Barbe Bleue d’Amélie Nothomb
Editeur : Albin Michel
Année de sortie : 2012
Nombre de pages : 170
Synopsis : « La colocataire est la femme idéale. »
Avis : Cela faisait un moment que je n’avais pas lu de livre d’Amélie Nothomb, et j’avais envie de me replonger dans son univers !
Déjà, j’aime beaucoup la couverture ; en général, celles des livres de l’auteure sont originales, et ont ce petit quelque chose qui fait qu’on les aime. C’est le cas ici. Rien qu’en lisant le titre, le lecteur comprend qu’il a affaire à une réécriture du conte, Barbe bleue, l’homme qui tue ses femmes, pour schématiser. On entre donc dans l’histoire avec l’a priori d’être face à un meurtrier. L’idée d’une colocation pour choisir l’élue m’a semblé originale. C’est une bonne transposition de l’histoire à notre époque, tout en gardant un côté ancien avec le personnage de Don Elemirio. La reprise du conte est elle aussi ingénieuse : l’héroïne, Saturnine, ne sait rien de Don Elemirio et de ce qu’on dit de lui. Elle n’est attirée ni par l’homme, ni par son histoire, et veut simplement un logement à Paris. Mais quand elle apprend que huit femmes ont disparu après avoir vécu chez lui, elle est persuadée qu’il les a tuées. Son attitude alors est celle de la rébellion et du rejet : elle ne tombera pas amoureuse de Don Elemirio comme les autres femmes. L’intrigue m’a peu à peu fasciné : Saturnine entre dans le quotidien de Don Elemirio et tente de découvrir ce qui est arrivé aux huit femmes. Les couleurs sont importantes dans ce livre : elles sont une partie de nous et nous caractérisent profondément. Le champagne est très présent : il est un lien entre les deux personnages. J’ai retrouvé Hygiène de l’assassin, que j’ai adoré, dans les dialogues, dans la relation des deux personnages, dans la surprise de la fin. Le côté « conte » du récit m’a semblé se concentrer à la fin, dans la dernière phrase. La religion est également présente dans ce livre : Don Elemirio est catholique pratiquant, et même un peu fanatique peut-être. Elle lui permet de justifier certains de ses actes, même si cela semble absurde. Enfin, j’ai adoré le jeu d’onomastique de l’auteure sur les noms qui apparaissent dans l’œuvre, notamment celui des femmes, dont celui de Saturnine ; l’on fait référence à son étymologie au début et à la fin du livre.
J’ai vraiment beaucoup aimé le personnage de Saturnine. C’est une jeune femme indépendante, qui n’a jamais connu l’amour, et qui est certaine de ne jamais tomber amoureuse du « Barbe bleue » moderne, qui l’a dégoute, et qu’elle accuse sans vergogne d’avoir assassiné les huit femmes précédentes. Elle lui parle comme elle le désire, et semble prendre l’ascendant sur lui dans la mesure où il ne lui fait pas peur, et qu’elle se permet tout. Peu à peu, elle découvre Don Elemirio, son quotidien, son passé qu’il lui raconte, son secret, la photographie qui le passionne. C’est une jeune femme intelligente et elle tente de percer à jour son mystérieux hôte. Aussi, le logement qu’elle a trouvé ressemble à un rêve, et il semble qu’elle ne pourra plus se passer du luxe qu’elle y découvre. De ce point de vue, c’est Don Elemirio qui a l’ascendant sur elle. Il est espagnol, noble, et a des positions bien arrêtées sur à peu près tout. Il semble parler par énigmes, ou Saturnine ne pose pas les bonnes questions à cause de l’idée toute faite qu’elle a de lui. Il semble avoir une haute opinion de lui-même, et m’a un peu fait penser à Prétextat Tach, en beaucoup moins cynique. C’est un reclus, il déteste la société, et n’y est pas adapté. Les huit femmes qu’il a connues font partie de son mystère : son histoire d’amour m’a fait penser à Journal d’Hirondelle par son étrangeté. Dans le livre, Saturnine prend la place du lecteur pour poser toutes ses questions à Don Elemirio. On ne sait que ce qu’elle apprend. D’autres personnages apparaissent ici : les huit femmes précédentes, Corinne, l’amie de Saturnine, Mélaine, l’homme de service de Don Elemirio, le chauffeur et les femmes qui viennent répondre à l’annonce pour la colocation : elles sont obsédées par le noble Espagnol, sont attirées par sa réputation sulfureuse et veulent le découvrir.
Le thème du secret est central ici : Don Elemirio cache celui-ci dans une pièce interdite pour la femme qui vit avec lui ; mais il précise que cette porte n’est pas fermée à clé pour une question de confiance. Il considère que son secret doit être respecté, et qu’elles n’ont pas à vouloir le découvrir. Cela peut faire référence au jardin secret que l’on garde pour soi, que l’on ne révèle à personne. Pour autant, les hommes sont toujours curieux, et lorsqu’on leur montre un endroit interdit, mais accessible, il est pratiquement certain qu’ils y entreront. Cette curiosité est aussi au centre du livre : Saturnine veut finalement savoir ce qui se cache derrière la porte, veut savoir ce qu’il est advenu des femmes, ce qui mène à une scène étrange, de nuit, où menaces et questions fusent. Le lecteur lui aussi veut connaître la vérité, et tourne les pages aussi rapidement que possible pour savoir.
La fin est surprenante, à la fois pour ses révélations et pour l’événement qui survient ; elle m’a encore fait penser au premier livre de l’auteure, même si c’est tout de même différent. Elle est aussi abrupte, sans doute pour refléter la rapidité de la décision de Saturnine. J’ai eu mal au cœur, même si cela devait se passer de cette façon. L’amour est toujours étrange dans les livres d’Amélie Nothomb, et c’est peut-être ce qui les rend uniques et aussi passionnants. Seul bémol : j’ai trouvé l’œuvre trop courte.
En définitive, un très bon roman, une bonne reprise du conte Barbe bleue, et des retrouvailles avec le style d’Hygiène de l’assassin, que j’adore.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.