Redbluemoon

I found myself in Wonderland.

Archive pour janvier, 2016

Inferno de Dan Brown

Posté : 21 janvier, 2016 @ 7:37 dans Avis littéraires, Coup de cœur | 4 commentaires »

InfernoGenre : Thriller

Editeur : Corgi Books

Année de sortie : 2014

Nombre de pages : 620

Synopsis : ‘Seek and ye shall find.’ Florence : Harvard symbologist Robert Langdon awakes in a hospital bed with no recollection of where he is or how he got there. Nor can he explain the origin of the macabre object that is found hidden in his belongings. A threat to his life will propel him and a young doctor, Sienna Brooks, into a breakneck chase across the city. Only Langdon’s knowledge of the hidden passageways and ancient secrets that lie behind its historic façade can save them from the clutches of their unknown pursuers. With only a few lines from Dante’s Inferno to guide them, they must decipher a sequence of codes buried deep within some of the Renaissance’s most celebrated artworks to find the answers to a puzzle which may, or may not, help them save the world from a terrifying threat …

 

Avis : J’ai lu tous les livres de la saga sur Robert Langdon, et j’ai toujours préféré le premier, Anges et démons, qui situe l’action en Italie. Ce tome était parfait, et Inferno s’en rapproche sans le dépasser !

Dire que j’ai beaucoup aimé ne suffit pas vraiment : l’auteur, comme avec son aventure à Rome, a réussi à me captiver, à me faire croire à son histoire. Je suis entrée dans le livre avec les personnages, j’ai été tenue en haleine par l’intrigue, par la course poursuite de Robert Langdon – tant qu’à un moment, il m’a même empêché de dormir ! Langdon est lancé dans une véritable chasse au « trésor » – même si ce qu’il recherche n’a rien d’un trésor ! -, mais aussi dans une traque sans merci, une traque à laquelle il veut échapper à tout prix pour sauver sa vie – et le monde par la même occasion. Mais ce tome n’est pas que ça : c’est aussi un guide qui nous permet de visiter les villes que les personnages parcourent. Nous visitons ainsi les lieux emblématiques de Florence, de Venise, mais aussi d’une autre ville un peu surprise, que je ne m’attendais pas à trouver ici – en réalité, lorsque Langdon parle d’un lieu très éloigné de l’Italie, je m’attendais à tout sauf à ce pays, qui ne me paraît pas si loin comparé au « bout du monde » qu’il évoque. Cela peut agacer certains lecteurs parce que, c’est vrai, les descriptions des monuments ou des œuvres d’art freinent le récit, ralentissent l’action, mais je trouve que ce sont de petites mines d’informations, des façons d’apprendre différentes. Je n’ai jamais lu La Divine Comédie, et ce livre m’a donné encore plus envie de m’y mettre ; je n’avais jamais vu La Carte de l’Enfer de Botticelli, ni les illustrations de Gustave Doré, que je connaissais très peu : j’ai fait de très belles découvertes grâce à Inferno. Le lecteur n’apprend pas seulement sur les lettres et les arts : la science est également présente dans ce livre, puisqu’elle est la menace principale qui pèse sur le monde. J’ai également appris pas mal de choses à ce sujet, même si je ne sais pas si tout est vraiment réel, ou déjà existant de nos jours. J’ai eu l’impression de lire de la science-fiction, tout en me rendant compte que, vu les recherches d’aujourd’hui, ce n’est plus vraiment de la science-fiction. Comme je l’ai dit plus haut, Inferno est aussi centré sur La Divine Comédie, reprenant plusieurs chants, citations précises, mais aussi des éléments de la vie de Dante lui-même. C’est un peu un périple dirigé à la fois par le poète et le fanatique qui s’est servi de son œuvre pour réaliser la sienne. Seul petit bémol : des répétitions, parce que les personnages racontent la même chose à plusieurs autres, ou parce que certaines citations sont répétées plusieurs fois, ce qui peut être lourd parfois.

Plus je lis Dan Brown, plus j’apprécie le personnage de Robert Langdon. Il est à la fois rassurant et courageux, sûr de lui mais capable de se remettre en question, intelligent et cultivé. Ses aventures sont toujours un peu tarabiscotées, il est toujours engagé dans des histoires hallucinantes, mais il reste fidèle à lui-même. Ici, c’est un peu différent : quand il se réveille dans un lit d’hôpital, il ne se souvient de rien de ce qui a pu lui arriver, il ne sait pas où il se trouve, ni qui sont les personnes autour de lui. Il a perdu des jours de sa vie, et se sent perdu lui aussi. Sa mémoire, si exceptionnelle ordinairement, lui fait défaut, malgré le fait qu’il parvienne tout de même à déchiffrer les codes qui s’offrent à lui. C’est un gentleman, un homme old-school, il n’est pas mystique, mais la grandeur de l’art le transperce et le touche tout particulièrement. Comme dans toutes ses aventures, il est secondé par une femme : ici, par Sienna Brooks, une séduisante médecin, au cerveau supérieur à la moyenne, capable de beaucoup de choses, très douée dans de nombreux domaines, et à qui le lecteur s’attache facilement. Elle est forte, on lui fait confiance, même si, au fond, comme Langdon, on ne la connaît pas. C’est un personnage à multi facettes, que l’on découvre au fur et à mesure. Elle est fragile, même si elle se cache derrière des apparences, d’où son talent pour le déguisement et le théâtre. J’ai été choquée par ce que l’on apprend finalement sur elle, comment s’y attendre ? Elizabeth Sinskey est elle aussi une femme très séduisante, mais bien plus âgée que Sienna. C’est sa beauté qui frappe Langdon, alors même qu’il ne la voit qu’en rêve. Peu à peu, on apprend qui elle est, et on l’apprécie elle aussi. C’est aussi le pouvoir de l’auteur : nous faire aimer ses personnages. Je ne peux pas vous dire grand-chose d’elle sans spoiler quelque chose, donc je vais juste vous dire qu’elle est importante dans l’histoire, qu’elle est même au centre, et joue un rôle prépondérant ! Un autre personnage est très important dans le livre, le « méchant » de l’histoire, celui qui menace le monde. Je ne vous dis pas son nom car il est dit tardivement, donc je vous laisse la « surprise ». Il est terriblement intelligent et a pris conscience d’un danger majeur pour l’homme qu’il va tenter de résoudre à sa façon, terrifiante et d’ampleur mondiale. Il semble arrogant, se sent supérieur, il est charismatique et a facilement de l’influence sur des gens facilement impressionnables. Une autre facette de lui est révélé à la fin, ce qui le restaure légèrement à nos yeux, et le montre tel qu’il est : un homme désespéré que personne n’a voulu écouter, et qui a sombré dans la folie. D’autres personnages se trouvent dans le livre, mais ils ont moins d’importance que les quatre présentés ci-dessus : le « provost » (prévôt je suppose), dirigeant d’une organisation privée, secrète, et qui va peu à peu sombrer en même temps que le monde ; l’agent Brüder, chef d’un escadron de soldats qui traque Langdon ; Vayentha, engagée pour éliminer Langdon, que l’on pourrait détester si l’on n’avait pas son point de vue à un moment donné ; et pas mal d’autres, comme les amis de Langdon dans les villes où il se rend, le personnel dans les musées qu’il visite, comme Maria.

Un thème important est abordé dans ce livre, excepté la littérature et les arts : la surpopulation mondiale. C’est à cela que celui qui menace le monde veut s’opposer de façon définitive et effrayante. La solution qu’il propose est radicale et horrible, elle n’est pas acceptable, même si le problème est bien réel. Et les personnages sont poussés à chercher des solutions. Langdon se sent responsable, même à sa petite échelle. Les hommes ne se sentent capables de rien faire, donc ils ne font rien. Par cet aspect, je peux dire que ce livre m’a effrayé. Je dois dire que je n’ai jamais pris la mesure du problème avant de le lire. Je ne veux pas devenir parano pour autant : Langdon et Sienna sont des personnages, et des êtres à part dans le monde créé par l’auteur, ils sont donc hors-normes, et peuvent faire des choses que nous ne pouvons pas faire seuls. Le gouvernement, ou des associations influentes sont derrière eux, et l’histoire sonne un peu surréaliste pour nous. Un jour, on se retrouvera peut-être devant le fait accompli pourtant …

Autre chose dans ce livre : le Consortium. Cela peut sembler naïf de ne jamais avoir penser qu’une telle organisation puisse exister, mais on ne vit pas dans le même monde, clairement ! Un protocole aussi strict est fait pour préserver l’association, mais c’est assez effrayant de se dire qu’ils ne savent peut-être pas ce que leurs clients font. On se rend compte ici de l’influence d’une organisation de cette ampleur, mais aussi des ficelles secrètes qui sont tirées chaque jour dans le monde. Tout cela semble énorme, et pourtant, pourquoi pas ?

La fin est une bombe : révélation sur révélation, tentative de sauver le monde, surprise après surprise. Je pensais savoir comment tout allait finir, et je me suis trompée du tout au tout ! Je ne m’attendais absolument pas à ça ! Encore une fois, on se rend compte que les gens ne sont pas tout noir ou tout blanc ; leurs actions sont guidées, soit par leur désespoir, soit par d’autres personnes qui les ont manipulées.

 

En définitive, un excellent thriller, riche en suspense, en surprises et en découvertes, mais aussi qui montre aux yeux des lecteurs un problème mondial effrayant.

Contes et entretiens de Diderot

Posté : 14 janvier, 2016 @ 3:19 dans Avis littéraires | 2 commentaires »

Contes et entretiens Genre : Classique

Editeur : GF

Année de sortie : 2013 

Nombre de pages : 200

Synopsis : Quel est le statut de l’individu dans le couple (Ceci n’est pas un conte) ? Le sage doit-il toujours respecter la loi (Entretien d’un père avec ses enfants) ? La morale peut-elle se passer de fondement religieux (Entretien d’un philosophe avec Madame la Maréchale de …) ? … Dans les récits brefs et piquants qu’il rédige entre 1768 et 1774, Diderot s’inspire d’anecdotes et de personnages réels pour interroger les mœurs de son temps et mettre à mal l’édifice vermoulu des conventions sociales. Faisant du conte un laboratoire de morale expérimentale, il aborde les questions du mariage, de l’infidélité, de la condition féminine, de la vertu ou encore de l’athéisme, et invite le lecteur à rassembler ces fragments d’histoires et de dialogues pour tenter de saisir la vérité toujours mouvante de l’humain.

 

Avis : Après Supplément au voyage de Bougainville, je devais lire Ceci n’est pas un conte et Madame de la Carlière pour un cours sur Diderot. J’ai préféré lire tout le livre, ne voyant pas l’intérêt de sauter des œuvres intéressantes, et au vu du nombre de pages !

Il est indéniable que toute l’intelligence de l’auteur est visible dans son œuvre. Ici, le recueil nous offre six contes ou entretiens qui vont aborder différentes questions plus ou moins polémiques à l’époque. Tous sont écrits sous forme de dialogue, et donnent même parfois lieu à des dialogues dans le dialogue. Je trouve cette forme très fluide, agréable à lire ; l’interaction donne une vie au récit, et le lecteur se sent concerné ; souvent, l’interlocuteur du narrateur pose les questions qui sont venues à l’esprit du lecteur. L’écriture de Diderot est agréable à lire, sans artifices, le but étant de faire comprendre les idées qui se cachent derrière les mots.

Le premier « conte » s’appelle Mystification : Diderot raconte comment il s’y est pris pour obtenir,  par la ruse, des objets dont une dame ne voulait pas se séparer. On se rend facilement compte de l’ingéniosité du procédé. La chute m’a fait rire, même si elle n’est pas drôle en soi : tout ça pour ça ?! Les deux amis de Bourbonne met en scène deux hommes, Félix et Olivier, qui s’aiment comme des frères, mais dont la vie va se jouer. Ici, l’auteur aborde le sujet de l’amitié, fidèle et sans failles, et défend Félix, malmené par son interlocuteur, qui ne voit en lui qu’un bon-à-rien. Cette histoire est touchante par le fait que, même si la vie est dure pour les deux hommes, leur amitié ne vacille pas. Elle n’a rien à voir avec ce que l’on appelle aujourd’hui « amitié ». Il n’y a pas de recherche d’intérêt, ni d’hypocrisie, pas de rivalités, ni de plaintes et de reproches. Les deux amis s’acceptent tels qu’ils sont, et acceptent les décisions de l’autre sans se plaindre. Entretien d’un père avec ses enfants présente un père malade qui raconte une de ses missions en tantqu’exécutant de la loi. Ici, Diderot nous expose ses convictions sur la justice, et l’humanité. Un homme sage est-il obligé de suivre la loi quand il la considère injuste ? La justice doit-elle toujours s’appliquer ? N’y-a-t-il pas en l’homme une conscience qui le régit mieux que les lois dans certaines situations ? En effet, l’homme doit d’abord se comporter comme un être humain avant de se comporter comme un homme de lois. J’ai vu il y a peu de temps le terme de casuistique en cours : j’ai eu l’impression que ce conte était fait exprès pour me faire comprendre cette notion ! Les lois sont comme la morale : elles sont très bonnes en théorie, mais une fois que l’on est confronté à la pratique, ce n’est plus la même histoire !

Ceci n’est pas un conte raconte deux histoires qui correspondent l’une à l’autre : celle de Tanié et de Madame Reymer, et celle de Mademoiselle de La Chaux et de Gardeuil. Deux des personnages vont se faire abuser par la personne qu’ils considèrent comme leur moitié, qu’ils aiment, et qui se sert d’eux pour obtenir tout ce qu’il peut avant de se débarrasser d’eux. Ainsi, Diderot interroge ici le rôle de l’individu dans le couple : doit-on totalement se sacrifier pour celui que l’on aime, au risque de tout faire à sa place et de se retrouver à la rue, misérable, alors que l’on possédait tout sans lui ? L’ingratitude de certains êtres est effrayante à voir : celui qui aime est prêt à se damner, quand l’autre ne fait que recevoir sans jamais donner. Cela débouche sur des issues fatales, et sur des destins brisés. Madame de la Carlière fait le portrait d’une femme, Madame de la Carlière, qui, après avoir souffert dans la vie, rencontre un homme qu’elle aime, et à qui elle demande de lui promettre de ne jamais la faire souffrir. Dès le début, l’accent est mis sur le fait que les gens aiment parler de faits divers dont ils ne savent rien, affabulant de toutes leurs forces sur une histoire qu’ils inventent en réalité, et qu’ils enlaidissent afin de cracher plus convenablement leur venin. Diderot se retrouve face à une de ses personnes et la remet à sa place en lui racontant l’histoire de Desroches, misérable et malheureux en raison d’une erreur que l’auteur qualifie de légère, et qui aurait pu lui être aisément pardonner, si celle qui se sentait offensée avait consenti à l’écouter et à lui laisser le bénéfice du doute. Pourtant, pas mal de gens aurait réagi comme elle, c’est ce qui brise la plupart des relations : le manque de confiance. On ne se dit pas tout, on apprend quelque chose, on n’en parle pas, jusqu’à ce que l’on explose, et que tout soit perdu. Le personnage de Madame de la Carlière, qui semble tout d’abord avoir raison, est présenté comme excessif : elle œuvre à son propre malheur et à celui des siens. Enfin, Entretien d’un philosophe avec Madame la Maréchale de *** traite de la religion et de l’athéisme. Diderot semble ici endosser le rôle de Socrate dans les dialogues de Platon et questionne la Maréchale sur la religion, l’amenant à dire des choses vraies, mais qu’elle ne tiendrait pas pour telles si elles lui étaient dites par quelqu’un. Ainsi, la morale chrétienne est remise en question, et les personnages se demandent si l’incrédulité n’est pas plus bénéfique que la religion. L’athéisme ne rend-t-il pas plus heureux, puisque l’on vit selon sa propre morale, qui n’est pas si éloignée de celle du chrétien, mais qui ne comporte pas ses menaces et ses restrictions ?Faut-il être chrétien pour être un honnête homme ? De plus, Diderot montre qu’il est impossible de ne pas fâcher le Dieu chrétien, car ses préceptes et restrictions nous empêcheraient de faire bon nombre de choses que nous faisons sans y penser, parce qu’elles sont naturelles. Ainsi, la loi religieuse et celle de la nature se contrediraient. Bien sûr, cette question de la religion se posait à l’époque parce qu’il était inconcevable que l’on ne croit pas en Dieu. Une réflexion de Diderot m’a semblé terriblement actuelle : au nom de la religion, on déclenche des guerres et l’on perpètre des carnages sans précédent.

 

En définitive, ces contes, chacun à leur manière, font réfléchir, donnent à penser, et peuvent faire voir la vie différemment.

Epreuves, exorcismes, 1940-1944 de Henri Michaux

Posté : 13 janvier, 2016 @ 10:08 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

Epreuves, exorcismesGenre : Poésie

Editeur : NRF Gallimard

Année de sortie : 1999

Nombre de pages : 108

Synopsis : «Il serait bien extraordinaire que des milliers d’événements qui surviennent chaque année résultât une harmonie parfaite. Il y en a toujours qui ne passent pas, et qu’on garde en soi, blessants. Une des choses à faire : l’exorcisme. Toute situation est dépendance et centaines de dépendances. Il serait inouï qu’il en résultât une satisfaction sans ombre ou qu’un homme pût, si actif fût-il, les combattre toutes efficacement, dans la réalité. Une des choses à faire : l’exorcisme. L’exorcisme, réaction en force, en attaque de bélier, est le véritable poème du prisonnier. Dans le lieu même de la souffrance et de l’idée fixe, on introduit une exaltation telle, une si magnifique violence, unies au martèlement des mots, que le mal progressivement dissous est remplacé par une boule aérienne et démoniaque – état merveilleux ! [...] Pour qui l’a compris, les poèmes du début de ce livre ne sont point précisément faits en haine de ceci, ou de cela, mais pour se délivrer d’emprises. La plupart des textes qui suivent sont en quelque sorte des exorcismes par ruse. Leur raison d’être : tenir en échec les puissances environnantes du monde hostile.» Henri Michaux.

 

Avis : J’avais un mauvais a priori sur ce livre : j’aime beaucoup la poésie versifiée, et j’ai parfois plus de mal avec la poésie en vers libre, parfois plus hermétique.

Ici, certes, certains poèmes peuvent paraître hermétiques, mais l’intensité des mots de Michaux reste la même. L’auteur exprime ici son dégoût de la guerre, ce qu’elle fait des hommes, la honte qu’elle leur fait ressentir, la mort qu’elle sème à chaque pas. Contre elle, le poète n’a que l’écriture, d’un style martelé, saccadé, qui nous donne l’impression de coups donnés verbalement. Parfois, ce sont des sentences que l’on lit, et parfois des supplications. De multiples émotions sont transmises par les mots : la colère, la tristesse, la résignation, le désespoir. L’hermétisme que l’on peut trouver ici est dû au fait que Michaux ne dit jamais les choses directement, mais passe par des images, qui, si elles ne sont pas comprises par le lecteur, ne lui offrent pas la clé du poème. Des figures sont utilisées, comme Lazare, mais aussi des images, comme celle du tunnel. Ces poèmes relatent des épreuves, et cela se sent : la souffrance et la douleur sont toujours présentes, même en arrière-fond, même de manière sous-jacente. Ce peut être celle du sujet lyrique, d’un je donc, ou d’autres personnes dont le je parle, qu’il a vues, pour lesquelles il souffre parce qu’il n’a rien pu faire. Les exorcismes eux aussi sont « lisibles » : le sujet lyrique veut conjurer la guerre, veut la mettre à distance, s’en débarrasser par l’écriture. Les mots sur le papier sont une façon de se défendre, de survivre à la guerre, mais aussi de la faire voir aux lecteurs, de faire comprendre ce que c’est que de vivre la guerre. L’espérance est tout de même présente à petites doses, même si la foi en l’humanité est ébranlée sans retour.

Petit bémol, qui n’a rien à voir avec l’œuvre en elle-même : les éditions NRF sont assez chères, et pourtant, les premières cinquante pages de mon édition sont décollées. Petite déception.

 

En définitive, un recueil qui se propose d’exorciser la guerre à travers des poèmes plus ou moins hermétiques, mais qui font ressentir aux lecteurs la souffrance, la honte, le dégoût de l’auteur pour cette période noire de l’humanité.

Bucoliques de Catherine Messy

Posté : 11 janvier, 2016 @ 10:16 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

Bucoliques Genre : Poésie

Editeur : Editions Hélène Jacob

Année de sortie : 2014

Nombre de pages : 46 (eBook)

Synopsis : Il m’est venu l’idée d’écrire des poèmes pour illustrer quelques-unes des œuvres d’art (peintures-sculptures) que j’essaie de faire naître dans mon quotidien. Ou bien les œuvres ont-elles été le déclencheur de mes petits écrits ? Cela importe peu. Mais ces poèmes en ont entraîné d’autres que j’ai eu envie de regrouper sous le titre « Bucoliques », tous s’inspirant, dans ce recueil, de la nature.

 

Avis : Je remercie d’abord la collaboratrice des éditions Hélène Jacob qui m’a contacté afin que je lise deux recueils de poésie de Catherine Messy. Celui-ci est donc le premier.

La couverture, une peinture de l’auteure elle-même, donne tout de suite une impression de mélancolie, qui se dégage effectivement de certains poèmes. On sent que l’hiver prendra une grande place dans un recueil qui traite de la nature. Ainsi, celle-ci est abordée à travers différents éléments : la lune, la nuit, le printemps, la mort de la nature quand vient l’hiver, ce qu’un humain peut imaginer quand il regarde la nature. Cette diversité est une des forces du recueil : il ne se concentre pas que sur un seul aspect du sujet traité, mais le rend de différentes façons.

Les vers composés ici ne sont pas des vers classiques : l’auteure prend des libertés sur les rimes, ainsi que sur la métrique et sur la forme du poème. Elle est ainsi plus proche du vers libre. J’avoue que je préfère les poèmes qui comportent des rimes, ou des résonances dans les sonorités ; c’est le cas pour certains de ceux écrits par l’auteur : ils m’ont particulièrement touché. Ce genre de vers, par les sons, éveille quelque chose chez le lecteur, une émotion qui ne s’explique pas. C’est le cas notamment dans « Valse nocture », « Lune mouillée » et « Belle de Nuit ».

Les peintures qui accompagnent certains poèmes ne sont pas simplement là pour le plaisir d’ajouter quelque chose, mais font prendre sens à la lecture ; certaines sont également touchantes.

 

En définitive, un bon premier recueil, qui éveille l’intérêt et l’émotion du lecteur.

Supplément au voyage de Bougainville de Diderot

Posté : 11 janvier, 2016 @ 7:50 dans Avis littéraires, Coup de cœur | Pas de commentaires »

Supplément au voyage de BougainvilleGenre : Essai, Classique

Editeur : Folio

Année de sortie : 2015

Nombre de pages : 95

Synopsis : Les Tahitiennes sont fières de montrer leur gorge, d’exciter les désirs, de provoquer les hommes à l’amour. Elles s’offrent sans fausse pudeur aux marins européens qui débarquent d’un long périple. Dans les marges du récit que Bougainville a donné de son voyage, Diderot imagine une société en paix avec la nature, en accord avec elle-même. Mais l’arrivée des Européens avec leurs maladies physiques et surtout morales ne signifie-t-elle pas la fin de cette vie heureuse ? Entre l’information fournie par Bougainville et l’invention, Diderot fait dialoguer deux mondes, mais il fait surtout dialoguer l’Europe avec elle-même. Il nous force à nous interroger sur notre morale sexuelle, sur nos principes de vie, sur le colonialisme sous toutes ses formes. Il nous invite à rêver avec lui à un paradis d’amours impudiques et innocentes. La petite île polynésienne ne représente-t-elle pas la résistance à toutes les normalisations ?

 

Avis : En voyant que j’allais étudier ce livre, j’ai eu un mauvais a priori et je pensais m’ennuyer à sa lecture.

Je me trompais ! Je ne m’attendais à un tel choc des civilisations ; car c’est bien ce que fait Diderot ici. Il prend l’Europe, le vieux monde qui se croit dominant et le plus civilisé, et il le confronte à Otaïti, Tahiti en réalité, faisant parler deux de ses membres pour montrer à quel point ils sont différents de nous, à notre détriment ! Là où les Européens se pensent plus civilisés parce qu’ils ont des lois et des mœurs religieuses et sociales, ils se retrouvent en face de leurs propres contradictions quand ils sont interrogés par les Otaïtiens, ne sachant comment leur faire comprendre leur morale. Ce qu’écrit Diderot est révolutionnaire, avant-gardiste pour son époque : ils veulent faire ouvrir les yeux aux Européens engoncés dans leurs préjugés, leur montrer qu’ils ne sont pas les meilleurs, qu’ils ne sont pas supérieurs, mais que, peut-être, leurs vices, leurs crimes et leur bêtise les placent à un rang inférieur de ceux qu’ils jugent comme des sauvages.   

Evidemment, même si l’on reconnaît l’intelligence et l’évidence des remarques des deux Otaïtiens, cela ne veut pas dire que l’on va vivre comme eux à notre tour. Diderot l’évoque à la fin de son essai : « Disons nous à nous-mêmes, crions incessamment qu’on a attaché la honte, le châtiment et l’ignominie à des actions innocentes en elles-mêmes, mais ne les commettons pas, parce que la honte, le châtiment et l’ignominie sont les plus grands de tous les maux. » Malgré le fait qu’il sache que les actions dont il parle ne sont pas immorales, il faut vivre avec son temps, et dans son temps, et donc respecter les mœurs de celui-ci. De plus, l’éducation que nous avons reçue nous empêche de concevoir certaines pratiques présentées dans le livre comme pouvant être les nôtres un jour, notamment les pratiques sexuelles ; A le dit bien quand il déclare qu’il est difficile de revenir sur ses mœurs, qui finissent par être ancrées en nous. Il faut des années pour s’en défaire.

L’auteur évoque également la religion dans son essai, montrant qu’elle est anti-naturelle et qu’elle corrompt les hommes « naturels » en leur imposant des lois difficiles à respecter. Il l’oppose à la nature, mais également à la société : ainsi l’homme se voit dicter sa conduite, et ne parvient jamais à faire coïncider les trois lois. La religion, au lieu de sembler pure, est ici corruptrice, ainsi que la justice : par les lois qu’elles formulent, elles proposent par-là même la transgression de cette loi, alors qu’elle ne serait pas venue dans la tête des hommes sans son opposé !

Les passages sur le fait d’avoir des enfants montrent à quel point cet événement est important, et à quel point les hommes en viennent à le mépriser. L’exemple de Polly Baker est parlant : parce que ses enfants sont hors-mariage, elle est méprisée, ainsi qu’eux, alors que la religion ne semble pas les condamner. Les hommes s’octroient ainsi le pouvoir des cieux et se permettent de juger des crimes qui ne sont pas de leur ressort ; il en est de même quand cela concerne les « sauvages » : ils se considèrent comme supérieurs et ont donc droit de vie et de mort sur eux. Ils ne comprennent pas leurs pratiques, se pensent adulés et donc se permettent de les mépriser, quand ils ne font que se servir d’eux.

Malgré cette liberté visible chez les « sauvages », et après réflexion et analyse, on peut pourtant se rendre compte qu’ils ne sont pas tout à fait libres. Leurs mœurs ne sont peut-être pas les nôtres, mais ils en possèdent tout de même, et elles sont assez contraignantes : tous doivent obligatoirement participer à l’acte sexuel, et faire des enfants. Les femmes semblent donc bien moins libres que les hommes, et même ceux-ci sont obligés de concevoir. Ceux qui n’en sont pas capables sont écartés de la vie en société. Cette liberté est donc relative, et ressemble assez à un petit enfer totalitaire.  

Il y a encore quantité de choses à dire sur ce livre, mais un article n’y suffirait pas. Ainsi, Diderot montre que l’autre n’est pas forcément inférieur, qu’il est même supérieur parce qu’il est resté naturel et ne se préoccupe pas de lois et de morales qui ne feraient que le rendre malheureux ; cela ne veut pas dire qu’il faut vivre comme le « sauvage », qui a lui aussi des contraintes importantes. Selon l’essai, l’homme européen, civilisé, est malheureux et aigri, il ne goûte pas le plaisir de la vie, mais passe à côté de celle-ci en pensant que tout est normal, quant le Tahitien vit, semble-t-il, comme bon lui semble, tout en étant lui aussi enchaîné par une morale.

 

En définitive, un excellent essai, qui vaut vraiment le coup d’être lu, et qui montre la bêtise des hommes qui se croient supérieurs aux autres parce que ces derniers sont différents.

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