La terre et le sang de Mouloud Feraoun
Editeur : Seuil
Année de sortie :1953
Nombre de pages : 254
Synopsis : Ce couple qui a quitté la France et qui entre dans ce misérable village de Kabylie, quel passé étrange laisse-t-il derrière lui ? La voix de la Terre natale a fini par atteindre Amer qui revient parmi les siens. Sa femme l’accompagne et c’est une jeune parisienne que la vie a meurtrie. L’espoir d’une existence neuve emplit ces deux cœurs, mais Marie ne se doute pas que ces montagnes qui lui ferment l’horizon ne s’ouvriront jamais plus pour elle. A Ighil-Nezman, un village comme il y en a tant sur les crêtes du Haut-Pays kabyle, Marie mènera une vie paisible de recluse enviée. Mais Amer s’éprendra follement d’une autre femme et la tragédie se nouera, violente, sauvage, dans le décor de ces montagnes peuplées d’hommes rudes et fiers, au cœur de ce monde berbère qu’ignore l’Europe, et dont Mouloud Feraoun nous révèle aujourd’hui la vie la plus secrète.
Avis : Un auteur dont j’ai entendu parler en cours, et que je voulais découvrir.
J’ai eu un peu de mal au début, d’abord à cause de la typographie un peu serrée, et un peu petite, ce que je n’aime pas trop, ensuite, à cause du synopsis : je me dis : « Super, une histoire d’adultère où la femme va se retrouver de côté, méprisée, mal aimée … ». J’avais donc un petit préjugé sur le roman. Aussi, c’est un univers que je ne connais pas du tout, et qui m’a semblé à la fois étranger et hostile : celui qui ne vient pas du village n’est pas accepté, et, étant Française, je me suis identifiée à Marie, et j’ai eu du mal à me projeter dans cette vie, où la place des femmes est très différente. En effet, les privilégiées vivent en recluses, quand les autres femmes sortent. Les hommes ont tout pouvoir si leur femme ne sait pas les manipuler ; la question de la stérilité, un thème important du roman, pose la question du mariage, que j’ai eu du mal à saisir : les femmes font en sorte que leur mari se remarie, ou couche avec quelqu’un qu’elles ont choisi. Pourtant, au fur et à mesure de mon avancée, j’ai commencé à apprécier la découverte des traditions d’Ighil-Nezman, et je me suis peu à peu détachée de mes premières impressions : j’ai réussi à me laisser happer par l’histoire qui se profilait, et que j’avais de plus en plus envie de connaître. Les familles sont très importantes et régissent la vie du village ; il existe une hiérarchie entre elles, elles sont reliées par alliance, mais le lecteur peut tout de même sentir l’hostilité flotter entre elles. Le terme de karouba est aussi employé pour parler, il me semble, d’un regroupement de familles. Concernant l’écriture, elle est agréable à lire, et ne participe pas du tout de l’impression d’hostilité que j’ai pu avoir au début, bien au contraire. Pour le synopsis, je trouve qu’il en dit beaucoup trop sur l’histoire, il m’a sans doute gâché le plaisir que j’aurais pu prendre à cette lecture sans l’avoir lu.
Amer, personnage principal du roman, revient dans son village avec sa femme française. A première vue, on peut avoir une sale vision de lui à la lecture du résumé, mais, en le découvrant, il est facile de s’attacher à lui, et de le comprendre. Sa vie en France le fait passer pour un ingrat, et il tente de se racheter une fois revenu à Ighil-Nezman, où il se comporte comme s’il n’était jamais parti. L’amour qu’il voue à sa femme semble sincère, et il veut que son village lui pardonne sa longue absence. Il prend peu à peu de l’importance du point de vue « politique », et tente de faire évoluer certaines choses en rapportant des idées de France, ce qui n’aboutit pas vraiment. Ses réflexions sur l’amour peuvent laisser perplexe : il est partagé en sa femme, et la vie qu’il aurait dû mener s’il n’était pas parti en France. Marie, elle, ne peut comprendre ses réflexions, que son mari ne partage pas avec elle, et qui ne l’effleurent même pas. Elle est toute à sa nouvelle vie, heureuse comme elle ne le fut jamais en France, débarrassée de ses problèmes et considérée comme une privilégiée. Elle tente de s’adapter au village, apprend la langue kabyle, comprend vite les règles, et les applique sans problème. Elle semble douce, elle accepte beaucoup de choses, ce qui peut surprendre. Le lecteur peut avoir envie de lui faire ouvrir les yeux. Un bref éclat, et elle retombe dans la douceur. Elle est très compréhensive, ce qui la rend vraiment attachante. Le surnom que les gens du village lui donnent la place clairement à l’écart de tous : elle accepte les règles, mais le village ne l’accepte pas. Kamouma, quant à elle, est une mère un peu calculatrice, qui déplore que son fils se soit marié en France, même si elle apprécie sa belle-fille. Elle connaît très bien les règles, ce qui l’aide à les contourner si besoin est. Dans la misère après le départ de son fils, elle lui pardonne facilement. Elle est elle aussi attachante à sa manière, bien qu’elle soit représentative de la tradition. Chabha est un personnage facile à aimer, étant donné le portrait qui est brossé d’elle. Elle a accepté un mariage qu’elle ne voulait pas forcément, a décidé qu’elle serait heureuse, que rien ne pouvait la rendre triste. Elle est forte, et douce, généreuse, authentique. Elle se retrouve bousculée par un événement imprévu. Tendre et aimante, elle ne veut faire souffrir personne, et se refuse momentanément le bonheur, un bonheur clandestin et jamais tout à fait accessible de toute façon. Quant à Slimane, il est envahi par le doute dans tout le roman, torturé entre la vengeance et l’honneur d’un côté, la compassion et le pardon de l’autre. Cela en fait un personnage ambivalent, qui change d’avis très souvent, et qui peut s’avérer dangereux s’il bascule. Le lecteur rencontre d’autres personnages comme Hocine et Hemama, l’un hypocrite comme jamais, faible, et l’autre, vraie commère du village ; brièvement Kaci, père d’Amer, sur lequel il est difficile de se faire une idée ; Smina et Ramdane, qui tiennent à leur fille comme à la prunelle de leurs yeux et sont prêts à tout pour l’aider.
Les codes au village, essentiels, instaurent une vraie séparation des sexes, mais posent aussi la question de l’honneur et de la vengeance, question cruciale du roman, qui le porte même. Une famille bafouée ne peut pas laisser passer l’offense sans réagir : la question de tuer le responsable est clairement posée, ce qui sous-entend une violence tacite, potentielle, que l’on sent affleurer dans les pensées de certains personnages. Une partie de vie en France est racontée, et c’est à partir d’elle que se noue le nœud de l’intrigue : un crime a été commis, et le responsable doit payer. Egalement, le titre devient parfaitement clair quand il est cité dans le livre : ce qui est important dans le village, c’est de faire partie d’une famille (par le sang), et de s’attacher à la terre, de la posséder ou de simplement y vivre. Amer revient à la terre, et fait honneur à son nom : il respecte ainsi la tradition.
Dans une autre mesure, ce livre m’a semblé une bonne représentation des tourments que peut connaître l’âme : de nombreuses fois, le lecteur est le témoin des pensées de certains personnages qui se demandent comment agir, s’ils doivent le faire, les conséquences de leurs actes, mais aussi témoin de réflexion sur l’amour, notamment chez Amer. Si la passion mentionnée par le synopsis est bien présente, elle est tout de même à remettre dans son contexte : le personnage « explique » ce qu’il ressent, pourquoi il le ressent, et que cela ne l’empêche pas d’aimer sa femme plus que tout au monde.
La fin n’est pas surprenante, mais fait tout de même mal. Elle est faite d’une découverte qui entraîne l’action. Cette fin montre tout le poids de la tradition et de l’honneur, qui a fini par vaincre.
Donc, un bon roman, qui n’a pas réussi à me captiver tout à fait, sans doute à cause d’un synopsis trop explicite.
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