Pélagie-la-Charrette d’Antonine Maillet
Editeur : Grasset
Année de sortie : 1979
Nombre de pages : 315
Synopsis : Un triste jour de 1775, les troupes du roi George s’en vinrent déloger de chez eux les Acadiens de la baie Française, abandonnés par « ceux du Vieux Pays ». Ce fut le « Grand Dérangement ». Parmi ces exilés, il y avait une certaine Pélagie Bourg dite le Blanc, qui n’avait pas oublié sa Grand’ Prée, là-haut sur la baie. Alors, après des années de misère, la voilà qui s’achète une charrette et une paire de bœufs pour y entasser les siens, Charlécoco les bessons, Madeleine sa fille, Célina la boiteuse, Catoune la sauvageonne, et le vieux Bélonie, le centenaire, mémoire de la tribu. « Pélagie-la-Charrette » devient vite le Moïse de la Déportation, la Mère-Courage du Grand Dérangement. Ils arrivent de partout, les Acadiens, ils la suivent, eux aussi s’en reviennent à la Terre Promise, et le voyage durera dix ans … De Charleston à Baltimore, de Philadelphie aux marais de Salem, malgré la guerre d’Indépendance et les Indiens, c’est la croisade des pauvres gens, avec ses dangers, ses bouffonneries, ses amours, ses surprises, tandis que, de loin en loin, le beau capitaine Broussard, dit Beausoleil, dit Robin des Mers, suit l’exode par la côte sur son quatre-mâts la « Grand’ Goule », lointaine providence des voyageurs qu’il tire à point nommé des mauvais pas jusqu’au bon port … Après Mariaagélas, La Sagouine et Les Cordes-de-Bois, qui nous ont familiarisés avec le monde merveilleux de nos cousins d’Acadie, voici que la « raconteuse » accède à l’épopée. C’est tout un peuple à présent qui parle à travers elle et nous dit son exaltante aventure, que nul autre ne pouvait ressusciter avec ce talent sans pareil, où la « langue des Côtes » rejoint celle de Rabelais pour tailler à Antonine Maillet une place qui n’est plus contestée dans la littérature de ce temps.
Avis : J’ai entendu parler de ce livre dans un cours sur les littératures francophones : en voyant qu’il parlait du Canada, je me suis dit que je pouvais en apprendre plus sur son passé.
Je m’attendais à un voyage, bien sûr, avec sa part de joie et sa part de mésaventures. Et c’est effectivement ce dont il est question dans le roman. Un peuple exilé prend la route pour retrouver la terre qu’on lui a arrachée de force, et à sa tête se trouve une femme, Pélagie, qui le guide avec sa charrette. Ils rencontreront plusieurs autres exilés, ainsi que des aventures plus ou moins réjouissantes – souvent moins que plus. Les villes sont les lieux de trafic en tout genre, et l’Amérique n’est pas le meilleur endroit à traverser pendant la lutte pour l’Indépendance. En effet, si les Acadiens veulent rejoindre leurs terres, les Américains, eux, obtiennent peu à peu leur liberté, tout en en privant d’autres êtres. Les passages sur la difficulté de faire survivre le passé m’ont touché : l’Acadie n’est plus que dans la mémoire des hommes qui tentent de remonter au Nord, qu’ils s’imaginent les attendre. Aussi, j’ai trouvé le voyage long, sans doute parce qu’il l’est réellement, et cela m’a un peu agacé : je pense que j’avais vraiment envie qu’ils avancent et qu’ils parviennent à leur but le plus vite possible, pour retrouver la terre idyllique à laquelle ils ne cessaient de penser. Je n’ai vraiment été transportée que dans la dernière partie du livre, quand les événements se succèdent et s’accélèrent, quand on touche enfin au but, quand le lecteur a encore l’espoir que tout est possible. J’ai eu peur pour certains personnages, j’ai eu envie de les sauver pour les voir profiter de la destination dont ils rêvaient. Mais, ce qui fait une autre difficulté du livre, et qui m’a un peu freiné au début, c’est l’écriture, la façon de raconter du narrateur, et la langue utilisée, dans les dialogues ou dans la narration. C’est un mélange de français moderne et d’ancien français qui peut paraître rebutant, un peu compliqué à comprendre du premier coup. Mais finalement, c’est assez amusant et authentique de lire la langue telle qu’elle devait être en 1775.
J’ai aussi trouvé qu’une bonne partie de l’intensité du livre était concentrée en Pélagie. Elle est la figure de proue des exilés, leur guide, celle qui fait autorité, que tout le monde écoute et que personne ne veut blesser. C’est une femme forte, courageuse, déterminée à retrouver son dû, sa terre, sa Grand’ Prée qu’elle imagine toujours aussi fertile et accueillante. Elle porte le fardeau du peuple exilé, et tente de le motiver à continuer la route quand il se lasse et veut abandonner. Généreuse, elle les recueille tous, leur promet à tous une vie plus douce en Acadie. Comme les bons leaders, elle sacrifie sans cesse son bonheur personnel pour celui de la collectivité, ce qui la rend encore plus attachante, mais aussi un peu martyre. Elle est accompagnée de Bélonie, le centenaire, qui a perdu toute sa famille et ne semble garder goût à la vie qu’en surface. Seul de sa lignée, qui s’éteindra avec lui, il est cynique, et proche de la mort, son amie, dont il tire la charrette derrière celle de Pélagie. Au début, il peut paraître agaçant, mais l’on attache vite à lui. La charrette sans lui sonnerait faux ! Célina est également présente aux côtés de l’héroïne. Il lui est impossible de se marier à son âge, et elle ne sait pas de quelle famille elle vient : la seule qu’elle ait est Pélagie, qu’elle défend bec et ongles si elle la sait menacée de quoi que ce soit. Guérisseuse, elle ressemble un peu à une sorcière. Le lecteur s’attache également à elle au cours du voyage, ainsi qu’à Catoune, qui, je pense, est le personnage qui m’a le plus fasciné. Orpheline, elle est recueillie par l’héroïne, qui la défend contre les autres exilés. Intrépide et sauvage, elle peut se permettre ce que Pélagie n’accepterait de personne d’autre. Elle est libre, sans attaches, sans famille, mais avec une aide, le personnage principal auquel elle s’accroche de toutes ses forces. Il lui arrive beaucoup de choses, toujours plus ou moins tristes. On trouve également dans ce livre les enfants de Pélagie, Jean, Madeleine, Charles, Jacques, qui l’aident à tenir la charrette et qui sont les premiers à lui obéir, les autres familles exilées, comme les Girouard ou les Bourgeois, Broussard dit Beausoleil, personnage clé, attachant, que l’on aimerait voir touché par le bonheur, Virginie, à laquelle le lecteur s’attache vite.
Lire le récit d’un retour d’exil peut sembler plus facile que de lire celui de l’exil même : et pourtant, le déchirement est ressenti à chaque pas, les souvenirs sont soit flous soit trop vivaces. Le retour ne gomme pas du tout l’exil, et ne le compense même pas : il est nécessaire pour panser les plaies encore ouvertes. Les sentiments sont souvent ambivalents : la joie d’être de retour, mais l’envie d’oublier parfois, et de s’établir ailleurs. Le sentiment d’être abandonnés par la France, maltraités par les Anglais : les exilés ne peuvent compter que sur eux-mêmes. C’est un voyage difficile à faire, mais aussi difficile à lire, parce qu’il est marqué par la désillusion et le chagrin, par le souvenir de la perte des êtres aimés, de la maison, des biens, des familles.
La fin est émouvante, à la fois triste et heureuse. C’était possible de s’y attendre, et en même temps, le lecteur n’avait pas envie que ça arrive.
C’est donc une bonne lecture, qui nous parle un peu du passé du Canada et de ses habitants, qu’il est toujours intéressant de connaître.
2 commentaires »
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livre un peu dur à lire… Mais intéressant par les temps d’exodes
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J’ai trouvé aussi, mais c’est vrai qu’il est intéressant du point de vue du peuple en exode, de la difficulté à faire survivre le passé.