fun Home est un mémoire, mais aussi une espèce de biographie de Bruce Bechdel, le père. L’auteur écrit sur son enfance, sur le fait qu’elle comprend qu’elle est lesbienne, et, en même temps, sur sa relation avec son père, un parent froid qu’elle aime quand même, sur la vie de celui-ci, sur ce qu’elle sait de lui. J’ai été émue par l’envie de la narratrice d’avoir une simple conversation avec son père, d’avoir une bonne relation avec lui – un peu une façon de recoller les morceaux, ou de rattraper le temps perdu -, de partager quelque chose. C’est déchirant de la voir incapable de l’atteindre – même quand elle se rend compte qu’ils ont quelque chose en commun ! -, incapable de le cerner et de le comprendre, incapable de lui dire son amour, excepté par ce livre qui arrive après sa mort. Ils sont mal-à-l’aise, embarrassés d’être si proches, et pourtant toujours aussi éloignés. Malgré tout, l’auteure/narratrice se souvient des bons moments passés avec son père, de ces moments où il était joyeux, ou aimant. Il est affolant de se rendre compte, au fil de la lecture, à quel point ces deux personnes, si différentes à première vue, se ressemblent. Ils ont évolué, en quelque sorte, de la même façon, mais n’ont pas réagi à la « révélation » de leur vie de la même façon. Je ne sais pas si on peut parler de spoilers pour un mémoire, mais, au cas où, attention spoiler éventuel : le père d’Alison Bechdel est homosexuel, et elle l’apprend seulement une fois qu’elle a compris qu’elle-même était lesbienne. Elle se sent tellement différente de son père ; et pourtant, elle apprend par sa mère qu’ils ont vécu la même chose ; seulement, son père a décidé de « refuser » son homosexualité, de la refouler en quelque sorte, en se mariant avec la mère d’Alison, et en continuant à rester marié, malgré ses multiples aventures avec des garçons (fin du spoiler éventuel). Tout le long du livre, l’auteure/narratrice tente d’écrire ses souvenirs, tout en essayant de comprendre ce père énigmatique, et surtout, de comprendre sa mort. Elle est convaincue qu’il s’est suicidé, et pense avoir des indices/preuves de cela dans les dernières journées de son père. Les phrases qu’elle écrit pour décrire son impression une fois qu’il est mort sont déchirantes : c’est comme si son absence quand il était vivant était définitivement concrétisée.
Je vous disais plus haut que l’auteure/narratrice comprend ici qu’elle est lesbienne. Ce peut être un peu étrange d’utiliser le verbe « comprendre », mais j’ai l’impression que c’est le meilleur dans ce cas. Elle décrit cette découverte comme simplement une façon de désigner quelque chose de naturel chez elle, d’enfin mettre un mot sur quelque chose qui avait toujours existé pour elle et dont elle n’avait pas conscience. Cela ne s’est pas fait à travers une personne, mais à travers un témoignage qui lui a permis de se rendre compte qu’elle ressentait la même chose. J’ai aimé ensuite son parcours à travers des tas d’œuvres traitant de l’homosexualité – notamment Maurice d’E. M. Forster, que je compte lire bientôt !! J’ai aimé sa façon de parler de sa sexualité, sans tabous, et sans question de honte. Cette question se trouve plutôt du côté de son père.
Le livre traite aussi de l’anxiété, représentée ici par des espèces de TOC : l’auteure/narratrice commence par douter de ses souvenirs, puis elle se force à compter les choses, à faire des choses de manière ritualisée – par exemple, le fait que ses chaussures doivent être parfaitement parallèles, et qu’aucune ne doit dépasser l’autre. L’auteure semble analyser ces manifestations anxieuses, puisqu’elle écrit à un moment donné qu’elle doit donner autant d’amour aux deux chaussures, qui représentent en fait ses parents. Honnêtement, il est très difficile d’apprécier le père ou la mère. Bruce est un parent affreux, qui ne donne aucune affection à ses enfants – excepté pendant certains moments de grâce – ; obsédé par la restauration de sa maison, il oblige ses enfants à l’aider, et peut être violent, que ce soit avec eux ou avec sa femme, notamment lors de leur voyage pour voir un de ses amis d’enfance. L’auteure/narratrice ne cache pas ses défauts ; mais elle montre aussi combien elle l’aime. Ce livre n’est pas débordant de haine contre un père tyrannique ou absent ; c’est une déclaration d’amour posthume. Alison dépeint aussi son père dans ses bons moments ; elle tente de comprendre sa façon d’être et d’agir ; à la fin du livre, il en est presque touchant. La mère – dont j’ai oublié le nom -, est aussi très peu appréciable : elle aussi est obsédée par quelque chose, et ce n’est pas ses enfants ! Elle fait une thèse, et est comédienne ; elle doit donc travailler, en plus de faire les tâches ménagères et de répéter pour ses spectacles. Débordée, elle est, en quelque sorte, elle aussi absente. Elle aussi semble gênée quand, une fois, Alison lui parle de ses règles. En fait, l’auteure/narratrice, enfant et adolescente, ne peut parler à personne de ce qui lui arrive, ne peut pas se confier, et garde tout à l’intérieur d’elle, ou dans des petites expressions dans son journal. Sa relation avec ses parents est difficile, source de gêne, et de peur aussi parfois.
Parlons un peu de la maison : il est vrai qu’elle est gothique, et permet à l’auteure, en quelque sorte, de comprendre en partie son père. Ce « manoir » est sa passion ; il l’a restauré à neuf, l’a remeublé comme il l’était avant, et y a installé une bibliothèque/bureau dans un style très aristocratique. Alison déteste cette maison ; l’auteure donne une raison pour cela : son père considère ses meubles comme ses enfants, et ses enfants comme ses meubles. Il se fiche des goûts de sa fille quand il restaure sa chambre : il y met le papier peint qu’il veut, et les objets qu’il veut. Cette maison est, en quelque sorte, son œuvre ; il en est fier, même si elle lui prend absolument tout son temps.
Le lecteur découvre aussi l’origine du titre du mémoire : Fun Home est l’abréviation de funeral home. En effet, Bruce est professeur de littérature, mais il est aussi croque-mort. Alison et ses frères sont donc dans un milieu qui leur permet de découvrir la mort dans son aspect le moins sentimental ; leur père prépare les morts, ce qui implique de les vider – ce qui donne une scène peu sympathique, à la fois pour le lecteur et pour l’auteur/narratrice. Ayant vécu dans une maison funéraire, l’auteure/narratrice est, d’une certaine façon, détachée de la mort, comme son père lorsqu’il s’occupait des corps. On ressent son désespoir à la mort de son père d’une autre manière, pas par ses pleurs, ce qui le rend d’autant plus touchant.
J’ai aimé les nombreuses références littéraires : l’auteure/narratrice les associe à des situations, à des événements, et même carrément à ses propres parents, à sa relation avec eux. On peut dire que cela lui vient, en quelque sorte, de son père, qui, le lecteur s’en rend compte, faisait la même chose. Le parallèle avec Ulysses de James Joyce est énorme. Sont aussi mentionnées, comme je l’ai dit, des œuvres traitant de l’homosexualité, parmi elle Sodome et Gomorrhe. Les livres ont une place importante dans la vie d’Alison Bechdel et dans celle de son père : ils sont partout, les accompagnent presque constamment ; la narratrice se demande même à un moment donné si un livre particulier que son père lui a prêté n’était pas un message qu’il tentait de lui faire comprendre. Dans tous les cas, les livres permettent des moments de partage entre Alison et Bruce, moments qu’elle chérit et qu’elle veut faire durer le plus longtemps possible. J’ai aussi adoré les références mythologiques !! (Etrange d’ailleurs que j’avais ensuite prévu de lire The Penelopiad ; j’adore quand mes lectures se retrouvent liées d’une façon ou d’une autre !)
La fin est une dernière façon de briser le cœur du lecteur : l’auteure/narratrice se remémore le dernier moment passé avec son père – l’image et la façon de les dessiner tous les deux dans des fenêtres séparées, ce que l’on retrouve à plusieurs moments dans le livre augmentent l’intensité de la scène -, et son dernier souvenir est agréable.
Petite remarque importante : je ne pensais pas être fan de la façon de dessiner d’Alison Bechdel. Et finalement, j’ai adoré. C’est simple, mais efficace ; les expressions et les décors sont facilement représentés. J’ai aussi aimé que les photos que l’auteure/narratrice reproduit soient dessinées d’une façon différente – la scène où elle compare sa photo et celle de son père … et le cœur se brise à nouveau.
Donc, un excellent mémoire graphique, proche du coup de cœur, qui sonne comme un cri d’amour.
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