A la recherche du temps perdu, tome 5 : La Prisonnière de Marcel Proust
Editeur : Le Livre de Poche
Année de sortie : 2016
Nombre de pages : 551
Synopsis : Albertine a renoncé à faire une croisière et lorsque, à la fin de l’été, elle rentre de Balbec avec le narrateur, elle s’installe chez lui, à Paris. Il ne se sent plus amoureux d’elle, elle n’a plus rien à lui apprendre, elle lui semble chaque jour moins jolie, mais la possibilité d’un mariage reste ouverte, et, en lui rendant la vie agréable, peut-être songe-t-il à éveiller en elle le désir de l’épouser. Il se préoccupe en tout cas de son emploi du temps, l’interroge sur ses sorties sans pouvoir bien percer si sa réponse est un mensonge, et le désir que visiblement elle suscite chez les autres fait poindre les souffrances en lui. Paru en 1923, La Prisonnière est le premier des trois volumes publiés après la mort de Proust et, quoique solidaire de Sodome et Gomorrhe qui le précède comme d’Albertine disparue qui le suit, une certaine unité lui est propre. Pour l’essentiel, trois journées simplement se déroulent ici – le plus souvent dans l’espace clos de l’appartement -, et ce sont comme les trois actes d’un théâtre où la jalousie occupe toute la place.
Avis : Toujours dans mon petit (haha) challenge A la recherche du temps perdu ; vous avez dû remarquer, je lis d’autres petits livres entre deux, pour ne pas être dégoûtée (on ne sait jamais, je ne veux pas prendre le risque !)
On retrouve évidemment l’écriture merveilleuse de Proust, toujours aussi poétique, toujours aussi agréable à lire, peut-être un peu plus brouillonne que pour les autres tomes, mais je ne m’en suis rendue compte que grâce (ou à cause) de certaines notes qui signalent que l’auteur avait ajouté quelque chose, barré autre chose, qu’un passage ne devait pas être là mais a finalement été ajouté ce qui fait que la cohérence du texte n’est plus tout à fait exacte, et on se retrouve avec des « Elle continua » alors que personne ne parlait dans le paragraphe précédent. Mais cela ne gâche absolument pas la lecture, rassurez-vous ! Aussi, contrairement à Sodome et Gomorrhe, cette fois, pas de chapitres, le lecteur est plongé dans le livre sans interruption, sans espaces, avec des paragraphes, encore une fois, qui peuvent être très longs, des phrases qui peuvent l’être aussi, mais, finalement, ce n’est pas la majorité : Proust utilise aussi le dialogue, se laisse entraîner par des réflexions qui émaillent le récit, l’enrichissent, le rendent plus proche du lecteur en quelque sorte, puisque celui-ci se sent impliqué (d’autant plus que le narrateur joue à nouveau avec lui, ce que j’adore !) Ces réflexions sont surtout dirigées ici vers l’amour et la jalousie, comme le lecteur pouvait déjà le deviner en sortant de Sodome et Gomorrhe. L’amour qui concerne Albertine, mais aussi d’autres personnages, que le héros voudrait doux, et qui se révèle douloureux, justement à cause de la jalousie, cristallisée autour de la jeune fille et de son passé, si obscur pour le protagoniste qu’il en veut à Albertine pour à peu près tout, et notamment pour les mensonges qu’il pense qu’elle ne cesse de lui servir au lieu de la vérité. Au fil de la lecture, le lecteur comprend peu à peu qu’il n’a pas tort, qu’elle lui ment effectivement ; mais le personnage principal rend si prisonnière la jeune fille, pourtant si espiègle à Balbec, que cela fait presque mal de lire. En tout cas, j’ai été agacée par cette jalousie maladive, cette possessivité qui empêche Albertine de vivre, la rend captive d’une vie cloisonnée, sans les divertissements qu’elle voudrait, sans des sorties seules, dans les promenades agréables entre amies, sans la possibilité d’être libre. La surveillance permanente qu’exerce le héros sur la jeune fille devient pesante, même pour le lecteur. C’est de la paranoïa, mais aussi du sadisme envers lui-même : il s’imagine tout un tas de choses pour lesquelles il n’a aucune preuve, rapporte la situation d’Albertine à la situation d’autres femmes qui n’ont rien à voir, est incapable de lui faire confiance : ce n’est pas de l’amour, c’est de la séquestration. Et le fait qu’il répète sans cesse qu’il ne l’aime pas … C’est la raison pour laquelle ce tome n’a pas été un coup de cœur : je n’ai pas pu me détacher de ce sentiment d’agacement à chaque fois que le personnage parle de son amour / non-amour et de ce qu’il fait pour surveiller Albertine.
Dans le synopsis, il est dit que l’action se déroule sur trois jours. J’ai eu du mal à les discerner nettement, tout est brouillé par les réflexions ajoutées à ces journées. Encore une fois, cela ne gâche pas la lecture : je me fiche un peu de savoir quel jour nous sommes quand je lis la soirée des Verdurin par exemple. Celle-ci est une scène de salon particulière : une fête est organisée par un invité, M. de Charlus, chez les Verdurin : ils n’ont pas voix au chapitre. Celle-ci montre encore l’hypocrisie de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie. Ce qui arrive à M. de Charlus à l’issue de cette soirée m’a vraiment fait de la peine, même si cela avait déjà été annoncé dans le tome précédent. Je trouve ce personnage fascinant : il évolue au fil des tomes, il change, et, malgré son air violent, j’éprouve une sympathie particulière pour lui. Il est aussi l’occasion de continuer de parler d’homosexualité, ce thème se cristallisant aussi autour d’Albertine. Mme Verdurin est particulièrement énervante dans cette scène, tellement que je n’ai pas réussi à éprouver un petit pincement au cœur pour ce qui lui arrive. La mort est traitée de façon si légère dans son cercle ! Et sa façon de considérer les gens, ses préjugés, ses jugements portés à la va-vite …
Ainsi, comme je l’ai dit plus haut, le personnage principal m’a agacé par sa jalousie et sa possessivité, mais aussi par le fait qu’il retient Albertine pour mieux la quitter lui-même. C’est si machiste dans un sens. Personne ne peut profiter d’Albertine si lui n’en profite pas, et elle ne peut pas avoir eu de vie avant lui. Quelques comparaisons mythologiques se font encore, mais la désillusion sur les salons, sur la sphère mondaine est consommée. La duchesse de Guermantes, si adulée, n’apparaît pratiquement plus, ou uniquement quand le personnage a besoin d’elle. Aussi, en voulant emprisonner Albertine, le personnage se rend lui-même esclave d’un amour qu’il ne ressent pas vraiment, plutôt d’une souffrance proche de l’agonie. Le narrateur est agréable et parsème le texte d’allusions futures (bien explicitées par l’éditeur, oh merci pour ces merveilleux spoilers !) ainsi que de phrases destinées au lecteur ! Albertine, que je n’apprécie pas énormément, m’a fait de la peine dans ce livre. Le titre du tome lui convient parfaitement : elle est prisonnière, esclave du personnage principal qui fait ce qu’il veut d’elle. Elle n’a pas l’air d’être très sujette aux sautes d’humeur ou aux colères. Finalement, le lecteur peut comprendre qu’elle mente : comment vivre avec quelqu’un qui ne vous fait pas confiance, qui fait tout pour contrecarrer ce que vous aviez pu prévoir juste parce qu’il a peur que vous rencontriez quelqu’un en lien avec votre passé ? J’avais parfois envie qu’elle se rebelle, mais elle semble rester soumise et docile. Françoise est toujours présente, et toujours aussi hostile à la jeune fille. La mère du personnage principal est également mentionnée, à travers ses lettres à son fils, qui ressemblent à celles de sa grand-mère jadis. Morel est un des personnages les plus exécrables du livre !
La fin est rapide, abrupte, et donne envie de commencer la suite immédiatement !! L’éditeur explique, de plus, qu’il n’y a pas de transition entre La Prisonnière et Albertine disparue, le tome suivant reprend exactement là où celui-ci s’arrête !
Donc, un très bon tome, que j’ai moins apprécié par rapport aux autres en raison de la jalousie très pesante du personnage, mais qui n’enlève rien à la qualité d’écriture et aux réflexions de Proust.
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