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I found myself in Wonderland.

Une femme aimée d’Andreï Makine

Classé dans : Avis littéraires — 14 décembre 2015 @ 13 h 32 min

Une femme aimée Genre : Contemporaine, Historique

Editeur : Points

Année de sortie : 2014

Nombre de pages : 363

Synopsis : Oleg Erdmann, cinéaste, voue une passion à Catherine II de Russie. Héroïne de son film, l’impératrice offre de multiples visages : cruelle nymphomane, tsarine républicaine, séductrice des philosophes … De son premier amour brisé à un incroyable voyage secret en Europe, Oleg traque la vérité de la Grande Catherine. Sous le vernis de l’histoire, il découvre le drame d’une femme qui ne cherchait qu’à aimer. « Le vrai mal de ma vie, c’est que mon cœur ne peut vivre un seul instant sans aimer … »

 

Avis : Avec le synopsis, je m’attendais à en apprendre pas mal sur Catherine II de Russie, et sur sa vie, mais d’une façon originale, étant donné qu’elle est vue à travers les yeux d’un homme qu’elle fascine.

Je n’ai pas du tout été déçue sur ce point ! Le personnage principal, Oleg Erdmann, évoque souvent la vision stéréotypée que les historiens, ou les hommes en général, ont de la Grande Catherine ; lui la voit de façon beaucoup plus intime. Sous les couches de débauche et de vice, il tente de voir une autre femme, une femme qui correspond à cette phrase qu’elle écrivit : « Le vrai mal de ma vie, c’est que mon cœur ne peut vivre un seul instant sans aimer … » J’avoue que je ne connaissais Catherine II que de nom, je ne savais pas grand-chose d’elle, excepté que c’était une monarque éclairée. J’en ai donc appris beaucoup ici, à la fois sur l’Histoire, mais aussi sur la reine en elle-même, sur sa façon de vivre, de gouverner. Le côté sexuel de la vie de l’impératrice est mis en avant ; selon le personnage principal, ce n’est que ce que l’on retient de Catherine II : son nombre très élevé d’amants, le fait qu’elle en changeait dès qu’elle n’en avait plus, son alcôve, son amour de midinette. Il évoque même l’épisode d’un accouplement avec un cheval, anecdote mensongère qui visait à montrer la perversité de l’impératrice, et son besoin charnel, soi disant parce qu’elle ne pouvait plus se contenter de ses amants. Cela montre simplement que les femmes, même à un rang aussi élevé que l’impératrice, ne peuvent pas se comporter comme les hommes sans être considérées comme des nymphomanes et des catins. A la même époque, Louis XV rendait régulièrement visite à sa maison des Cerfs. Un passage du livre traite de la façon « genré » de voir la sexualité : « dites-moi, que signifie le mot « courtisan » ? _Euh … c’est un homme de cour … _Et une « courtisane » ? _Disons, une femme aux mœurs … légères. _Une pute quoi. [...] Un « homme public » est une célébrité et une « femme publique » est fatalement une salope … La langue trahit toujours les lois de ce monde. » Ainsi, le comportement de la Grande Catherine scandalise les historiens qui racontent sa vie en mettant en évidence le fait qu’elle avait toujours besoin de relations charnelles ; pas un épisode de sa vie n’échappe à cette lecture. Oleg, quant à lui, voit autre chose en Catherine et voudrait la réhabiliter, montrer une autre facette de sa vie, et pas tourner un énième film pornographique sur elle.

Dans ce livre, deux histoires nous sont contées en parallèle : celle de l’impératrice, et celle d’Oleg. La première est fouillée, les événements sont mentionnés plusieurs fois avec des variantes, certains épisodes sont présentés comme vrais, puis faux ; derrière ce que l’on croit savoir, se cache sans doute quelque chose de plus profond, le désir d’être aimé, et de vivre différemment avec l’être choisi. La seconde se fait en filigrane, comme si l’histoire de Catherine l’entraînait. Le personnage semble se chercher, et veut se comprendre en comprenant la vie de l’impératrice. C’est une sorte de quête identitaire, durant laquelle Oleg va rencontrer de nombreuses personnes, va tenter de révéler la vérité, et va se retrouver en face de sa propre vie. Ainsi, les deux histoires sont liées et avancent de concert, ou stagnent ensemble. J’ai vu un étrange parallèle entre elles à la fin, consommant le rapprochement de Catherine et Oleg.

L’écriture est assez poétique, surtout dans ses évocations de neige, de paysage hivernal, et d’un amour caché dans le cœur de la Grande Catherine ; mais elle m’a aussi semblé assez répétitive : certains événements sont cités plusieurs fois, parfois sans nuances, ce qui donne une impression de lourdeur au récit. Parfois, d’un chapitre à l’autre, ce qui est dit est répété sans que le besoin s’en fasse sentir. J’ai trouvé cela un peu dommage ; malgré cela, le livre se lit très vite, et le lecteur est happé par l’Histoire, comme par l’histoire.

Oleg, le personnage principal, est un Allemand-Russe : sa famille a immigré en Russie au moment du règne de Catherine, elle aussi d’origine allemande. L’homme est obsédé par la reine : il sait que le nombre de ses amants, que l’alcôve, que son besoin d’être aimée sont réels ; mais il sent que quelque chose se cache derrière ce vernis disgracieux de l’Histoire. Il veut montrer une autre face de l’impératrice, montrer qu’elle n’était pas que cruelle et nymphomane, qu’elle avait un cœur. Lui aussi cherche son propre cœur, malmené au fil de l’œuvre par des femmes, par des souvenirs, par des lacunes de sa mémoire qu’il veut remplir. Il tente de se faire une place dans le cinéma à travers une histoire nouvelle, qui ouvrira les yeux des Russes, mais son échec est retentissant tout le long du livre. La société ne s’intéresse qu’à ce qui est prévalent : si le sexe l’est, elle se fiche de voir l’humanité d’une reine en mal d’amour. Catherine est ainsi présente de façon assez ambivalente ici. Tantôt, cruelle, sans cœur, à l’appétit sexuel vorace ; tantôt une femme, qui regarde la neige tomber en se demandant quand l’amour viendra. Ce peut passer pour une version assez mièvre de la reine, mais le second versant de sa vie ne l’étant pas, l’hypothèse est plausible. J’ai été choquée par certains actes qui lui sont imputés : le viol d’une jeune mariée devant son mari juste après leur mariage, la préméditation du meurtre de son mari, défiguré et humilié, l’épisode de la Pologne … Les images d’elle enfant semblent douces, mais le contraste est tellement frappant avec sa vie d’adulte que l’on se demande si l’on parle de la même personne. En tout cas, je dois avouer que j’ai été fascinée par cette femme : elle fait ce qu’elle veut, s’en cache sans s’en cacher, règne en Russie, et même, tente de redresser son pays et de promouvoir les Lumières. Le fait de se centrer sur sa vie sexuelle éclipse ses autres actes, sans doute plus intéressants que de folles étreintes avec d’innombrables hommes. Le lecteur se trouve ici entre Histoire et fiction, et ne saura sans doute jamais ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas : c’est la loi de l’Histoire. Il ne peut que se faire son propre avis, ou décider de croire Catherine dans ses Mémoires. D’autres personnages sont présents dans cette œuvre, comme Lessia, que j’ai détesté par son snobisme et son opportunisme, Dina, qu’il est difficile de juger étant la vie qu’elle a eu auparavant, Eva, que j’ai appréciée, qui m’a semblé être une réincarnation de Catherine pour Oleg, Lourié et Sergueï, auxquels je me suis attachée, Zoïa, qui fait une petite apparition très remarquée, Kozine et Jourbine, qui tentent de gagner leur vie en se pliant aux lois du marché.

La fin m’a semblé faire la conjonction entre les deux histoires, celle de Catherine, et celle d’Oleg. C’est une véritable fin pour les personnages, peut-être moins pour le lecteur, qui aurait aimé savoir si l’entreprise mentionnée serait couronnée de succès ou non.

 

En définitive, un bon roman, qui m’a fait découvrir la Grande Catherine, et un auteur à l’écriture agréable.

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