Everything Is Illuminated de Jonathan Safran Foer
Editeur : Penguin Books
Nombre de pages : 276
Année de sortie : 2003
Titre en français : Tout est illuminé
Synopsis : (sur la couverture, à l’intérieur du livre) A young man arrives in the Ukraine, clutching in his hand a tattered photograph. He is searching for the woman who fifty years ago saved his grandfather from the Nazis. Unfortunately, however, he is aided in his quest by Alex, a translator with an uncanny ability to mangle English into bizarre new forms; a ‘blind’ old man haunted by memories of the war; and an undersexed guide dog named Sammy Davis Jr, Jr. What they are looking for seems elusive – a truth hidden behind veils of time, language and the horrors of war. What they find turns all their worlds upside down …
Avis : J’ai emprunté ce livre à la bibliothèque universitaire, juste parce que je suis tombée dessus et que cela faisait longtemps qu’il était dans ma wish-list ; il faut dire que j’ai adoré Extrêmement fort et incroyablement près du même auteur !
Je peux vous dire que ce n’était pas gagné pour que j’aime ce livre : le début m’a paru assez confus, je n’ai pas tout compris, et j’avais du mal à me faire au langage d’Alex (qui s’appelle en fait Sasha !). Je n’avais pas lu le synopsis – comme souvent avant une lecture -, c’est peut-être la raison pour laquelle c’était dur pour moi d’entrer dans le livre. Je me suis même demandée si je n’allais pas arrêter ma lecture et la reprendre plus tard. Puis, est arrivé un passage qui m’a touchée, la page 43 de cette édition (je l’ai noté tellement c’était beau !), quand Yankel parle à la petite fille. Cela m’a émue, et je me suis dit qu’il fallait que je laisse une chance à Everything Is Illuminated. Comme j’ai bien fait !!
Si j’ai été si confuse au début, c’est, comme je l’ai dit, à cause du langage d’Alex, mais aussi parce que le lecteur se retrouve face à trois histoires imbriquées. D’abord, le langage : Alex/Sasha est Ukrainien. Sa langue natale est le russe, et il dit lui-même à son père qu’il parle anglais sans être excellent. Le lecteur s’en rend rapidement compte ; mais au lieu de l’agacer, cela le fait rire. Il transforme des expressions figées parce qu’il ne les connaît pas, ou même des verbes simples comme sleep, qui devient to manufacture Z’s. Cela rend le personnage adorable et drôle, même si c’est à son insu. Il est aussi très libre dans sa façon de s’exprimer, il ne censure pas : il peut donc dire que la chienne veut faire un 69 avec l’auteur. Je ne m’attendais tellement pas à ce genre de choses que j’ai éclaté de rire pendant toute la scène ! Autre sujet de confusion : les histoires imbriquées. Elles ne sont source d’égarement qu’au début du livre ; par la suite, le lecteur sait où il se trouve, qui parle. Il suit donc Alex/Sasha, son grand-père, la chienne et Jonathan (le héros) à la recherche d’Augustine dans une des histoires ; dans une autre, il découvre la vie des ancêtres du héros : Brod, Yankel, Safran. Et dans la dernière, sous forme de lettres, il découvre l’après-voyage en Ukraine : Jonathan est rentré en Amérique et Alex/Sasha lui écrit justement sur les autres histoires, qui forment le roman que l’auteur/personnage/héros écrit. J’ai adoré cette mise en abîme à plusieurs niveaux, procédé qui ne m’a finalement pas dérangé au cours de la lecture. Autre procédé qui peut déranger certains lecteurs, mais que j’ai aimé : les nombreux retours dans le passé, et les mélanges des différentes époques. Il y a parfois de quoi se perdre, mais le lecteur se souvient de qui vit à quelle époque. L’écriture est excellente, le style est décalé à plusieurs niveaux : le livre n’est pas écrit comme un roman ordinaire, les mélanges des trois histoires en fait un livre polyphonique et divers. De plus, l’auteur écrit de telle façon que les moments d’extrême violence ont l’air atténué, alors même que cette atténuation les rend plus forts encore. Il nous offre aussi des réflexions sur l’amour et sur la guerre, sujet sur lequel je reviens plus bas.
Comme vu plus haut, j’ai été très émue par un passage au début du roman, passage qui m’a permis de donner une chance au livre, et de l’apprécier pleinement. Et, à partir de ce moment, l’émotion a été pratiquement constante, variant en intensité, mais toujours présente. J’ai été émue par la découverte des relations de Sasha avec son père, son grand-père et son petit-frère. De plus, Sasha veut s’élever au-dessus de sa condition et nourrit des rêves qu’il partage avec Jonathan, et donc avec le lecteur. Sasha est, globalement, un personnage très touchant, bouleversant même parfois. Il désire se montrer fort, montrer qu’il est quelqu’un de bien, et qu’il peut devenir quelqu’un de « premium ». Sa façon de s’adresser à Jonathan à travers la première histoire même - il est narrateur alors – est touchante : il lui demande s’il s’exprime correctement, se corrige, écrit des passages qu’il demande finalement à Jonathan de ne pas mettre dans son roman. Il tente aussi de préserver « le héros » en le prévenant quand il évoque quelque chose que celui-ci ne voulait pas savoir. Dans ses lettres, il parle de sa façon d’écrire, des corrections que lui demande le héros, des passages qu’il ne veut pas voir figurer dans le roman parce qu’il ne veut faire de mal à personne, et surtout, parce qu’il veut donner une bonne image de tout le monde. Sasha est fait pour protéger, il le dit lui-même : « I exist in case you need to be protected. » (p. 227). J’ai aimé les images que lui et le héros emploient, notamment pour la lumière produite par les coïts lors de Trachimday ; j’ai aimé sa fragilité, qu’il tente de cacher, et finit par dévoiler au héros ; j’ai aimé sa façon de tenter d’aider son grand-père, sa peur de savoir et son envie de savoir, l’horreur qu’il ressent, et la compassion dont il est capable. En gros, j’ai adoré le personnage de Sasha.
D’autres personnages sont présents bien sûr : d’abord, Jonathan Safran Foer, aussi appelé par Sasha « le héros » parce qu’il est héros de la première histoire. Ce « personnages » porte le même nom que l’auteur, ce qui porte évidemment à confusion : nous sommes en présence d’un roman dans lequel l’auteur (référent dans la réalité) figure comme personnage (être fictif, imaginaire). Cela pousse le lecteur à voir dans le personnage le véritable écrivain. Celui-ci n’est narrateur que dans les chapitres concernant sa famille - il s’adresse même au lecteur à la fin, l’impliquant définitivement dans son roman. Jamais il n’est narrateur de sa propre histoire, ce qui fait que l’image que le lecteur a de lui lui vient à travers l’image qu’en a Sasha, et ce qu’il lui dit dans ses lettres. Sasha le voit comme « le héros », non pas au sens de « superhéros » ou quelqu’un dont il faut suivre l’exemple, mais comme le héros de l’histoire que Sasha raconte. Il est clair, à travers sa façon de lui parler, que Sasha a appris à apprécier Jonathan, même si le début ne semblait pas prometteur ; en effet, Jonathan a peur des chiens, parle vite anglais, et est végétarien dans un pays où l’on mange de la viande à tous les repas. Une sorte de fraternité finit par s’instaurer entre les deux personnages. Sasha se permet même de protéger Jonathan de ce qui est raconté par une femme ukrainienne en ne traduisant pas ce qu’elle raconte. Mais, à travers les yeux de Sasha, il est parfois difficile de pleinement apprécier Jonathan : en effet, le narrateur lui reproche de raconter la vérité, alors qu’en tant qu’écrivain, il pourrait l’embellir comme lui, Sasha, embellit sa vie par ses rêves, ou s’imagine qu’il a vécu des choses alors que c’est faux. Le lecteur est alors face à une réflexion sur le roman, la fiction et la biographie : l’écrivain a le pouvoir de changer l’histoire, de faire en sorte que les personnages soient heureux ; il peut altérer la réalité s’il est le seul à la connaître. Il peut ne pas dire, occulter, ou embellir. Mais ce n’est jamais ce que fait Jonathan, ni, donc, ce que fait l’auteur réel en écrivant Everything Is Illuminated, et c’est une des raisons pour lesquelles ce livre est un coup de cœur. Un autre personnage important – et pourtant, qui ne paie pas de mine au début - : le grand-père de Sasha, Alex – le grand-père et le petit-fils portent le même prénom, c’est normal ! Assez mystérieux, le lecteur comprend vite qu’il cache quelque chose. Cette révélation change sa vie, celle de son petit-fils, et celle de Jonathan. Bizarrement, dans le contexte, j’aurais dû m’y attendre, et pourtant, cela m’a choqué. Il devient étrangement attachant jusqu’à la fin ! D’autres personnages moins mis en avant – et qui ne s’expriment pas directement dans l’œuvre – se trouvent dans le livre : Little Igor, très touchant par la façon dont son frère parle de lui ; le père de Sasha, dont on comprend la violence au fil de l’œuvre, et qui finit par dégoûter le lecteur ; Sammy Davis Junior, Junior, une chienne complètement dérangée – mais les chiens ne le sont-ils pas tous ? -, qui apporte de bons moments de fous rires au lecteur ! ; la vieille dame que les personnages rencontrent au cours de leur recherche, une femme touchante qui raconte une histoire qui m’a semblé être la sienne ; Brod, une aïeule de Jonathan, un personnage exceptionnel que j’ai adoré découvrir ; the Kolker, compagnon fidèle mais à qui il arrive quelque chose qui va détruire sa vie ; Yankel, lui aussi touchant, même si je n’ai toujours pas compris son « crime ».
Je ne peux pas achever cette chronique sans parler du contexte, du pourquoi de la recherche de l’auteur : le grand-père de Jonathan a été sauvé des Nazis lors de la Seconde Guerre mondiale, et c’est la personne qui l’a sauvé que le petit groupe recherche. Et qui dit Seconde Guerre mondiale dit scènes émouvantes, scènes de guerre, scènes terribles. Il est important ici de préciser que la famille de l’auteur est juive, tout comme le village entier de Trachimbrod. Deux histoires, à nouveau, se mêlent : celle du grand-père de Jonathan et celle de celui de Sasha. Une des scènes, racontée par la vieille dame rencontrée lors de la recherche, est particulièrement dure à lire, tout comme l’est la révélation finale. Nous est alors offerte une réflexion sur la responsabilité pendant la guerre, comment peut-on déterminer si l’on est quelqu’un de bien ou quelqu’un de mauvais. Les deux derniers chapitres sont très émouvants : le premier est le dernier sur le passé, horrible à lire, qui fait venir les larmes aux yeux ; le second surprend le lecteur parce qu’il ne s’attend pas à voir ce personnage parler. Ce dernier chapitre rend la fin d’autant plus émouvante que c’est véritablement une fin.
Donc, un livre exceptionnel sur la Seconde Guerre mondiale, sur le passé, sur l’amour, un livre magnifique, différent des autres romans, un livre parfait.
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