Genre :
Essai
Editeur : Folio
Année de sortie : 2005
Nombre de pages : 198
Synopsis : LES DROITS IMPRESCRIPTIBLES DU LECTEUR
1. Le droit de ne pas lire.
2. Le droit de sauter des pages.
3. Le droit de ne pas finir un livre.
4. Le droit de relire.
5. Le droit de lire n’importe quoi.
6. Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible)
7. Le droit de lire n’importe où.
8. Le droit de grappiller
9. Le droit de lire à haute voix.
10. Le droit de nous taire.
Avis : Ce livre m’a d’abord attiré grâce à son synopsis : j’adore les essais sur la littérature ou la lecture, et je me suis dit que j’allais adorer celui-ci !
Je ne me suis pas trompée ! D’abord, cet essai se lit – comme son titre l’indique – comme un roman, ce qui est déjà différent des autres livres de ce genre que j’ai déjà pu lire. Ajoutons à cela un style d’écriture très agréable, ni pédant, ni dogmatique, qui fait comprendre par un exemple les idées de l’auteur : on obtient un livre indispensable, un des meilleurs qu’il m’ait été donné de lire ! Il est divisé en quatre parties : d’abord, « Naissance de l’alchimiste », qui traite principalement de l’apprentissage de la lecture, de l’éveil de l’enfant aux lettres, de sa fascination et de son envie de lecture. Il introduit également l’histoire de parents qui ne savent pas comment éveiller le désir de lecture chez leur adolescent, pour qui elle est devenue une corvée, un devoir pour lequel il ne prend aucun plaisir, ainsi que chez leur second enfant plus jeune. J’ai adoré la façon dont l’auteur nous parle des découvertes de l’enfant, du rituel de la lecture le soir, mais aussi comment il fait comprendre que, s’il perd le goût de lire, c’est soit parce qu’il n’a pas « besoin des livres », soit parce que ses parents et l’école ont transformé la lecture en corvée. Ainsi, il montre comment il est possible de réveiller l’alchimiste en lui, à un âge où il est encore en train d’apprendre à lire et à écrire.
Dans la seconde partie, « Il faut lire (le dogme) », le lecteur suit à nouveau l’adolescent qui doit finir son livre pour l’école, en nous montrant que la lecture est devenue un dogme, ce qui en a ôté tout plaisir. Le métier de professeur est évoqué, ainsi que les parents qu’ils rencontrent et qui lui parlent de la nécessité de lire ; lui-même en parle, et ainsi enlève le goût de lire à ses élèves. Cette absence d’envie viendrait de l’apprentissage de la littérature : l’Etat est là pour le résultat, et non pour donner envie de lire. Il faut connaître les classiques, et donc lire ; mais le lecteur ne prend aucun plaisir, il ne lit pour lire, mais pour atteindre un objectif. Je me suis beaucoup retrouvée quand est évoqué le lecteur et sa façon de voir la lecture : elle comble un vide, un manque, elle est nécessaire, elle change la vie parfois, elle est partage. C’est la raison pour laquelle je voudrais devenir professeur : pour partager ma passion de la littérature. Et l’auteur donne ici une merveilleuse façon de le faire : lire, tout simplement lire. L’exemple de Georges Perros m’a fait rêvé, ainsi que celui que l’auteur met en pratique ensuite dans son histoire. Il n’existe pas de plus beau partager, de plus belle façon de transmettre que celle-ci. Le rêve final de cette partie en est vraiment un ! Il est à la fois drôle et un peu triste, parce qu’on ne jugera jamais les candidats à l’agrégation sur leur capacité à donner envie de lire à leurs futurs élèves.
La troisième partie, « Donner à lire », montre un professeur qui enseigne à des élèves qui ont perdu le goût à l’étude et à la lecture par la même occasion. Leur donner à nouveau envie est difficile, mais l’exemple donné fait à nouveau rêver ! Bien sûr, l’auteur explique que ce n’est pas si simple ; il faut cultiver ce goût rendu, cette envie offerte. Cette partie est ma préférée : elle m’a donné espoir, m’a montré qu’il est toujours possible de transmettre l’envie et de faire son métier par la même occasion – le fameux programme ! J’ai adoré lire la réaction des élèves, le rôle de transmetteur du professeur, qui, au début, ne fait rien qu’offrir, que donner, pour rendre à ceux qui n’aiment pas lire cet amour de la fiction, des personnages, cette envie de savoir ce qui arrive à la fin, et, finalement, cette envie d’apprendre l’ »autour », le but seul de l’éducation de la littérature dans le cadre de l’école – gâchis suprême quand il est enseigné seul. La réflexion sur le temps de lire m’a paru très vraie, prouvée tous les jours par la façon de lire – ou de ne pas lire – de tous. Et le fait de dire que les livres ne sont pas écrits pour qu’on les commente !! Quand j’entends des gens critiquer l’étude de la littérature en disant : « Ben oui mais, ça tombe, l’auteur n’a pas du tout voulu dire ça ! », j’ai envie de leur faire lire ce livre, et de leur dire que les livres disent ce qu’on leur fait dire, jamais ce que l’auteur avait l’intention de leur faire dire. Le lecteur comprend ce qu’il veut comprendre, interprète comme il veut interpréter, ressent ce que les mots lui disent personnellement. Un livre ne peut pas être reçu par tous de la même façon ; c’est la raison pour laquelle certains aiment un livre et d’autres pas. Un livre parle à un individu, entre en résonance avec sa vie, avec ses émotions du moment. Certes, il existe un contexte, et l’interprétation peut mener à une sur-interprétation, ou à n’importe quoi ; mais le livre devient celui du lecteur quand il est lu, sans quoi il reste lettre morte sur papier blanc ! Revenons au livre ! La vision du livre et de lecteur montrée ici favorise le fait que les « jeunes » n’aient pas envie de lire : ils ont peur, ou ils voient les livres comme inaccessibles, et le lecteur comme quelqu’un de marginal, de sage, ou de bizarre. La façon qu’a l’auteur de faire voir ce que sont vraiment un livre et un lecteur, et surtout la façon dont le lecteur considère ses livres m’a surprise : je me suis reconnue sans vouloir me reconnaître. Le mauvais traitement infligé à nos propres livres, l’attachement, le sentiment d’appartenance, le fait d’avoir du mal à rendre un livre prêté que l’on a aimé … Est ensuite évoquée la façon de traiter le livre chez les professionnels ou à l’Université, tout comme l’ineptie des synopsis, qui sont parfois ridicules, qui dévoilent parfois trop (tout même !), que le grand frère de l’auteur fait bien mieux parce que ses résumés sont personnels et fait pour intéresser son frère.
Enfin, la dernière partie, « Le qu’en-lira-t-on (ou les droits imprescriptibles du lecteur) » traite de nos façons de lire, de notre liberté absolue de lecteur. Sont évoqués les versions abrégées des classiques, que j’ai toujours trouvé absurde et sans intérêt, et pour lesquelles l’auteur donne une alternative bien meilleure (sauter des pages). Je me suis beaucoup reconnue dans cette partie : le fait de ne pas finir un livre, ou de ne pas aimer un auteur (question de goût, d’attente), de relire et de découvrir que notre avis a changé (ou pas), le bovarysme (le premier état du lecteur, les sensations que nous procure la lecture), le fait de lire n’importe où (combien de fois ai-je entendu la petite phrase : « Mais tu n’as pas besoin de ton livre pour aller là-bas ! »), le fait de grappiller (passer des heures à relire des passages que l’on connaît bientôt par cœur, ou dans des livres que l’on n’a pas encore lus !), le fait de relire, et surtout, de lire ce que je veux ! L’auteur fait la distinction entre les bons et les mauvais romans (les Harlequin que je trouve sans intérêt, mais qui plaisent beaucoup à de nombreuses personnes), mais c’est tout de même un droit du lecteur de lire n’importe quoi, et donc de lire des livres qui peuvent être considérés comme mauvais. Cela ne veut pas dire, évidemment, que les livres qui ne sont pas des classiques sont mauvais : parmi les contemporains et les YA peuvent se cacher de bons livres, tout comme dans des genres qui ne sont pas encore reconnus en France comme de la bonne littérature, la Fantasy ou la science-fiction par exemple. Pour moi, un bon livre me touche, m’emporte, est bien écrit, et me hante. Chacun ses « critères » après tout ! La mention de la lecture à haute voix m’a fait retomber en enfance : j’adorais cette pratique, et me rends compte qu’elle a disparu, à part pour certains poèmes que j’ai besoin d’entendre pour apprécier pleinement. Les références aux auteurs qui lisaient à voix haute m’a donné envie de recommencer, de retrouver ce plaisir perdu. Enfin le silence, le fait de taire ce que l’on a ressenti après la lecture. Elle est personnelle, et le fait de faire des chroniques ne veut pas dire que je ne garde pas une part secrète d’elle en moi.
Petites remarques : j’aime le fait que l’auteur ne parle pas que d’œuvres françaises. J’ai adoré toutes ces références, cela m’a donné envie de lire – ou de relire – certaines œuvres !! J’ai aussi aimé la petite phrase d’accroche au début du livre, comme une micro-préface dans laquelle l’auteur demande à ce qu’on n’étudie pas son livre en classe ! Enfin, j’aurais aimé avoir Daniel Pennac comme professeur !!
Donc, un excellent essai, hymne à la littérature, à la lecture et au lecteur, mais aussi à un enseignement différent et à des professeurs qui retrouvent leur âme d’enfant, qui transmettent leur amour de la lecture, plus seulement un programme et des méthodes !