Histoire de la laideur d’Umberto Eco
Editeur : Flammartion
Année de sortie : 2007
Nombre de pages : 439
Synopsis : En apparence, beauté et laideur sont deux concepts qui s’impliquent mutuellement, et l’on comprend généralement la laideur comme l’inverse de la beauté, si bien qu’il suffirait de définir l’une pour savoir ce qu’est l’autre. Mais les différentes manifestations du laid au fil des siècles s’avèrent plus riches et plus imprévisibles qu’on ne croit.
Or voici que les extraits d’anthologie ainsi que les extraordinaires illustrations de ce livre nous emmènent dans un voyage surprenant entre les cauchemars, les terreurs et les amours de près de trois mille ans d’histoire, où la répulsion va de pair avec de touchants mouvements de compassion, et où le refus de la difformité s’accompagne d’un enthousiasme décadent pour les violations les plus séduisantes des canons classiques. Entre démons, monstres, ennemis terribles et présences dérangeantes, entre abysses répugnants et difformités qui frôlent le sublime, freaks et morts-vivants, on découvre une veine iconographique immense et souvent insoupçonnée. Si bien que, en trouvant côte à côte dans ces pages laideur naturelle, laideur spirituelle, asymétrie, dissonance, défiguration, et mesquin, lâche, vil, banal, fortuit, arbitraire, vulgaire, répugnant, maladroit, hideux, fade, écœurant, criminel, spectral, sorcier, satanique, repoussant, dégueulasse, dégradant, grotesque, abominable, odieux, indécent, immonde, sale, obscène, épouvantable, terrible, terrifiant, révoltant, repoussant, dégoûtant, nauséabond, fétide, ignoble, disgracieux et déplaisant, le premier éditeur étranger qui a vu cette œuvre s’est exclamé : « Que la laideur est belle ! »
Avis : J’ai dû lire ce livre pour mon mémoire ; il m’intéressait déjà avant, mais je n’avais jamais eu l’occasion de le lire !
D’abord, il faudrait saluer l’originalité et le travail de l’auteur : je n’ai jamais vu de livre de ce genre, ce qui le rend surprenant et novateur ! Ce n’est pas vraiment une apologie de la laideur – même ça peut y ressembler dans certains chapitres ! – mais plutôt une façon chronologique de montrer l’art dans sa laideur, de l’Antiquité à notre époque moderne. On commence plutôt soft, on passe par des passages assez choquants, aussi par une hideur qui n’en est pas une : le lecteur comprend que la perspective et la vision du monde du spectateur sont importantes dans sa perception de ce qui est beau. Ce n’est pas seulement un essai sur l’art : Umberto Eco a réuni de nombreux supports différents : tableaux, sculptures, extraits de romans, nouvelles, poèmes, mais aussi des œuvres plutôt théoriques qui tentent de réfléchir sur l’art, ou sur la laideur, ou sur des sujets qui y sont liés. Ainsi, on retrouve des extraits de Freud, de Schiller, de Rosenkrantz, etc, mais aussi une partie du procès de Gilles de Rais raconté par un auteur. C’est vraiment un travail colossal de collecte des œuvres, de comparaison, de réflexion sur la façon de les amener dans le livre, de les mettre en concordance : cela mérite notre attention !
Ainsi, certains passages nous font réfléchir, non seulement sur l’art, mais sur l’homme, sur la vie – car l’art ne vient pas de nulle part et correspond souvent à la société dans laquelle il naît. Le choc ne vient pas au début, puisque ce sont plutôt des époques reculées – quoique le passage sur Gilles de Rais m’a vraiment perturbé, je me sentais très mal pendant et après sa lecture ! – ou que l’auteur nous montre, par exemple, la laideur dans le contexte romantique. Mais il arrive quand est abordé le sujet de la cruauté de l’homme, du fait qu’il aime être spectateur de l’horreur. L’auteur sait que nous nous déculpabilisons en nous disant que nous n’allons plus aux exécutions publiques comme aux époques antérieures, alors il nous montre que c’est aussi cruel de regarder certains films à la télévision que d’y assister. C’est assez perturbant, car le lecteur semble comprendre que la cruauté humaine existe depuis toujours, et perdure, même si des formes auxquelles on ne penserait pas. C’est alors qu’il cite Schiller, qui explique que le mal et la cruauté sont inhérents à l’homme, et que l’enfant que les hommes n’ont pas éduqué aime contempler les exécutions publiques sans aucune culpabilité, sans aucune horreur. Cela fait peur !!
Quand le lecteur arrive à l’époque moderne, il est passé par les représentations de la laideur et de la cruauté au Moyen Age, du genre, les gens écorchés vivants, ou écartelés de la même façon – le supplice de Damiens nous est raconté d’ailleurs … Souvent, à cette époque, la laideur est celle du diable ou des monstres. Pendant l’époque romantique, les monstres sont toujours laids, mais cela ne démontre plus un mal moral inhérent à la laideur : au contraire, comme le monstre de Frankenstein, ils sont rejetés en raison de leur apparence, sans que les hommes pensent à leurs sentiments, à ce qu’ils sont derrière le physique. Ainsi, le monstre qui a une bonne âme et qui se venge de son créateur irresponsable et effrayé par son enveloppe charnelle. A l‘époque moderne, la laideur n’est plus celle du diable, mais celle de l’homme, de ce qu’il fait et de ce qui l’entoure. Une image m’a particulièrement choquée dans la dernière partie du livre : la photo de trois mannequins d’enfants pendus. Il y avait également une véritable photo d’un homme décapité pendant une guerre civile. Enfin, l’auteur aborde la laideur arborée par des gens qui revisitent les codes de la beauté pour les rendre laids : les punks, Marilyn Manson, etc.
Donc, un livre très intéressant à découvrir, dérangeant parfois, original et très bien documenté, qui nous montre la laideur de l’Antiquité à nos jours à travers des œuvres représentatives.