Cannibales de Régis Jauffret
Editeur : Seuil
Année de sortie : 2016
Nombre de pages : 186
Synopsis : Noémie est une artiste peintre de vingt-quatre. Elle vient de rompre avec Geoffrey, une architecte de près de trente ans son ainé avec qui elle a eu une liaison de quelques mois. Le roman débute par un courrier d’elle adressé à la mère de cet homme pour la prier de l’excuser d’avoir rompu. Un courrier postal plutôt qu’un courrier numérique qu’elle craindrait de voir piraté. Une correspondance se développe entre les deux femmes qui finissent par nouer des liens diaboliques et projeter de dévorer Geoffrey. Les deux femmes sont des amoureuses passionnées. La vielle femme a donné à son fils le prénom du seul homme qu’elle ait jamais aimé, mort accidentellement avant son mariage. Noémie est une « collectionneuse d’histoire d’amour », toujours à la recherche de l’idéal tandis que Geoffrey s’efforce sans succès d’oublier cette amante qu’il a adorée. Un sauvage roman d’amour.
Avis : Ce livre m’a été recommandé et prêté par une amie qui avait l’air de l’avoir beaucoup apprécié, donc je me suis laissée tenter !
Le premier commentaire qui me vient est : excellent !! J’ai adoré cette lecture, je me suis laissée complètement porter par les voix des différents protagonistes de ce roman épistolaire : Noémie, Jeanne et Geoffrey. Les deux premières sont réunies par un projet insensé et effrayant : dévorer l’homme qu’elles haïssent. Je pensais que le titre était à prendre au second degré, mais pas du tout ! Au fil des lettres, leur plan prend forme ; quelques passages font donc un peu frissonner quand on comprend jusqu’où elles sont capables d’aller. Et pourtant, je n’ai pas ressenti de dégoût, juste une envie de découvrir une nouvelle lettre, de voir comment évoluent les personnages. Le roman est émaillé de réflexions sur les relations homme/femme, mère/fils, et de passages « parfaits », parce qu’ils jouent sur les sonorités, parce qu’ils résonnent en nous, parce qu’ils nous emportent. La vision de la femme est très particulière ici, puisqu’elles sont toutes deux manipulatrices, un peu perverses aussi, et que, dès le début, Noémie prétend que Geoffrey souffre de leur séparation [SPOILER] alors qu’il semble que ce soit elle qui ne supporte pas le fait qu’il ne souffre pas comme il se doit. [FIN DU SPOILER] Une violence sous-jacente se fait sentir, rien que dans le projet des deux femmes, mais aussi dans les relations que tous entretiennent entre eux. Aussi, au début de quelques lettres, il est difficile de savoir qui parle à qui, ou on ne reconnaît pas tout à fait le personnage : le lecteur a l’impression d’un mensonge, d’une correspondance montée de toutes pièces par une schizophrène qui s’ennuie. De plus, les lettres ne sont pas datées, elles sont donc difficiles à situer dans le temps les unes par rapport aux autres ; de plus, elles n’arrivent pas toujours chez le bon destinataire, ce qui rend le suivi de l’histoire encore plus confus, puisque le lecteur présuppose que toute missive arrive à la bonne personne quand il lit. L’évolution de la relation entre les personnages est elle aussi un peu confuse : comment passe-t-on ainsi de la haine à l’amour ? Et comment certains peuvent-ils changer à ce point du tout au tout ? Mais, peu importe ! Ce que j’ai aimé par-dessus tout ici, c’est l’écriture de l’auteur, jubilatoire. Si seulement tous les livres pouvaient être écrits de cette façon !
Noémie est la première à envoyer une lettre, destinée à Jeanne. Elle pose ainsi les fondations de l’histoire : elle quitte Geoffrey, et celui-ci aura du mal à s’en remettre. Elle semble humble, compatissante : la Noémie qu’on découvre par la suite est très différente. Elle reste toujours polie, n’envoie de lettres d’insultes à personne, et semble séduire les gens autour d’elle. Elle est aussi un peu (carrément) dérangée, comme Jeanne, la mère de Geoffrey. Ses premières lettres sont incendiaires, je les ai adorées, elles sont si méchantes que j’en ai ri, comme : « Je vous prie de faire en sorte que votre prochaine lettre ne m’arrive jamais. Abstenez-vous donc de l’écrire, le tour sera joué. » Elle crache son venin sur les destinataires de ses missives, n’hésite pas à dire ce qu’elle pense. C’est elle qui met en place le projet de dévorer son propre fils, comment elles pourraient faire sans être inquiétées, où, quand, avec qui. Par-là, elle a l’air folle, et pourtant, reste étrangement lucide dans sa correspondance. Quant à Geoffrey, il apparaît comme quelqu’un de détestable à travers les lettres des deux femmes, mais aussi à travers les siennes. Une chose permet de le discréditer : sa mère ne semble pas tendre avec lui depuis son enfance.
La fin donne envie d’en lire plus, que le livre soit plus long pour encore savourer cette écriture merveilleuse. L’ont-elles finalement mangé ? Ont-elles échoué ? renoncé ? Vous verrez par vous-mêmes !
Donc, un livre excellent, dont l’écriture est formidable, dont l’histoire est étrange, et les personnages confus, mais qui nous emportent tout le long du récit sans nous lâcher jusqu’à la fin !
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