Cosmétique de l’ennemi d’Amélie Nothomb
Editeur : Le Livre de Poche
Année de sortie : 2013
Nombre de pages : 123
Synopsis : « Sans le vouloir, j’avais commis le crime parfait : personne ne m’avait vu venir, à part la victime. La preuve, c’est que je suis toujours en liberté. » C’est dans le hall d’un aéroport que tout a commencé. Il savait que ce serait lui. La victime parfaite. Le coupable désigné d’avance. Il lui a suffi de parler. Et d’attendre que le piège se referme. C’est dans le hall d’un aéroport que tout s’est terminé. De toute façon, le hasard n’existe pas.
Avis : Je partais en week-end prolongé, donc je me suis dit que j’allais choisir de petits livres faciles à lire : Cosmétique de l’ennemi rentrait pour moi dans cette catégorie …
jusqu’à ce que je le lise ! Certes, c’est une lecture très rapide : en deux heures de voiture, je l’avais terminé. Mais je ne pense pas qu’on puisse dire que c’est un livre facile. L’écriture, comme toujours avec Amélie Nothomb, est fluide, et le lecteur passe de mot en mot très rapidement – ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas importants. De plus, le récit est principalement composé de dialogue, ce qui permet d’entrer dans l’histoire rapidement, ce qui donne plus de vie au livre, et ce qui donne des répliques bien senties, mémorables tant elles sont percutantes ! Mais le thème principal abordé n’est pas un de ceux que j’appellerai faciles ! Et surtout, avec le synopsis, je ne m’attendais pas du tout à ce genre d’histoire !! Je ne veux surtout pas gâcher la surprise à ceux qui ne l’ont pas encore lu, donc je ferai des encarts spoilers à chaque fois qu’ils me sembleront nécessaires ! L’histoire en elle-même commence doucement : un homme en aborde un autre dans un hall d’aéroport, et commence à l’importuner, à le suivre, à lui parler sans cesse, à lui raconter les grands événements de sa vie. Le lecteur est ici face à une situation dans laquelle il pourrait se trouver, ce qui lui permet de s’identifier d’emblée à Jérôme, l’importuné, et pas du tout à Textor, l’importun. Il choisit tout de suite un camp, et ce choix ne fera que se consolider au fil des révélations de Textor, assez affreuses pour faire tressaillir le lecteur, pour l’indigner, pour avoir envie d’entrer dans le livre et de lui faire payer lui-même ce qu’il a fait. C’est alors que surgit le premier rebondissement ! Je n’en croyais pas mes yeux !! Tout s’emboîte logiquement pour y aboutir, et pourtant, je ne l’ai pas du tout vu venir !! Je ne m’attendais pas non plus à la réaction des deux personnages ! Quant au second rebondissement, il m’a achevée ! Je n’étais pas du tout arrivée à cette conclusion, cela m’a vraiment surprise ! Amélie Nothomb a le don de faire croire à son lecteur qu’il a tout compris, alors qu’en fait, il est complètement à côté de la plaque ! Ainsi le thème principal est-il [SPOILER] la schizophrénie, le fait qu’un homme ait deux personnalités complètement opposées, et que l’une agisse indépendamment de l’autre. Ici, Textor rencontre Jérôme pour lui faire comprendre qu’ils sont deux, et que si le meurtre de sa femme n’a jamais été résolu, c’est parce que c’est lui-même qu’il l’a commis en oubliant qu’il est le meurtrier au moment de reprendre sa « première » identité. Cela pose aussi la question de la culpabilité après un crime, de la façon de chacun de le porter, ainsi que la question de savoir comment une personne peut se retrouver avec plusieurs personnalités, savoir ce qui cause ce trouble, cette division de l’être normalement unique. Cela pousse le lecteur à se poser des questions : qui sommes-nous vraiment ? nous connaissons-nous vraiment ? [FIN DU SPOILER] Complètement bluffant ! Petites remarques : avec la personnalité de Textor Texel et ses révélations, celui-ci m’a fait penser à Prétextat Tach dans Hygiène de l’assassin, surtout dans sa façon de parler ; de plus, leurs noms sont proches maintenant que je les écris côte à côte ! Ce nom, d’ailleurs, amène une réflexion sur le texte et le tissu, ce qui donne une belle mise en abîme. Enfin, le lecteur apprend toujours quelque chose avec Amélie : ici, l’étymologie de « cosmétique » par exemple !
Les personnages ne sont que deux en scène, malgré la proximité d’une foule dans un hall d’aéroport, ce qui donne une impression de huis-clos, renforcée par les révélations de Textor. Celui-ci est un personnage abject, impossible à aimer, et qui possède une conception de l’amour, de la liberté et du désir toute particulière ! Dès le début, dès son irruption dans le champ de vision et le champ auditif de l’autre personnage, il devient agaçant, quelqu’un dont on aimerait se débarrasser, quelqu’un qui ne vit que pour importuner les autres autour de lui. Ses révélations le rendent d’autant plus ignobles qu’il ne semble pas se rendre compte de la gravité de ce qu’il a fait : pour lui, ses actes étaient tout à fait normaux, et il les explique avec force arguments, énervant encore plus le lecteur et Jérôme, qui devient alors comme son reflet dans le texte. Celui-ci semble être un homme ordinaire, celui que l’on rencontre justement dans les halls d’aéroport en train d’attendre, agacé par son retard. Il est banal, même si, selon Textor, il est plutôt charismatique. Obligé de subir la présence de Textor, il l’écoute et réagit, avec ironie ou indignation, à ses multiples confessions. Mais il prend une dimension tout à fait différente dès le premier rebondissement ; cela est renforcé après le second rebondissement. [SPOILER] Si Jérôme était bien une figure du lecteur, celui-ci se retrouve dans une situation où lui-même est confronté à son être intérieur, à son propre Textor, à sa schizophrénie non-déclarée, à ses multiples facettes de sa personnalité, facettes qu’il cache, pour la plupart, parce qu’elles ne sont pas conventionnelles, ou qu’elles déplairaient à son entourage. Il se sent alors mal à l’aise, pris dans l’histoire d’une façon à laquelle il ne s’attendait pas, acteur par procuration d’une situation dans laquelle il ne veut jamais se trouver. [FIN DU SPOILER]
La fin est monumentale, tout comme l’est le second rebondissement. C’est le moment de vérité, le lecteur s’attend à tout ; la fin est divisée en deux parties, laissant le suspense entier : [SPOILER] en effet, le lecteur pourrait croire qu’elle vient quand Jérôme a achevé de tuer Textor, et qu’il s’en va ; mais en réalité, la véritable fin se trouve à la page suivante, séparée du corps du texte, comme un épilogue, et l’on se rend bien compte que Textor était bien Jérôme, une création de son esprit, un Mr. Hyde, son double projeté sous les yeux ! [FIN DU SPOILER]
Donc, un livre qui m’a grandement surprise, qui m’a troublée et mise mal à l’aise, qui aborde un thème important qui m’est cher. Bien sûr, un coup de cœur !