Kétala de Fatou Diome
Genre : Contemporaine
Editeur : Flammarion
Année de sortie : 2006
Nombre de pages : 278
Synopsis : Lorsque quelqu’un meurt, nul ne se soucie de la tristesse de ses meubles.
Avis : J’ai entendu parler de l’auteure en cours, et j’ai trouvé ce livre dans une bibliothèque. Le synopsis était un peu comme ceux d’Amélie Nothomb, ça m’a intrigué alors je me suis lancée !
Dès la première page, on sent que l’auteure ne parle pas pour ne rien dire, mais surtout, on découvre une excellente écriture, poétique, envoûtante, qui joue avec les mots pour les faire résonner encore plus fort, qui utilise des images pour donner à voir et placer le lecteur dans une ambiance de rêve ou de féerie parfois. Et cette qualité est constante dans l’œuvre ; c’est le premier élément qui m’a fait tomber sous le charme du livre. Puis, l’originalité de l’idée : faire parler les meubles d’une défunte pour découvrir sa vie, pour apprendre à la connaître à travers les objets qu’elle utilisait tous les jours ou occasionnellement. Je n’avais jamais lu de roman qui abordait la question du deuil de cette façon, et j’ai trouvé cette façon de jouer un peu avec le lecteur très intéressante : les objets se parlent, mais c’est en réalité au lecteur qu’il raconte l’histoire de leur propriétaire. De plus, le vocabulaire, le langage, utilisé par l’auteure change en fonction du locuteur-meuble, ce qui donne à chacun d’eux une sorte de personnalité, ce qui en fait des personnages à part entière. C’est très étrange de se dire que l’on apprécie une montre ou un masque, que l’on compatit à ce que vit une statue ou un mouchoir ! Quant à l’histoire, elle a achevé de me charmer : elle permet d’aborder des thèmes différents, comme l’homosexualité, la tradition, la maladie, la façon de faire son deuil, la mort, l’amour ; c’est une réserve de préceptes sur une vie entière, celle de Memoria, à qui on finit par s’attacher, et qu’on plaint de ce qui lui arrive. Les émotions contenues dans les remarques des personnages touchent le lecteur lui aussi, qui se range du côté de l’un ou de l’autre, qui tente de relativiser ou qui s’indigne. Le jeu du dialogue fait que le lecteur se prend au jeu ; il est tenu en haleine quand la séance est suspendue, ou quand un meuble fait exprès de faire traîner son explication en longueur : il veut savoir, il veut lui aussi découvrir Memoria, la comprendre à travers ce que ses affaires ont à dire d’elle. Enfin, j’ai pas mal ri à la lecture de ce livre, que l’humour soit sincère ou noir : cela détend quand la situation s’envenime. Cet effet vient surtout de l’incompréhension qui se fait jour entre les meubles, qui se mettent à se disputer.
Memoria est ainsi le personnage principal sans jamais être vraiment présente, puisqu’elle est décédée avant le début du livre. C’est assez particulier de découvrir quelqu’un à travers ce que ses affaires racontent : le point de vue n’est jamais objectif et jamais omniscient, les meubles se contredisent parfois entre eux, donnent plusieurs versions selon celui qui parle. On la découvre par flashbacks, d’abord avec un homme, puis jeune fille, femme, puis par des souvenirs plus ou moins précis, par les pensées que capte l’oreiller, par le pouls que ressent la montre, par l’ardeur que perçoit le canapé. Elle semble pleine de vie et de bonne humeur, prête à tout pour être heureuse. Elle est aussi très courageuse et persévérante : vu ce qui lui arrive, pas mal de femmes auraient laissé tomber dès le début. Le lecteur ressent l’évolution de la jeune femme au fil des années : elle pense d’abord à son propre bonheur, puis devient généreuse avec ceux qu’elle aime, et surtout, fait tout pour que sa vie de couple soit harmonieuse, passionnelle, vivante. Sa vie devient très difficile à un moment donné, et l’on sent que son courage vacille peu à peu. Makhou est également un personnage important du livre : proche de Memoria, il lui fait défaut à de nombreuses reprises, ce qui exaspère les meubles et le lecteur. Il n’est pas là quand la jeune femme a le plus besoin de lui ; la fin le blanchit un peu, mais l’amertume de la vie de Memoria reste comme un mauvais goût pour celui qui lit. Les meubles sont également très importants, puisque ce sont eux qui font revivre leur propriétaire à travers le récit décousu de sa vie. Chacun a une caractéristique : Montre est une sorte d’intello, Masque est plutôt le sage du groupe, Chasseur est téméraire et viril, quand Coumba Djiguène est très féminine et ne se laisse pas faire quand elle se sent méprisée, Mouchoir est l’idiot de la bande … A travers eux, l’on découvre également Tamara, amie de Memoria, dont une partie de la vie nous est racontée ; la famille de l’héroïne, ainsi que sa belle-famille, toutes deux assez ambivalentes, et que le lecteur a du mal à apprécier.
Le thème central de ce livre est la mémoire d’un défunt – c’est déjà visible dans le nom de l’héroïne principale -, la façon dont celle-ci est perpétuée, puisque le fait de raconter la vie de Memoria est une manière, pour les meubles, de faire partager le même souvenir à tous afin qu’une fois dispersés par le kétala, ils puissent reconstituer la vie de la jeune femme. Parlant de kétala, je ne savais pas du tout ce que c’était avant de commencer la lecture : c’est une tradition musulmane qui veut les biens d’un défunt soient partagés par sa famille, un partage de l’héritage. On se rend compte, par cette lecture, d’une sorte de cruauté par cette pratique : tout est dispersé, comme si la vie du propriétaire était divisée en autant de parties impossible à rassembler. De plus, quand le lecteur lit effectivement le jour du kétala, et la fin de vie de Memoria, cette cruauté est tout à fait manifeste et difficile à supporter, accompagnée par une hypocrisie qui fait peine à voir. Le kétala sonne comme une façon de faire son deuil ; d’autres personnages le font autrement, et montrent la souffrance qu’ils ressentent, l’impossibilité de la perte, le rejet de la mort, la certitude que Memoria se trouve encore là. A travers son histoire, est également abordé le thème de l’homosexualité, et de la façon de cacher ce qui est vu comme scandaleux. Encore une fois, la tradition se révèle être hypocrite, et fait le malheur des personnages impliqués.
Dans ce livre, la fin est un peu déjà connue par le lecteur : il sait que Memoria va mourir, mais il ne sait pas de quelle façon. Je dois dire que je ne m’y attendais pas, comme la « seconde partie » de la vie de la jeune femme. Cela contrastait avec la première partie ; dans la deuxième, les problèmes s’enveniment et la situation devient malsaine. La mort de la jeune femme est douloureuse, et le « mot » qui est cause de sa mort n’est pas cité mais il est facile de le deviner à la lecture : c’est assez logique vu ce qui est arrivé avant.
En définitive, un excellent roman qui me fait découvrir une auteure de talent de par son écriture, son originalité, ce qui me donne envie de lire ses autres livres ; les thèmes abordés sont intéressés, traités de façon originale et grâce à une tradition que je ne connaissais pas.
Update du 10 novembre 2017
Ma relecture me permet de voir des défauts du texte auxquels je n’avais pas fait attention à la première lecture. J’aime toujours l‘écriture, mais elle peut paraître lourde parfois, tout comme les disputes constantes entre les meubles, et leur façon de parler, qui n’est pas du tout naturelle. Aussi, je pense que certains homosexuels pourraient très mal prendre la façon dont est traitée l’homosexualité par l’auteur : j’essaie de me mettre à leur place, et, si j’étais eux, cela aurait pu m’agacer. L’auteur semble aussi régler ses comptes avec plusieurs personnes, du genre, les féministes radicales, ou les écrivains qui utilisent des logiciels pour écrire. Bien sûr, je suis toujours d’accord avec sa dénonciation de l’hypocrisie de la société et de la famille, et avec plusieurs réflexions sur la religion. C’est aussi l’histoire d’un voyage et d’un retour, donc une question de territoires. Désormais, j’ai un avis plus mitigé sur Kétala, même si je l’apprécie toujours.
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