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I found myself in Wonderland.

Vies Minuscules de Pierre Michon

Classé dans : Avis littéraires — 11 décembre 2015 @ 10 h 09 min

Vies Minuscules Genre : Nouvelle

Editeur : Folio

Année de sortie : 2004

Nombre de pages : 249

Synopsis : « Il a caressé des petits serpents très doux ; il parlait toujours. Le mégot brûlait son doigt ; il a pris sa dernière bouffée. Le premier soleil l’a frappé, il a chancelé, s’est retenu à des robes fauves, des poignées de menthe ; il s’est souvenu de chairs de femmes, de regards d’enfants, du délire des innocents : tout cela parlait dans le chant des oiseaux ; il est tombé à genoux dans la bouleversante signifiance du Verbe universel. Il a relevé la tête, a remercié Quelqu’un, tout a pris sens, il est retombé mort.

 

Avis :  J’avais un petit a priori sur ce livre, qui m’a été prêté. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, et la couverture, assez austère, ne me donnait pas vraiment envie.

J’ai été assez surprise d’apprécier ce livre. Tout d’abord, l’écriture est assez dense, et il est facile de se perdre entre le début et la fin des phrases tellement elles sont longues : j’avais un peu l’impression de retrouver Proust, mais avec un style d’écriture assez différent. L’auteur joue beaucoup avec la syntaxe de la phrase, il réalise des inversions entre le sujet et le complément par exemple, ce qui est assez surprenant dans le cours normal de la lecture : il m’a souvent fallu reprendre la phrase pour la comprendre. Parfois aussi, il joue avec les mots, qui peuvent correspondre à plusieurs autres dans la phrase. Le vocabulaire est également riche et complexe : je ne connaissais pas certains mots, ce qui ne gêne pas vraiment la lecture, mais qui est assez surprenant. Enfin, l’écriture est parfois poétique, et touche la corde sensible du lecteur.

Concernant l’histoire, l’auteur nous livre ici des nouvelles qui correspondent aux vies de différents personnages. J’ai été surprise de constater un lien entre toutes ces vies, que je pensais sans rapport. Il m’a semblé que le narrateur changeait d’histoire en histoire, puisque, dans la « Vie d’André Dufourneau », nous avons affaire à une narratrice, alors que dans toutes les autres, le narrateur est un garçon ou un homme. J’ai remarqué un paradoxe dans toutes ces vies minuscules : le personnage / narrateur ne peut écrire, et raconte avec douleur la difficulté de trouver les mots, de toucher la Grâce du Verbe ; et pourtant, nous avons sous les yeux la preuve que cette difficulté a été dépassée. C’est aussi une incohérence totale par rapport au milieu duquel viennent les personnages : ils sont paysans, et utilisent des mots savants, ou des tournures de phrases alambiquées. J’ai ainsi trouvé que l’écriture ne coïncidait pas du tout avec ce qui était raconté, ce que je trouve un peu dommage peut-être : ç’aurait été plus naturel de faire  »parler » les personnages comme il devait le faire normalement. La présence de l’auteur est perceptible derrière les narrateurs à travers cette écriture.  

Les vies que nous racontent les narrateurs vont toujours de la rencontre entre eux et le personnage dont il parle, jusqu’à la mort de ce dernier. Ainsi, le lecteur s’attend à une fresque complète, une vraie vie condensée dans un petit récit. Les liens sont différents selon les nouvelles : certains sont parents, d’autres juste amis, ou même simples connaissances. L’auteur m’a semblé encore perceptible parfois derrière ses personnages : la narration est parfois à la limite de l’omniscience et se rattrape avec un « peut-être », « ou », « semble-t-il ». Les vies racontées sont souvent touchantes : la misère qui accable certains personnages les maintient entre ses griffes, ou les pousse à partir pour un horizon incertain, et souvent pour ne jamais revenir. D’autres connaissent la difficulté de créer, d’écrire, d’aimer, et de vivre, et finissent par dériver, par se débaucher. D’autres encore semblent promis à de beaux avenirs, réduits en cendres par le temps, ou leur incapacité à profiter de leurs talents ; ces deux remarques valent à la fois pour les narrateurs et les personnages dont ils racontent l’histoire.

Huit personnages se voient offrir leur vie à la lecture ici : André Dufourneau, homme absent érigé en mythe, et que la narratrice ne connaît qu’à travers les dires d’Elise – personnage qui apparaît dans la majorité des nouvelles -, homme qui pensait réussir sa vie ailleurs, et qui mentait pour préserver les apparences d’une vie rêvée ; Antoine Peluchet, mythe lui aussi puisque le dernier héritier des Peluchet, dont le narrateur se sent très proche, tellement que ç’en devient presque surnaturel ; à travers lui, c’est sa famille entière que l’on découvre, et notamment son père, trop fier, trop dur, qui regrettera toute sa vie l’erreur qu’il a faite un jour, et qui lui fera tout perdre, sauf peut-être l’espoir, s’étiolant tout de même au fil des années ; Eugène et Clara, grands-parents aimants, et peu à peu oubliés, qui font mal au cœur, pitié, que l’on aimerait aimer mieux tout en étant impuissants ; deux personnages aux caractères opposés, mais ainsi complémentaires, un homme faible et pleurnichard, une femme forte et qui sait bien parler ; cela peut aussi nous faire réfléchir sur la façon que nous avons nous-mêmes de traiter nos grands-parents ! ; les frères Bakroot, sans doute ma nouvelle préférée dans ce recueil ; elle raconte la vie de deux frères, Roland et Rémi, qui se détestent comme jamais je n’ai vu des frères se détester ; c’est en réalité, leur façon de s’aimer, et de se faire remarquer l’un de l’autre ; ils sont en conflit permanent, et sont l’opposé l’un de l’autre : le premier est très intellectuel, se perd dans les livres et est ami avec un de ses professeurs qui lui prêtent des livres et avec qui il a de longues conversations, quand le second s’intéresse aux filles, exècre tout ce que son frère aime, lui fait les pires vacheries qui existent, peut-être sans se rendre compte parfois de la portée de ses actes ; la fin est assez émouvante ; le père Foucault, un vieillard dans un hôpital qui refuse de se faire soigner sans que personne ne comprenne pourquoi ; la raison va vraiment fait mal au cœur, et montre toute la dignité du personnage ; il n’a pas de famille et se raccroche quelques temps au narrateur et à Marianne, tout en sachant qu’il finira sa vie seul ; Georges Bandy, personnage assez surprenant dans le contraste entre la façon dont il se comportait jeune, et sa façon d’être lorsque le narrateur le retrouve ; il est abbé, mais pas tout à fait porté exclusivement sur la religion ; il est jeune, beau, motard (assez surprenant pour un religieux !) et fascine ceux qui assistent à son prêche ; le contraste avec le présent de la nouvelle fait mal au cœur : tout a changé pour lui, et sa mort est surprenante : elle semble douce, il la voit venir, elle passe très vite ; Claudette, une des trois femmes directement concernées par une nouvelle ; elle s’entiche du narrateur en le pensant travailleur et en devenir ; amoureuse, elle l’héberge ; elle semble gentille, accueillante et joyeuse ; la petite morte, qui m’a étrangement refait penser à la première nouvelle ; ici le narrateur nous parle de sa grande sœur, morte quand elle était encore un bébé, avant sa naissance ; il semble son poids dans sa vie et dans la façon qu’ont ses proches de lui parler d’elle. Le lecteur rencontre d’autres personnages au cours des nouvelles comme Elise, que j’ai beaucoup appréciée et qui semble toujours une douce présence en arrière-fond ; Félix, un peu effacé, mais tout de même présent, un homme viril comparé à Eugène ; Marianne, qui apparaît dans les dernières nouvelles, femme malmenée et qui reste par amour.

A la fin de la dernière nouvelle, l’auteur les reprend toutes dans une sorte de conclusion, ce qui remet en cause le fait que le narrateur soit différent à chaque fois.

 

En définitive, un bon recueil de nouvelles que j’ai aimé découvrir, malgré l’incohérence soulevée, et une écriture très dense.

2 commentaires »

  1. Léa Touch Book dit :

    Je ne connaissais pas du tout ce recueil et puisque je suis en train de sérieusement me mettre à la lecture des nouvelles je prends note, merci :)

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