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I found myself in Wonderland.

A la Recherche du temps perdu, tome 3 : Le Côté de Guermantes de Marcel Proust

Classé dans : Avis littéraires,Coup de cœur — 1 septembre 2016 @ 10 h 07 min

Le Côté de Guermantes Genre : Classique

Editeur : Le Livre de Poche

Année de sortie : 2012

Nombre de pages : 661

Synopsis : Avec ses parents, le narrateur a déménagé dans un nouvel appartement qui est une dépendance de l’hôtel de Guermantes : sa vie se trouve tournée vers la duchesse, et c’est précisément parce qu’il perçoit chez elle une sorte d’irritation à son égard qu’il gagne Doncières pour demander à son ami Saint-Loup d’intercéder en sa faveur auprès de sa tante. Mais il fréquente aussi le salon de la marquise de Villeparisis, et cette vie désormais mondaine ne sera que renforcée par la disparition de sa grand-mère et l’absence de ses parents partis pour Combray : son éducation est achevée. On a pu voir dans ce Côté de Guermantes paru en deux volumes en 1920, puis l’année suivante, un roman de transition simplement dévolu à l’évocation des salons. Mais la transition, sans doute, est ailleurs : dans le passage de l’adolescence à l’âge adulte qui permet au héros de faire son entrée dans une nouvelle société, et au romancier de s’attacher à la « poésie du snobisme ».

 

Avis : Cela fait un moment déjà que je voulais poursuivre ma lecture d’A la recherche du temps perdu, interrompue depuis presque deux ans. Un cours sur Le Temps retrouvé m’a forcé à m’y remettre !

Je me souviens avoir adoré Du côté de chez Swann, et aimé A l’ombre des jeunes filles en fleur ; j’avais, d’ailleurs, acheté la plupart des tomes suivants pour poursuivre rapidement. Mais, je l’avoue, la série de Proust, longue de sept tomes faits de très longs paragraphes, ainsi que de phrases gigantesques, m’a un peu fait peur, et j’ai mis de côté La Recherche. Cette année m’est proposé un cours sur « L’Art et la vie » ; y est étudié Le Temps retrouvé, dernier tome de La Recherche, que je voulais lire dans l’ordre. Alors, je me suis lancée un petit défi : lire Sodome et Gomorrhe, La Prisonnière, Albertine disparue et (en dernier !) Le Temps retrouvé, pour ne pas bouleverser l’ordre des tomes en lisant. Autant dire que cela va être assez difficile, mais allons-y tout de même !

Revenons au Côté de Guermantes. Le livre est divisé en deux parties qui correspondent aux deux volumes publiés séparément, car l’éditeur trouvait que le tome était trop long. J’ai préféré la première partie à la seconde ; elle m’a paru plus poétique, plus réfléchie, plus dans la recherche de compréhension de tout un tas de choses qu’il est difficile d’expliquer, et que Proust exprime à merveille. Y sont évoqués le nom et sa magie, déjà mentionnés dans Du côté de chez Swann ; on sent une frontière brusque entre l’imagination, ce que l’on se représente du nom, et la réalité, notamment, pour le narrateur, chez les personnes qu’il compare à des dieux, qui ne doivent pas être complètement humains, et qui le sont finalement trop. Aussi, j’ai adoré le fait que l’imagination du narrateur soit liée à la mythologie, et ce dès la scène à l’Opéra, où les hommes deviennent tritons et les femmes déesses marines. Ces évocations mythiques rendent le texte d’autant plus poétique, la scène d’autant plus irréelle. Cette façon de décrire est effective tout le long du livre, dans la seconde partie également, même si elle est moins présente. L’histoire, quant à elle, même concentrée sur la duchesse, nous présente des personnages que nous connaissons déjà, comme Saint-Loup, les parents et la grand-mère du narrateur, Albertine. Des intrigues « parallèles » se greffent à l’obsession du narrateur pour la duchesse de Guermantes, notamment celle de Saint-Loup, épris d’une femme « de petite vertu », de la grand-mère du narrateur, gravement malade, et qui se révèle tout à fait différente de la femme que le protagoniste a connue. (cette façon de découvrir une femme derrière une parente est bien décrite)

Dans Le Côté de Guermantes II, le lecteur sent la désillusion du narrateur : la réalité ne correspond pas à ce qu’il avait imaginé, la duchesse n’est pas telle qu’il la pensait, les aristocrates ne sont finalement que des hommes, et même parfois, profondément stupides. Ici, le salon est omniprésent : une des scènes dure très longtemps, la mesure du temps n’est plus la même, comme si le narrateur se concentrait sur cette soirée pour nous donner le modèle de chacune d’entre elles. Le salon était déjà présent dans la première partie, comme en transition, avec celui de Mme de Villeparisis. L’intelligence que le narrateur s’attendait à trouver n’est pas là, ou si peu, cristallisée autour d’une seule personne qui, pourtant, se montre légère à certains moments. L’image que le lecteur a des aristocrates est plutôt médiocre : représentés par la duchesse de Guermantes, par son mari, par M. de Charlus, ils montrent une désinvolture, une arrogance et une malveillance envers les autres qui frisent l’indécence. Un noble va mourir ? Le dîner de ce soir est plus important, même si ce noble est mon cousin. La princesse est dite intelligente ? Oh non, détrompez-vous, ce n’est qu’une apparence, elle est bête comme personne. Quelle hypocrisie constante ! Et quelle affectation d’ennui ! Et cette façon de juger tout et tout le monde ! J’ai été un peu agacée, sans doute la raison pour laquelle j’ai moins aimé cette partie. Celle-ci commence pourtant dans l’émotion, avec la maladie et la mort de la grand-mère du narrateur. Cela aussi fait office de transition : le protagoniste entre ensuite dans la vie mondaine des salons. Ainsi, Le Côté de Guermantes montre bien les distinctions sociales entre aristocrates et bourgeois (sans parler des domestiques), une distance et un mépris parfois de la part des premiers, ou une affectation de bienveillance qui ne fait que prouver leur supériorité. Est, enfin, évoquée dans le livre l’affaire Dreyfus, ce qui divise encore la société en dreyfusards et antidreyfusards, et ce qui donne lieu à des conversations sur les Juifs, sur l’armée, et le gouvernement. J’ai aimé retrouver le contexte de l’époque, ainsi que la division que l’Affaire opérait même dans les familles (Saint-Loup et sa mère par exemple). Aussi, à cause de (ou grâce à) la couverture, je me suis représentée, au début du moins, la duchesse de Guermantes avec le visage de la femme sur le portrait. J’adore la façon dont le peintre a peint la robe !

Concernant les personnages, ici, le narrateur est plutôt effacé, spectateur de ce qui se passe autour de lui plutôt qu’acteur. En effet, voulant être mis en relation avec la duchesse de Guermantes, il demande à quelqu’un d’intercéder en sa faveur, car ses maigres tentatives n’ont rien donné. Effacé aussi dans les conversations de salon, où les autres invités lui posent des questions, mais où la réponse est rarement retranscrite, ou dans un discours rapporté du style : « j’ai alors dit que ». On sent les réflexions faites par le narrateur au moment où il écrit, plus que par l’adolescent qui vit les choses au moment où le lecteur les lit. Ainsi, le narrateur / personnage est-il double, et est-ce plutôt le personnage qui est effacé ; le narrateur, lui, commente les attitudes, les événements, les paroles, lance parfois de légères piques, montre le ridicule ou la bêtise d’un personnage, d’une situation ou d’une réplique. Après le narrateur, le second personnage principal est la duchesse de Guermantes (qui s’appelle Oriane !) Dans la première partie, mystérieuse et inaccessible, hautaine et froide, déesse parmi ses sujets, elle devient tout le contraire dans la seconde. Ce revirement de situation est expliqué par les sentiments du narrateur à son égard (mais je ne vais pas tout dire quand même !) Il n’est pas possible de remettre en doute l’intelligence de la duchesse, ni son esprit ; mais ses critiques constantes sur les autres ont fini par m’agacer, et plus j’ai fait la connaissance du personnage, moins je l’ai apprécié. Sa bonté est équilibrée par une espèce de malveillance envers aristocrates et domestiques confondus. Ce que j’ai aimé jusqu’au bout chez elle, c’est son sens de la repartie, son originalité face à une situation (l’enveloppe de Mme la comtesse Molé) ou à une parole, ainsi qu’une culture que les autres aristocrates ne semblent pas avoir. J’ai aussi eu un peu mal au cœur pour elle en voyant son mari, le duc de Guermantes. Je n’ai pas pu aimer ce personnage, du début à la fin. Coureur de jupons, hypocrite, manipulateur, certain de sa richesse et de sa renommée, incapable de ne pas se vanter de ses origines, de sa naissance, de ce qu’il a, un homme qui trouve plus important un dîner que la mort d’un ami ou d’un parent, mais qui ne saurait être accompagnée d’une femme dont l’apparence n’est pas parfaite pour lui ! Certaines phrases m’ont fait grincer des dents, tout comme celles de M. de Charlus, dans la dernière scène où il apparaît (j’aurais réagi comme le narrateur, ou pire !) Les parents du narrateur sont plus effacés ici, excepté la mère à la fin de la première partie : elle semble si douce et courageuse, la dévotion même ; elle est touchante, tout comme la grand-mère. Malade, affaiblie, elle tente de conserver les apparences, jusqu’à ce que ce ne soit plus possible. Elle m’a fait mal au cœur, sa douleur est si forte, même si elle tente d’en préserver sa famille. D’autres personnages apparaissent, comme Saint-Loup, que j’apprécie pour son amitié protectrice envers le narrateur (qui a un sens de l’amitié assez particulier quant à lui !), pour son opposition à sa famille, pour ses manières différentes de celles des aristocrates guindés qui montrent leur dédain dès la première poignée de main ; Françoise, qui m’a agacé autant qu’elle agace le narrateur, qui m’a paru très contradictoire ; Swann, qui fait une brève apparition, et qui m’a semblé très chaleureux, agréable, tout à fait différent des autres personnages, une petite bouffée d’air frais ; Albertine, qui apparaît changée au narrateur, différente, mais plus désirable.

La fin est assez abrupte. Elle présage de nouveaux événements, une invitation, des disparitions. Un dernier agacement concernant l’attitude du duc !

 

Donc, un excellent tome, que j’ai aimé pour sa poésie, ses réflexions, pour la présentation du contexte social et politique, pour la découverte des salons, pour la mythologie du narrateur, pour la différence effrayante entre son imagination et la réalité de l’aristocratie, mais surtout pour l’écriture de Proust !

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