La grammaire est une chanson douce d’Erik Orsenna
Editeur : Le Livre de Poche
Année de sortie : 2003
Nombre de pages : 151
Synopsis : « Elle était là, immobile sur son lit, la petite phrase bien connue, trop connue : Je t’aime. Trois mots maigres et pâles, si pâles. Les sept lettres ressortaient à peine sur la blancheur des draps. Il me sembla qu’elle nous souriait, la petite phrase. Il me sembla qu’elle nous parlait :
_Je suis un peu fatiguée. Il paraît que j’ai trop travaillé. Il faut que je me repose.
_Allons, allons, Je t’aime, lui répondit Monsieur Henri, je te connais. Depuis le temps que tu existes. Tu es solide. Quelques jours de repos et tu seras sur pied.
Monsieur Henri était aussi bouleversé que moi.
Tout le monde dit et répète « Je t’aime ». Il faut faire attention aux mots. Ne pas les répéter à tout bout de champ. Ni les employer à tort et à travers, les uns pour les autres, en racontant des mensonges. Autrement, les mots s’usent. Et parfois, il est trop tard pour les sauver. »
Avis : J’ai entendu parler de ce livre il y a peu de temps, et je me suis dit que ce devait être une jolie petite histoire.
Je ne m’étais pas trompée ! La grammaire est une chanson douce est un vrai petit conte enfantin, tissé par la magie des mots. Le lecteur suit une petite fille et son frère, qui se voient privés de mots, et vont tenter de les retrouver. L’idée de l’île est d’abord enchanteresse, c’est visible rien qu’avec la couverture. Il est aisé au lecteur de s’imaginer sur un bout de terre pratiquement désert, accompagné des mots et de ceux qui les aiment et veulent les protéger. Cela place aussi déjà l’histoire dans un contexte spatio-temporel à part : on se trouve sur une île, mais où exactement ? et combien de temps s’est écoulé ? L’ambiance magique est déjà instaurée. Elle est renforcée par ce que l’on découvre des mots : sur cette île, ils sont libres, et vivent une vie presque humaine ; ils se déplacent, se marient, parlent. Ils ont leur propre monde où les autres entités ne peuvent entrer. Et c’est à partir de là que l’on peut voir de la poésie : à travers l’histoire des mots, l’auteur veut nous faire comprendre leur pouvoir, leur importance, mais aussi leur fragilité. Un mot est fort, et ne peut être employé à la légère, ou à tout bout de champ. La place des mots rares et que pratiquement plus personne n’emploie est aussi mise en avant : le lecteur lit une véritable ode à la conservation de la langue, à la reconnaissance de son impact sur nos vies. Concernant l’écriture, elle est agréable, belle, et, comme le professeur au début du livre, l’auteur dit les mots tels qu’ils sont, n’a pas peur d’eux, et ne cherche pas midi à quatorze heures.
Les personnages sont des enfants, ce qui colle à l’esprit du conte. Jeanne est l’héroïne ; consciente de l’importance des mots, elle tente de la faire comprendre à son frère, Thomas, avec qui elle a une relation plutôt conflictuelle : en effet, comme tous les frères et sœurs sans doute, ils se détestent, mais ne peuvent vivre l’un sans l’autre. L’exploration de l’île leur permet de redécouvrir la grammaire d’une façon ludique, plus amusante, mais aussi plus poétique ; ils aimeraient passer plus de temps à observer les mots tant ils sont fascinants. Cette découverte se fait sous la houlette de Monsieur Henri, un personnage que j’ai tout de suite aimé. Il est aisé de comprendre qui il est vraiment grâce aux indices semés un peu partout ! Guide des enfants, il leur fait découvrir la vie des mots, celle que personne ne connaît, mais aussi le danger qui les menace. En effet, certaines personnes, comme Nécrole (vive l’onomastique !), voudraient les soumettre, les réduire, ne plus utiliser que quelques mots seulement et jeter les autres qui ne serviraient à rien. Le lecteur rencontre aussi d’autres personnages, comme le neveu sublime, qui ne parle pas, mais apprend la musique à Thomas, musique qui a elle aussi une place importante dans ce livre, car elle permet de faire chanter les mots grâce aux rimes, les parents de Jeanne et Thomas, que l’on n’aperçoit qu’à la fin et dont on ne sait pas grand-chose, sinon qu’ils sont divorcés, et des écrivains, que j’ai beaucoup aimé voir dans ce conte, et grâce à qui l’auteur place une petite phrase de leur œuvre pour chacun, afin de donner envie de la découvrir, peut-être, à ceux qui liraient.
La fin est elle aussi poétique, elle parle d’amour, de musique et de mots. Peut-être un peu rapide, mais quelle fin de conte ne l’est pas ?
Donc, un très beau conte que je ferai lire à mes enfants plus tard avec plaisir ! Un rappel de l’importance des mots et de la diversité de la langue française face à ceux qui voudraient la réduire, ainsi que les autres langues.