Redbluemoon

I found myself in Wonderland.

Archive pour décembre, 2015

Confession d’un masque de Yukio Mishima

Posté : 18 décembre, 2015 @ 10:55 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

Confession d'un masque Genre : Contemporaine

Editeur : Folio

Année de sortie : 1984

Nombre de pages : 247

Synopsis : Dans ce roman aux résonances autobiographiques, Mishima a peint un personnage qui se bat continuellement contre ses penchants homosexuels. Il cherche à les dissimuler aux autres et à lui-même. Le récit de son amour pour la sœur d’un de ses camarades nous conduit, à travers les années d’enfance et d’adolescence, vers un dénouement désespéré.

 

Avis : J’étais intriguée par ce livre, à la fois par son titre et par sa couverture. Le synopsis présageait un roman d’apprentissage fait dans la douleur et la solitude.

Le lecteur plonge ici dans la vie du narrateur – apparemment assez proche de celle de l’auteur lui-même – en partant d’une anecdote qui le rend déjà différent des autres, enfant. Il explique par la suite comment il a été éduqué : par sa grand-mère, qui ne voulait pas laisser l’enfant à ses parents. Déjà, son enfance est spéciale. Le livre étant divisé en quatre parties, elle est racontée dans une première partie, assez petite comparée aux autres. Par la suite, l’enfant grandit et commence à se découvrir : le roman d’apprentissage commence. Peu à peu, les désirs de l’enfant, puis de l’adolescent s’éveillent, mais ils ne semblent pas « normaux » comparés à ceux de ses amis. Dans tout le livre, jamais le mot  »homosexualité » n’est mentionné. Le narrateur ne parle que de ses  »mauvaises habitudes », et de ce qu’il voit dans ses moments-là. Au début, rien de choquant : il pense à des hommes, et ne ressent aucun désir pour les femmes. C’est par la suite que j’ai commencé à me sentir mal : la sexualité du narrateur est liée à la mort, au sang, à la souffrance, à la torture. Il n’imagine que des scènes de ce genre. J’ai trouvé ça très malsain, pervers, et j’ai vraiment eu du mal avec ces scènes : elles m’ont choqué. J’ai du mal à accepter le fait qu’on veuille faire du mal à ceux qui nous attirent, ou à ceux qu’on aime. Le narrateur se rend d’ailleurs compte que c’est immoral, mais il n’y peut rien : il pense de cette façon, un point c’est tout. A partir de ces scènes, la lecture est devenue difficile. De plus, le narrateur veut se convaincre qu’il est normal, et tente de tomber amoureux de la sœur d’un de ses amis : les scènes où il parle de ce qu’il ressent m’ont vraiment fait mal … Concernant l’écriture, il est indéniablement qu’elle est excellente, poétique parfois, toujours dans la réflexion et le besoin de mettre des mots sur ce que l’on ressent.

Le narrateur – dont on ne connaît pas le nom – est un jeune homme perdu qui veut se convaincre qu’il est normal, et veut même s’obliger à l’être. Il a compris, enfant, que ses désirs n’étaient pas comme ceux des autres, et qu’il était attiré par les hommes. Les femmes n’exercent sur lui aucune attraction, même s’il en trouve certaines très belles, ou qu’il pense être amoureux parfois. Son désir le porte vers les hommes, et même, vers des hommes très différents de lui. Le premier qui l’attire va engendrer une attraction vers le même type d’homme toute sa vie. Le langage du narrateur n’est jamais cru, jamais choquant, et ne va jamais dans le détail. Sa famille m’a semblé assez spéciale : sa grand-mère exige de l’éduquer et l’obtient sans protestation de la part de ses parents. Il mène donc une vie solitaire, excepté quand il est à l’école, auprès de ses amis. Sonoko est la jeune fille dont il va tenter de tomber amoureux : il se force à ressentir des choses, et ses efforts m’ont fait mal au cœur. Il va tellement loin dans ses déclarations, qu’il se voit piégé. Sonoko est charmante, pure, elle ne sait rien de ce que ressent vraiment le narrateur. Elle le voit comme tout garçon « normal », et pense qu’il l’aime vraiment. J’ai trouvé les scènes qui la concernaient assez cruelles, même si ce n’était pas l’intention du narrateur. Elle croit véritablement à son amour, et se leurre sans s’en rendre compte. D’autres personnages apparaissent ici, comme Omi, un jeune homme plus âgé que le narrateur dans son école, qui se révèle important dans ce qu’il découvre sur lui-même, Kusano, le frère de Sonoko, parti à la guerre, et qui va demander au jeune garçon de préciser ses sentiments pour sa sœur et va refermer le piège sur lui.

Le contexte de l’histoire est celui de la Seconde Guerre mondiale : le narrateur est ainsi obsédé par le fait qu’il peut mourir à tout instant, explosé par une bombe largué par un avion ennemi, ou au front, héroïquement. Pour lui, il va mourir jeune, et surtout, seul. L’idée qu’il se fait de la mort est assez contraire à la nôtre habituellement : elle n’est pas grave, inévitable. Il en parle parfois comme s’il l’attendait. La réflexion qu’il se fait sur elle à la fin de la guerre m’a consternée : il va devoir vivre.

Le narrateur, tout le long du livre, cherche à cacher sa véritable identité, ses désirs, qui il est vraiment derrière un masque, d’où le titre de l’œuvre. Jamais personne ne le connaît vraiment, si ce n’est le lecteur. Il cherche même à s’abuser lui-même en tentant de faire adhérer ce qu’il est à son masque. Il veut absolument être « normal », il veut tomber amoureux d’une femme, se marier, connaître ce que les autres connaissent. Sa douleur, son mal-être, sa solitude aussi, sont exprimés par ses obligations qu’il se fixe, et par son échec, à chaque tentative. On ne peut se forcer à être quelqu’un que l’on n’est pas, à moins de renoncer au malheur et d’accepter la douleur d’une existence mensongère.

La fin m’a semblé sonner la fin du masque, mais de manière implicite. A partir des scènes choquantes, jusque là, je peux dire que je me suis sentie très mal, et que j’étais donc soulagée quand est arrivée la fin !

 

En définitive, un roman à l’écriture excellente, qui porte une réflexion sur le fait de cacher sa véritable personnalité, mais que je n’ai pas su apprécier en raison des scènes imaginées par le narrateur.

Une femme aimée d’Andreï Makine

Posté : 14 décembre, 2015 @ 1:32 dans Avis littéraires | Pas de commentaires »

Une femme aimée Genre : Contemporaine, Historique

Editeur : Points

Année de sortie : 2014

Nombre de pages : 363

Synopsis : Oleg Erdmann, cinéaste, voue une passion à Catherine II de Russie. Héroïne de son film, l’impératrice offre de multiples visages : cruelle nymphomane, tsarine républicaine, séductrice des philosophes … De son premier amour brisé à un incroyable voyage secret en Europe, Oleg traque la vérité de la Grande Catherine. Sous le vernis de l’histoire, il découvre le drame d’une femme qui ne cherchait qu’à aimer. « Le vrai mal de ma vie, c’est que mon cœur ne peut vivre un seul instant sans aimer … »

 

Avis : Avec le synopsis, je m’attendais à en apprendre pas mal sur Catherine II de Russie, et sur sa vie, mais d’une façon originale, étant donné qu’elle est vue à travers les yeux d’un homme qu’elle fascine.

Je n’ai pas du tout été déçue sur ce point ! Le personnage principal, Oleg Erdmann, évoque souvent la vision stéréotypée que les historiens, ou les hommes en général, ont de la Grande Catherine ; lui la voit de façon beaucoup plus intime. Sous les couches de débauche et de vice, il tente de voir une autre femme, une femme qui correspond à cette phrase qu’elle écrivit : « Le vrai mal de ma vie, c’est que mon cœur ne peut vivre un seul instant sans aimer … » J’avoue que je ne connaissais Catherine II que de nom, je ne savais pas grand-chose d’elle, excepté que c’était une monarque éclairée. J’en ai donc appris beaucoup ici, à la fois sur l’Histoire, mais aussi sur la reine en elle-même, sur sa façon de vivre, de gouverner. Le côté sexuel de la vie de l’impératrice est mis en avant ; selon le personnage principal, ce n’est que ce que l’on retient de Catherine II : son nombre très élevé d’amants, le fait qu’elle en changeait dès qu’elle n’en avait plus, son alcôve, son amour de midinette. Il évoque même l’épisode d’un accouplement avec un cheval, anecdote mensongère qui visait à montrer la perversité de l’impératrice, et son besoin charnel, soi disant parce qu’elle ne pouvait plus se contenter de ses amants. Cela montre simplement que les femmes, même à un rang aussi élevé que l’impératrice, ne peuvent pas se comporter comme les hommes sans être considérées comme des nymphomanes et des catins. A la même époque, Louis XV rendait régulièrement visite à sa maison des Cerfs. Un passage du livre traite de la façon « genré » de voir la sexualité : « dites-moi, que signifie le mot « courtisan » ? _Euh … c’est un homme de cour … _Et une « courtisane » ? _Disons, une femme aux mœurs … légères. _Une pute quoi. [...] Un « homme public » est une célébrité et une « femme publique » est fatalement une salope … La langue trahit toujours les lois de ce monde. » Ainsi, le comportement de la Grande Catherine scandalise les historiens qui racontent sa vie en mettant en évidence le fait qu’elle avait toujours besoin de relations charnelles ; pas un épisode de sa vie n’échappe à cette lecture. Oleg, quant à lui, voit autre chose en Catherine et voudrait la réhabiliter, montrer une autre facette de sa vie, et pas tourner un énième film pornographique sur elle.

Dans ce livre, deux histoires nous sont contées en parallèle : celle de l’impératrice, et celle d’Oleg. La première est fouillée, les événements sont mentionnés plusieurs fois avec des variantes, certains épisodes sont présentés comme vrais, puis faux ; derrière ce que l’on croit savoir, se cache sans doute quelque chose de plus profond, le désir d’être aimé, et de vivre différemment avec l’être choisi. La seconde se fait en filigrane, comme si l’histoire de Catherine l’entraînait. Le personnage semble se chercher, et veut se comprendre en comprenant la vie de l’impératrice. C’est une sorte de quête identitaire, durant laquelle Oleg va rencontrer de nombreuses personnes, va tenter de révéler la vérité, et va se retrouver en face de sa propre vie. Ainsi, les deux histoires sont liées et avancent de concert, ou stagnent ensemble. J’ai vu un étrange parallèle entre elles à la fin, consommant le rapprochement de Catherine et Oleg.

L’écriture est assez poétique, surtout dans ses évocations de neige, de paysage hivernal, et d’un amour caché dans le cœur de la Grande Catherine ; mais elle m’a aussi semblé assez répétitive : certains événements sont cités plusieurs fois, parfois sans nuances, ce qui donne une impression de lourdeur au récit. Parfois, d’un chapitre à l’autre, ce qui est dit est répété sans que le besoin s’en fasse sentir. J’ai trouvé cela un peu dommage ; malgré cela, le livre se lit très vite, et le lecteur est happé par l’Histoire, comme par l’histoire.

Oleg, le personnage principal, est un Allemand-Russe : sa famille a immigré en Russie au moment du règne de Catherine, elle aussi d’origine allemande. L’homme est obsédé par la reine : il sait que le nombre de ses amants, que l’alcôve, que son besoin d’être aimée sont réels ; mais il sent que quelque chose se cache derrière ce vernis disgracieux de l’Histoire. Il veut montrer une autre face de l’impératrice, montrer qu’elle n’était pas que cruelle et nymphomane, qu’elle avait un cœur. Lui aussi cherche son propre cœur, malmené au fil de l’œuvre par des femmes, par des souvenirs, par des lacunes de sa mémoire qu’il veut remplir. Il tente de se faire une place dans le cinéma à travers une histoire nouvelle, qui ouvrira les yeux des Russes, mais son échec est retentissant tout le long du livre. La société ne s’intéresse qu’à ce qui est prévalent : si le sexe l’est, elle se fiche de voir l’humanité d’une reine en mal d’amour. Catherine est ainsi présente de façon assez ambivalente ici. Tantôt, cruelle, sans cœur, à l’appétit sexuel vorace ; tantôt une femme, qui regarde la neige tomber en se demandant quand l’amour viendra. Ce peut passer pour une version assez mièvre de la reine, mais le second versant de sa vie ne l’étant pas, l’hypothèse est plausible. J’ai été choquée par certains actes qui lui sont imputés : le viol d’une jeune mariée devant son mari juste après leur mariage, la préméditation du meurtre de son mari, défiguré et humilié, l’épisode de la Pologne … Les images d’elle enfant semblent douces, mais le contraste est tellement frappant avec sa vie d’adulte que l’on se demande si l’on parle de la même personne. En tout cas, je dois avouer que j’ai été fascinée par cette femme : elle fait ce qu’elle veut, s’en cache sans s’en cacher, règne en Russie, et même, tente de redresser son pays et de promouvoir les Lumières. Le fait de se centrer sur sa vie sexuelle éclipse ses autres actes, sans doute plus intéressants que de folles étreintes avec d’innombrables hommes. Le lecteur se trouve ici entre Histoire et fiction, et ne saura sans doute jamais ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas : c’est la loi de l’Histoire. Il ne peut que se faire son propre avis, ou décider de croire Catherine dans ses Mémoires. D’autres personnages sont présents dans cette œuvre, comme Lessia, que j’ai détesté par son snobisme et son opportunisme, Dina, qu’il est difficile de juger étant la vie qu’elle a eu auparavant, Eva, que j’ai appréciée, qui m’a semblé être une réincarnation de Catherine pour Oleg, Lourié et Sergueï, auxquels je me suis attachée, Zoïa, qui fait une petite apparition très remarquée, Kozine et Jourbine, qui tentent de gagner leur vie en se pliant aux lois du marché.

La fin m’a semblé faire la conjonction entre les deux histoires, celle de Catherine, et celle d’Oleg. C’est une véritable fin pour les personnages, peut-être moins pour le lecteur, qui aurait aimé savoir si l’entreprise mentionnée serait couronnée de succès ou non.

 

En définitive, un bon roman, qui m’a fait découvrir la Grande Catherine, et un auteur à l’écriture agréable.

Vies Minuscules de Pierre Michon

Posté : 11 décembre, 2015 @ 10:09 dans Avis littéraires | 2 commentaires »

Vies Minuscules Genre : Nouvelle

Editeur : Folio

Année de sortie : 2004

Nombre de pages : 249

Synopsis : « Il a caressé des petits serpents très doux ; il parlait toujours. Le mégot brûlait son doigt ; il a pris sa dernière bouffée. Le premier soleil l’a frappé, il a chancelé, s’est retenu à des robes fauves, des poignées de menthe ; il s’est souvenu de chairs de femmes, de regards d’enfants, du délire des innocents : tout cela parlait dans le chant des oiseaux ; il est tombé à genoux dans la bouleversante signifiance du Verbe universel. Il a relevé la tête, a remercié Quelqu’un, tout a pris sens, il est retombé mort.

 

Avis :  J’avais un petit a priori sur ce livre, qui m’a été prêté. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, et la couverture, assez austère, ne me donnait pas vraiment envie.

J’ai été assez surprise d’apprécier ce livre. Tout d’abord, l’écriture est assez dense, et il est facile de se perdre entre le début et la fin des phrases tellement elles sont longues : j’avais un peu l’impression de retrouver Proust, mais avec un style d’écriture assez différent. L’auteur joue beaucoup avec la syntaxe de la phrase, il réalise des inversions entre le sujet et le complément par exemple, ce qui est assez surprenant dans le cours normal de la lecture : il m’a souvent fallu reprendre la phrase pour la comprendre. Parfois aussi, il joue avec les mots, qui peuvent correspondre à plusieurs autres dans la phrase. Le vocabulaire est également riche et complexe : je ne connaissais pas certains mots, ce qui ne gêne pas vraiment la lecture, mais qui est assez surprenant. Enfin, l’écriture est parfois poétique, et touche la corde sensible du lecteur.

Concernant l’histoire, l’auteur nous livre ici des nouvelles qui correspondent aux vies de différents personnages. J’ai été surprise de constater un lien entre toutes ces vies, que je pensais sans rapport. Il m’a semblé que le narrateur changeait d’histoire en histoire, puisque, dans la « Vie d’André Dufourneau », nous avons affaire à une narratrice, alors que dans toutes les autres, le narrateur est un garçon ou un homme. J’ai remarqué un paradoxe dans toutes ces vies minuscules : le personnage / narrateur ne peut écrire, et raconte avec douleur la difficulté de trouver les mots, de toucher la Grâce du Verbe ; et pourtant, nous avons sous les yeux la preuve que cette difficulté a été dépassée. C’est aussi une incohérence totale par rapport au milieu duquel viennent les personnages : ils sont paysans, et utilisent des mots savants, ou des tournures de phrases alambiquées. J’ai ainsi trouvé que l’écriture ne coïncidait pas du tout avec ce qui était raconté, ce que je trouve un peu dommage peut-être : ç’aurait été plus naturel de faire  »parler » les personnages comme il devait le faire normalement. La présence de l’auteur est perceptible derrière les narrateurs à travers cette écriture.  

Les vies que nous racontent les narrateurs vont toujours de la rencontre entre eux et le personnage dont il parle, jusqu’à la mort de ce dernier. Ainsi, le lecteur s’attend à une fresque complète, une vraie vie condensée dans un petit récit. Les liens sont différents selon les nouvelles : certains sont parents, d’autres juste amis, ou même simples connaissances. L’auteur m’a semblé encore perceptible parfois derrière ses personnages : la narration est parfois à la limite de l’omniscience et se rattrape avec un « peut-être », « ou », « semble-t-il ». Les vies racontées sont souvent touchantes : la misère qui accable certains personnages les maintient entre ses griffes, ou les pousse à partir pour un horizon incertain, et souvent pour ne jamais revenir. D’autres connaissent la difficulté de créer, d’écrire, d’aimer, et de vivre, et finissent par dériver, par se débaucher. D’autres encore semblent promis à de beaux avenirs, réduits en cendres par le temps, ou leur incapacité à profiter de leurs talents ; ces deux remarques valent à la fois pour les narrateurs et les personnages dont ils racontent l’histoire.

Huit personnages se voient offrir leur vie à la lecture ici : André Dufourneau, homme absent érigé en mythe, et que la narratrice ne connaît qu’à travers les dires d’Elise – personnage qui apparaît dans la majorité des nouvelles -, homme qui pensait réussir sa vie ailleurs, et qui mentait pour préserver les apparences d’une vie rêvée ; Antoine Peluchet, mythe lui aussi puisque le dernier héritier des Peluchet, dont le narrateur se sent très proche, tellement que ç’en devient presque surnaturel ; à travers lui, c’est sa famille entière que l’on découvre, et notamment son père, trop fier, trop dur, qui regrettera toute sa vie l’erreur qu’il a faite un jour, et qui lui fera tout perdre, sauf peut-être l’espoir, s’étiolant tout de même au fil des années ; Eugène et Clara, grands-parents aimants, et peu à peu oubliés, qui font mal au cœur, pitié, que l’on aimerait aimer mieux tout en étant impuissants ; deux personnages aux caractères opposés, mais ainsi complémentaires, un homme faible et pleurnichard, une femme forte et qui sait bien parler ; cela peut aussi nous faire réfléchir sur la façon que nous avons nous-mêmes de traiter nos grands-parents ! ; les frères Bakroot, sans doute ma nouvelle préférée dans ce recueil ; elle raconte la vie de deux frères, Roland et Rémi, qui se détestent comme jamais je n’ai vu des frères se détester ; c’est en réalité, leur façon de s’aimer, et de se faire remarquer l’un de l’autre ; ils sont en conflit permanent, et sont l’opposé l’un de l’autre : le premier est très intellectuel, se perd dans les livres et est ami avec un de ses professeurs qui lui prêtent des livres et avec qui il a de longues conversations, quand le second s’intéresse aux filles, exècre tout ce que son frère aime, lui fait les pires vacheries qui existent, peut-être sans se rendre compte parfois de la portée de ses actes ; la fin est assez émouvante ; le père Foucault, un vieillard dans un hôpital qui refuse de se faire soigner sans que personne ne comprenne pourquoi ; la raison va vraiment fait mal au cœur, et montre toute la dignité du personnage ; il n’a pas de famille et se raccroche quelques temps au narrateur et à Marianne, tout en sachant qu’il finira sa vie seul ; Georges Bandy, personnage assez surprenant dans le contraste entre la façon dont il se comportait jeune, et sa façon d’être lorsque le narrateur le retrouve ; il est abbé, mais pas tout à fait porté exclusivement sur la religion ; il est jeune, beau, motard (assez surprenant pour un religieux !) et fascine ceux qui assistent à son prêche ; le contraste avec le présent de la nouvelle fait mal au cœur : tout a changé pour lui, et sa mort est surprenante : elle semble douce, il la voit venir, elle passe très vite ; Claudette, une des trois femmes directement concernées par une nouvelle ; elle s’entiche du narrateur en le pensant travailleur et en devenir ; amoureuse, elle l’héberge ; elle semble gentille, accueillante et joyeuse ; la petite morte, qui m’a étrangement refait penser à la première nouvelle ; ici le narrateur nous parle de sa grande sœur, morte quand elle était encore un bébé, avant sa naissance ; il semble son poids dans sa vie et dans la façon qu’ont ses proches de lui parler d’elle. Le lecteur rencontre d’autres personnages au cours des nouvelles comme Elise, que j’ai beaucoup appréciée et qui semble toujours une douce présence en arrière-fond ; Félix, un peu effacé, mais tout de même présent, un homme viril comparé à Eugène ; Marianne, qui apparaît dans les dernières nouvelles, femme malmenée et qui reste par amour.

A la fin de la dernière nouvelle, l’auteur les reprend toutes dans une sorte de conclusion, ce qui remet en cause le fait que le narrateur soit différent à chaque fois.

 

En définitive, un bon recueil de nouvelles que j’ai aimé découvrir, malgré l’incohérence soulevée, et une écriture très dense.

Blind Willow, Sleeping Woman de Haruki Murakami

Posté : 7 décembre, 2015 @ 3:46 dans Avis littéraires | 2 commentaires »

Blind Willow Sleeping Woman Genre : Nouvelle, Contemporaine

Editeur : Vintage Books

Année de sortie : 2007

Nombre de pages : 436

Synopsis : Here are animated crows, a criminal monkey, an ice man, as well as the dreams that shape us and the things we might wish for. Whether in a chance reunion in Italy, a romantic exile in Greece, a holiday in Hawaii or in the grip of everyday life, Murakami’s characters confront loss, or sexuality, or the glow of a firefly, or the impossible distance between those who ought to be closest of all. Following the success of Kafka on the Shore comes a collection that gives full rein to Murakami’s inventive mastery. From the surreal to the mundane, these stories exhibit his ability to transform the full range of the human experience in ways that are instructive, surprising and relentlessly entertaining.

 

Avis : J’ai lu il y a peu de temps un premier livre de Murakami, La fin des temps, que j’avais aimé, mais qui m’avait vraiment semblé trop étrange pour être un coup de cœur. J’ai voulu vite retenter l’expérience, cette fois-ci avec un recueil de nouvelles dont j’ai entendu beaucoup de bien.

Généralement, j’aime beaucoup les nouvelles. Courtes, claires, sans lacunes dans le style d’écriture et dans l’action du texte, elles sont souvent très percutantes, et comportent normalement une « vraie » fin. C’est également le cas ici chez Murakami. Les histoires racontées sont frappantes, très différentes les unes des autres, toutes profondes et assez tristes. Elles reflètent la vie tout en lui ajoutant des penchants fantastiques. Ce recueil n’est pas un coup de cœur, mais il n’en est pas loin. Les nouvelles provoquent toujours une émotion vive une fois qu’elles sont terminées : un choc, une incompréhension, une révélation. Il n’y a qu’une seule fin qui m’a laissé perplexe, celle de « New York Mining Disaster ». L’écriture quant à elle, est prenante, elle emmène le lecteur dans le monde de l’auteur, elle est parfois poétique, mais aussi impliquée dans la réalité, comme quand l’auteur nous dit qu’une nouvelle est directement reliée à sa propre vie. J’ai préféré « Birthday Girl », « The Mirror », « A Folklore for My Generation: A Prehistory of Late-Stage Capitalism », « The Seventh Man », « The Ice Man », « Chance Traveller » et « Where I’m Likely to Find it » aux autres nouvelles. Les thèmes principaux m’ont semblé être la perte, la mort, le deuil, mais aussi la capacité de se relever après avoir perdu un être cher.

« Blind Willow Sleeping Woman » est la première histoire du recueil. On y découvre un jeune homme qui emmène son cousin à l’hôpital ; pendant le trajet, puis, pendant qu’il l’attend, il repense à un de ses amis, à sa petite amie, et à l’histoire qu’elle racontait à propos d’une femme endormie, et des saules-pleureur qui causaient ce sommeil. La mort est présente dans cette nouvelle grâce à l’histoire, mais aussi plus directement. Le narrateur ressent toujours un sentiment de perte, accentué par le fait qu’il se trouve dans un hôpital et que sa vie ne semble pas prendre la direction qu’il voulait lui voir prendre. Derrière la poésie de la nouvelle se cache l’horreur de la mort, mais peut-être aussi celle de la métaphore de la vie vue par le narrateur. J’ai beaucoup aimé « Birthday Girl« , l’histoire des 20 ans d’une jeune fille qui doit travailler ce jour-là et va rencontrer son patron pour la première fois. Ce qui lui arrive semble irréel, et, pendant un moment, le lecteur peut avoir envie d’être à sa place ; mais le choix de la jeune fille est surprenant. La fin l’est également : elle peut être interprétée de différentes façons, et j’ai été très surprise par ce que j’en ai compris ! C’était une vraie nouvelle dont la fin est une chute inattendue qui laisse le lecteur scotché ! « New York Mining Disaster » m’a semblé assez triste, dans la mesure où les morts s’enchaînent sans cesse. L’ironie de la situation du narrateur est grinçante. En revanche, j’avoue que je n’ai pas compris le rapport entre l’histoire et la fin de la nouvelle … « Aeroplane: Or How He Talked to Himself as If Reciting Poetry » présente deux personnages dont l’un récite une sorte de poème dès qu’il est seul. L’autre veut lui en parler, ce qui donne la nouvelle. Elle semble évoquer le besoin d’évasion, et le malheur du second personnage entre en résonance avec ce besoin. Ce poème donne lui donne aussi l’occasion de parler au premier personnage, de lui révéler quelque chose sur sa vie. « The Mirror » m’a fait penser à une nouvelle fantastique de Maupassant ou de Poe ; j’ai eu peur en la lisant ! Le fantastique est distillé de façon à terrifier à la fois le personnage et le lecteur, qui se sent emporté dans l’histoire contre son gré, et se met à regarder les miroirs différemment. Dans « A Folklore for My Generation: A Prehistory of Late-Stage Capitalism« , l’auteur lui-même s’implique dans sa nouvelle, ainsi que sa génération en général, pour montrer une espèce de syndrome qui les frappent tous. J’ai beaucoup aimé cette nouvelle, à la fois profonde, triste, dont les personnages pensent qu’ils vont s’en sortir à la fin, alors qu’ils finissent par renoncer peu à peu à leur but. Le début de la nouvelle est une présentation des mœurs dans les années 1960, puis débute l’histoire particulière d’un homme, qui raconte sa jeunesse. Plusieurs narrations se croisent ici : c’est à la fois un dialogue et une histoire racontée par l’auteur à partir de ce qui lui a été raconté. Le dialogue intervient comme un commentaire des deux hommes, l’auteur demandant des détails ou une confirmation. L’histoire du jeune homme se prolonge dans sa vie adulte, jusqu’à la conclusion : « It seems to me that very sad things always contain an element of the comical ». Et pourtant, tout comme l’auteur, je n’ai rien trouvé de drôle à la nouvelle. Elle m’a touché, je me suis sentie très mal pour le jeune homme, et je me suis dit que la vie parfois joue des tours cruels à certaines personnes. La conclusion de l’auteur est brève, mais résume bien sa pensée sur la question du rire face à une telle histoire. Elle fait également réfléchir sur sa propre vie, et la place de la « fatalité » dans celle-ci.

« Hunting Knife » est une étrange petite nouvelle où le lecteur fait la rencontre de deux couples : deux jeunes mariés, et une mère et son fils. Le second laisse le premier perplexe ; il semble différent des autres, sans que l’on puisse l’expliquer. La rencontre finale amène une scène étrange, et une révélation qui l’est tout autant. La mémoire semble être problématique pour un des personnages, peut-être à cause d’un accident antérieur. « A Perfect Day for Kangaroos » présente une visite dans un zoo par un couple. Le quotidien est ainsi bousculé ; ce n’est pas grand-chose, et en même temps, ce doit valoir le coup. L’on voit ici que si l’on s’attend à quelque chose d’extraordinaire, l’on peut être déçu de trop avoir idéalisé la chose. « Dabchick » est étrange, et même fantastique à la fin. Il montre les possibilités du langage, celles de créer rien qu’en parlant de quelque chose qui n’existe pas ; celles de convaincre aussi, et de se jouer de son interlocuteur. Le hasard, le « sort », est visible ici, à la fin également. « Man-Eating Cats » part d’un fait-divers pour raconter la vie d’un homme, et de sa liaison avec une femme plus jeune que lui. L’action se passe au Japon, puis en Grèce ; le changement de cadre occasionne un changement de vie total. Une anecdote du narrateur, le jeune homme, est à l’origine de la fin de la nouvelle, qui m’a laissé perplexe. « A Poor Aunt’ Story » est peut-être la plus triste nouvelle du recueil. Le narrateur est un écrivain qui veut écrire à propos d’une pauvre tante ; il se met donc à penser à ce genre de personnes, ce qui lui apporte une étrange visite, qui va se changer en fardeau social. Cela peut montrer la façon qu’ont les gens de traiter un certain type de personnes, comment ce type est abandonné, et semble mort avant même de mourir. Il devient inexistant tout en vivant encore. « Nausea 1979 » traite de la culpabilité, selon le narrateur, d’un jeune homme immoral, qui s’en veut de faire ce qu’il fait sans s’en rendre compte. « The Seventh Man« , par l’histoire que le narrateur raconte, m’a bouleversé. J’ai ressenti la culpabilité du personnage, son mal-être, le fait qu’il se sente hanté par celui qu’il a perdu. La fin était un soulagement ! « The Year of Spaghetti« , toute petite nouvelle, traite de la solitude d’un homme obsédé par les spaghettis. Au début, le lecteur peut trouver l’anecdote drôle, surtout avec la façon de raconter de l’auteur ; mais la fin coupe court à l’humour en le mettant en face de la véritable signification de cette année de spaghettis. « Tony Takitani » raconte l’histoire d’un homme à partir de la jeunesse de son père. Cela explique le prénom étrange du personnage, qui ne sonne pas très japonais. La solitude est le centre de cette nouvelle : elle n’est pas gênante au début de la vie de Tony, mais devient intolérable à partir d’un certain moment. Il la quitte et ne veut jamais la retrouver. Un renversement de situation bouleverse (et détruit) la vie de Tony, le poussant à faire quelque chose de très étrange. La fin est très triste : il ne lui reste que des souvenirs. « The Rise and Fall of Sharpie Cakes » est clairement une nouvelle fantastique, même si elle ne peut être identifiée comme telle qu’à la fin. Un concours s’ouvre pour créer un nouveau gâteau Sharpie, et le narrateur y participe, ne sachant pas du tout dans quoi il se lance. L’entreprise m’a semblé complètement délirante, et au narrateur aussi apparemment !

« The Ice Man » est profondément triste, par la métaphore d’homme de glace qui traverse la nouvelle. La solitude, la douleur sont matérialisées par cette appellation. Le voyage final n’entraîne rien de bon, et la solitude, le froid et le désespoir qui les accompagnent finissent par devenir totaux. « Crabs » est ancré dans la réalité : un couple va manger du crabe dans un restaurant. Mais la façon corporelle de réagir des deux jeunes gens n’est pas la même, ce qui les désunit de manière définitive. Cette nouvelle m’a semblé montrer l’inconstance des sentiments amoureux pour certains, et le fait que le moindre petit défaut de trop peut complètement changer la perception que l’on a de l’autre. « Firefly » est la plus longue nouvelle avec « The Folklore …« . Encore une fois, la mort tient une place importante, et régit même la vie du narrateur : son poids lui fait voir la vie et les gens autrement. Cela engendre une réflexion sur elle, assez pessimiste et fataliste. La perte est également au centre de cette histoire, puisque le narrateur en fait l’expérience : elle est bien rendue par cette phrase, séparée du texte : « I waited for ever », et symbolisée par la luciole. « Chance Traveller » est encore une nouvelle dans laquelle l’auteur s’implique. Cela la rend d’autant plus réelle, et le lecteur veut croire à ce qui est racontée. Elle part d’une anecdote de l’auteur, pour aboutir à une preuve par l’expérience d’un de ses amis. C’est vraiment une de mes nouvelles préférées : d’une certaine façon, elle peut redonner espoir. L’action d’ »Hanalei Bay » se situe à Hawaii. Je ne veux pas raconter l’histoire, donc je vais simplement dire qu’encore une fois, la perte et la mort sont au centre de l’histoire, et une petite note fantastique s’y ajoute. « Where I’m Likely to Find it » est à la fois drôle et profond. Un détective doit retrouver un homme qui a disparu entre le 24e et le 26e étages de son immeuble. Au fil des discussions qu’il a avec les différents voisins, il semble vraiment qu’il mène une enquête ; jusqu’à la dernière, où il est clair que c’est autre chose qu’il cherche. Une petite touche de fantastique semble aussi s’être immiscée ici. « The Kidney-Shaped Stone That Moves Every Day » est une mise en abîme : un jeune écrivain qui a perdu l’inspiration tente de reprendre l’histoire qu’il avait commencée, et qui porte le nom de la nouvelle. Derrière cela, son leitmotiv amoureux, hérité de son père, mène sa vie, et le pousse à faire de multiples erreurs. La fin est une sorte de petite leçon sur la façon de ne pas diriger sa vie, et cela donne une certaine définition de l’amour : « What matters is deciding in your heart to accept another person completely. And it always has to be the first time and the last ». Enfin, « The Shinagawa Monkey« , nouvelle fantastique, porte sur la perte de son identité, et sur la capacité de l’homme à se cacher la vérité quand elle est trop difficile à supporter.

 

En définitive, un très bon recueil de nouvelles, que je recommande pour découvrir Murakami !!

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