Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier
Editeur : Folio
Année de sortie : 1989
Nombre de pages : 254
Synopsis : Tous ceux qui m’ont connu, tous sans exception, me croient mort. Ma propre conviction que j’existe a contre elle l’unanimité. Quoi que je fasse, je n’empêcherai pas que, dans l’esprit de la totalité des hommes, il y a l’image du cadavre de Robinson. Cela suffit – non certes à me tuer – mais à me repousser aux confins de la vie, dans un lieu suspendu entre ciel et enfers, dans les limbes en somme … Plus près de la mort qu’aucun autre homme, je suis du même coup plus près des sources mêmes de la sexualité.
Avis : Ce livre ne me tentait pas du tout au début ; je n’ai jamais vraiment été attirée par les histoires sur des îles désertes. Mais je me suis laissée tenter !
J’ai été assez surprise par ma lecture. D’abord, je m’attendais à une écriture plus alambiquée, moins abordable. Je l’ai trouvé excellente, claire, et elle portait bien la philosophie du livre. Quant au scénario, mes doutes sont levés : j’ai aimé l’histoire de cet homme qui doit se perdre pour se retrouver, et qui va comprendre la portée du temps et de la vie seul sur une île pendant de longues années. Bien sûr, ce livre est une réécriture de Robinson Crusoé, qui se trouve dans ma PAL depuis un moment maintenant, et que j’avais déjà envie de lire. Ne l’ayant pas fait, je ne peux pas encore comparer les deux romans, et voir leurs similitudes et leurs dissemblances. On retrouve, évidemment, les personnages de Robinson et Vendredi, que l’on connaît d’une manière ou d’une autre, comme l’histoire en général. Ici, elle est pourtant remaniée, et l’auteur y apporte quelque chose de neuf. En raison de sa solitude, Robinson va passer par plusieurs stades, bien mis en contraste dans le livre, et va peu à peu se rapprocher des origines, et de la terre, sa mère nourricière. J’ai vraiment dans l’histoire, jusqu’à l’arrivée de la sexualité : j’ai trouvé ça vraiment étrange, même si les explications que le personnage donne se tiennent. C’est un véritable retour à l’origine, presque un retour à une mythologie pour un homme perdu dans un monde qu’il apprivoise. Il est vrai que le parcours de Robinson est chaotique : il tente de s’en sortir de différentes manières, de ne pas sombrer dans la folie, de décider de s’y complaire, de tenter de voir le bon côté des choses, de regretter ce qu’il avait construit et qui n’est plus. Ses efforts sont constants, soit pour garder une attache à sa civilisation, soit pour rester simplement humain, et ne pas complètement devenir animal. A un moment donné, un renversement se fait, et celui-ci est amorcé par l’arrivée de Vendredi. Il est tellement différent de Robinson que l’on peut penser, à première vue, qu’ils ne pourront jamais s’entendre, et que leurs relations seront difficiles. Des tensions existent, et des manières très ingénieuses sont trouvées pour les désamorcer. La nature est, évidemment, très importante ici : le personnage principal effectue un retour, d’abord forcé, aux sources. Il découvre un monde qu’il ne soupçonnait pas, et un nouvel homme en lui. La terre sur laquelle il s’est échoué n’a pas de nom, mais, s’il fait des efforts, et s’il ouvre les yeux, elle lui fournit ce dont il a besoin pour vivre … tout, sauf de la compagnie humaine.
Robinson, personnage principal, évolue énormément au fil des pages, et ceci est visible notamment avec le journal de bord, qu’il tente de tenir régulièrement afin de consigner les avancements de sa pensée. On dirait presque que le personnage fait le deuil de sa vie précédente : il se laisse sombrer dans la tristesse et le désespoir, avant de nier sa condition de naufragé en tentant de conserver des traces de sa civilisation sur l’île. Il finit par admettre que cela ne sert à rien, que ça frôle même l’absurde parfois. De marin, l’homme passe par bien des « métiers » : général, gouverneur, berger, administrateur. Il finit par devenir sage, et philosophe véritablement lorsqu’il s’interroge sur le temps, la vie, la mort, et l’importance d’autrui pour soi-même. Vendredi, quant à lui, représente la joie de vivre. Il semble pouvoir s’accommoder de tout ; semble seulement, car l’esclavage ne fait que montrer à son maître que la liberté est faite pour lui. Ce personnage est, comme le dit Robinson, « éolien » : l’air est très important pour lui, ainsi que la nature, qu’il respecte, mais de laquelle il prélève ce dont il a besoin sans remords. Il ne fait que rire, et s’adonner à des loisirs qui causeront une destruction irrécupérable. D’autres personnages sont présents dans ce livre, comme Tenn, affectueux et joueur, le capitaine Van Deyssel, prophète de ce qui arrivera à Robinson, les membres d’équipage du Whitebird, qui rappelle à Robinson sa vie passée, les Araucans, tribu d’où est issu Vendredi.
Une réflexion sur le temps est menée ici avec brio par l’auteur. Robinson ne le voit d’abord pas passer, et ne s’en préoccupe pas. Loin de toute société, il lui échappe, et quand il tente de le rendre tangible, il sait qu’il peut l’arrêter à tout moment, le suspendre quand il le désire. Seul sur l’île, Robinson est maître du temps. Il est également celui de la vie, qu’il contrôle complètement : s’il le veut, il peut complètement détruire l’île, comme il peut tuer Vendredi et lui-même. Mais la réflexion la plus profonde est celle qui évoque autrui. Seul, Robinson n’existe pas, parce que personne ne le voit exister. Aucun œil ne lui renvoie son reflet : c’est ainsi qu’il perd tout. Sans autrui, pas de société, pas de moi, parce que pas de toi, pas de nous. Nous vivons aussi par l’autre, et c’est pour cette raison que nous ne pouvons vivre sans lui. La folie est proche pour Robinson quand il est seul : il tente de se ressaisir, mais se demande à quoi tout cela peut lui servir : autrui n’est pas là pour voir, pas là pour récompenser ou pour blâmer. Les récoltes qu’il peut obtenir, elles sont trop volumineuses pour lui seul, et vont pourrir sans autrui. Vendredi sauve Robinson de sa solitude : cela les lie indubitablement.
La fin m’a un peu surprise : je ne m’attendais pas à ça de la part de Vendredi. La décision de Robinson était logique, comme celle d’un autre personnage. Tout recommence, l’histoire de l’ermite n’est pas terminée, même si le lecteur ne la lira pas.
En définitive, un très bon roman philosophique, qui nous fait réfléchir, et nous renvoie une image neuve de nous-mêmes.
2 commentaires »
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Je l’avais lu plus petite, et j’avais adoré! ♥ Il faut absolument que je le relise!!
Je ne sais pas si j’aurais aimé si je l’avais lu plus petite ! Bonne relecture !!