Le bon fils de Denis Michelis
Editeur : Editions Noir sur Blanc (Notabilia)
Année de sortie : 2016
Nombre de pages : 211
Synopsis : Un père et son fils cherchent à se faire une place l’un auprès de l’autre dans une nouvelle vie à la campagne. Mais comment peuvent-ils espérer en leur avenir si le fils refuse de bien travailler au lycée et si le père néglige son rôle de parent ? L’arrivée inopinée d’un dénommé Hans, un « ami » de longue date, personnage équivoque aux méthodes étranges, bouscule leur vie et lui donne un sens insoupçonné.
Le roman entrelace obsessions et métaphores sur le mythe d’Œdipe et nous donne à mesurer à quel point le passage à l’âge adulte transfigure la réalité.
De son ton dérangeant, Denis Michelis cisèle dans cette tragicomédie une critique drôle et acerbe de notre conception de la réussite familiale, sociale et amoureuse.
Denis Michelis signe ici son deuxième roman.
« Si j’avais eu le choix, poursuit mon vieil âne de père, je t’aurais laissé filer sur la longue route, mais les pères doivent rendre soin de leurs fils, c’est ainsi depuis toujours.
Même si c’est un fils comme toi. »
Avis : Le premier roman de Denis Michelis m’avait frappé ; en apprenant la sortie de son deuxième roman, je m’attendais à une nouvelle surprise. Je ne peux pas dire que je suis déçue !
C’est une nouvelle claque, un nouveau coup de poing, un nouveau roman qui frappe le lecteur et ne le laisse pas indemne. Il traite de la relation entre Albertin et son père, une relation difficile, faite de négligence et de rejet. Le père n’accepte pas son fils tel qu’il est, et Albertin a de plus en plus de mal à s’accommoder de l’attitude de son père. Il est sans cesse rabaissé ; sans cesse, il se voit répéter qu’il n’est pas un bon fils, qu’il n’aide pas suffisamment son parent, qu’il ne sait pas quoi faire de plus pour lui, qu’il a tout essayé mais, qu’en gros, il est pourri. Déjà par cet aspect, le livre peut être difficile : ce rejet et ce rabaissement constant font sentir au lecteur la fragilité grandissante de l’adolescent ; comment avoir confiance en soi et en son avenir quand votre propre père ne croit pas en vous ? A travers cette relation est aussi abordée la façon de voir la réussite en France : elle est amoureuse, sociale et scolaire. Si l’adolescent n’a pas de copine, n’a pas d’amis, et n’a pas de bonnes notes, il n’est pas un bon fils. Cette notion est aberrante tout le long du livre, et le père met sous le nez de son fils ses éléments de réussite pour lui prouver qu’il ne vaut rien. Il faut rentrer dans le moule, et si ce n’est pas le cas, on ne trouve pas de place dans la société. La pression exercée sur Albertin est alors considérable, car il ne remplit aucun des critères que son père et la société veulent le voir remplir. L’école devient alors un lieu insupportable, peuplée de petits élèves parfaits, et de professeurs prêts à humilier un adolescent parce qu’il n’a pas fait l’exercice correctement, ou parce qu’il n’est pas conforme à ce qu’on attend ; le professeur de français est particulièrement visé ici, tourné en ridicule. Ainsi, l’histoire est-elle déjà assez difficile ; mais survient un homme mystérieux, un élément perturbateur qui va changer la vie d’Albertin, et transformer peu à peu le roman en cauchemar. Ce personnage introduit une sorte de fantastique, et fait osciller le récit entre rêve et réalité. Difficile de l’aimer : il crée autour de lui une aura de fascination et de répulsion. Le lecteur ne sait absolument rien de lui, excepté son nom, et ce qu’il peut deviner de ses conversations avec les autres personnages. Quant à l’écriture, elle est frappante, forte, et à l’image, m’a-t-il semblé, de la pensée d’Albertin : fragmentée. J’ai aussi aimé la division du livre en actes, comme une pièce de théâtre. Chaque acte est caractérisé par un mot qui signifie l’ajout d’un nouvel élément.
Albertin, le personnage principal, tente de se rebeller contre l’attitude de son père, et aussi contre la société, qui veut le rendre conforme à ses attentes, sans que lui le veuille. Visiblement peu aimé, il souffre des relations qu’il a (ou de l’absence de relations) avec ses parents. Le lecteur se rend pourtant vite compte qu’Albertin est vulnérable, facilement manipulable, et que la relation avec son père s’est tellement envenimé qu’il en vient à le détester. Que celui-ci s’en rende compte ou pas, il ne change pas d’attitude et devient même plus dur et insupportable au fil du livre. C’est cette relation même qui semble le faire douter de lui. A l’arrivée de Hans, son comportement change, comme celui du père. Ce personnage est vraiment exécrable ; difficile de faire pire père. Concentré sur sa petite personne, il en oublie que son fils a des sentiments, et que ses paroles lui font mal ; il ne s’en soucie pas, seuls sa santé et son bien-être comptent. Cet égoïsme est si énervant ! Le lecteur en vient à ressentir la même chose qu’Albertin pour ce père si peu paternel. Quant à Hans, j’en ai déjà parlé plus haut : fascinant et repoussant, mystérieux, il incarne un cauchemar, et rend celui-ci possible dans le récit. Surgi de nulle part, inconnu qui tente de se faire reconnaître, autoritaire avec les deux autres personnages qui obéissent sans faire de difficulté, il est si étrange qu’on se demande parfois, au cours du récit, s’il est réel. Il fait entrer le roman dans une autre dimension, ce que je trouve original. D’autres personnages se trouvent dans ce livre, comme les élèves de l’école, certains très snobs, d’autres qui semblent tenter de l’être moins, sans grand succès apparemment, la professeur de français, ridiculisée, tyrannique, une bien pensante bien énervante. Ce peu de personnages donne un huis clos angoissant entre Albertin, son père et Hans, contrebalancé par quelques passages à l’école. Reste tout de même un protagoniste, si on peut l’appeler ainsi : l’hêtre dans le jardin d’Albertin, son seul ami, ce qui le rend attachant alors même qu’il ne parle pas et n’agit pas, celui à qui il raconte tout, et celui par qui on connaît la fin de l’histoire …
Fin horrible, apothéose dans le cauchemar. Je ne m’y attendais, alors que, peut-être, c’était évident. Jamais je n’y aurai pensé ! Cette fin fait que le roman, qui nous a avalé, nous rejette violemment, hébété, ahuri par la dernière action.
Donc, un très bon roman, sombre et frappant, qui montre les failles de la société, de la famille, mais qui dérive aussi vers un fantastique dilué qui rend le livre d’autant plus original.
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