Bel-Ami de Guy de Maupassant
Editeur : Pocket
Année de sortie : 2012
Nombre de pages : 408
Synopsis : Le monde est une mascarade où le succès va de préférence aux crapules. La réussite, les honneurs, les femmes et le pouvoir : le monde n’a guère changé. On rencontre toujours – moins les moustaches – dans les salles de rédaction ou ailleurs, de ces jeunes aventuriers de l’arrivisme et du sexe. Comme Flaubert, mais en riant, Maupassant disait de son personnage, l’odieux Duroy : « Bel-Ami, c’est moi. » Et pour le cynisme, la fureur sensuelle, l’athéisme, la peur de la mort, ils se ressemblaient assez. Mais Bel-Ami ne savait pas écrire, et devenait l’amant et le négrier d’une femme talentueuse et brillante. Maupassant, lui, était un immense écrivain. Universel, déjà, mais par son réalisme, ses obsessions et ses névroses, encore vivant aujourd’hui.
Avis : J’avais adoré les nouvelles de Maupassant, notamment Le Horla et celles qui l’accompagnent, et son roman Une vie, et j’entendais beaucoup parlé de Bel-Ami. Je me suis lancée en me le faisant prêter !
Je dois dire que le premier chapitre ne m’avait pas vraiment interpellée : j’ai suspendu ma lecture pendant un très long moment avant de la reprendre il y a quelques jours. Je suis ensuite vraiment entrée dans l’histoire, m’intéressant aux personnages et à l’intrigue qui se formait peu à peu. L’on suit ici un jeune homme, Georges Duroy, qui va tenter de se faire une place dans la société, et de s’enrichir grâce à des moyens plus ou moins moraux. Il va notamment trouver un poste dans un journal, ce qui va lui permettre de se propulser dans le monde. Le lecteur est donc ici immergé dans le monde de la presse, un monde que l’auteur présente comme corrompu, peuplé de journalistes qui entretiennent des liens étroits avec les politiques, qui magouillent pour obtenir des informations qui ne sont pas encore dévoilées, et qui usent de tous les moyens pour s’enrichir. L’on peut dire qu’aujourd’hui, pour certains, cela n’a pas vraiment changé : il y a toujours autant de liens corrompus entre certains journalistes et certains politiques, des liens qui permettent aux deux parties de s’enrichir en tentant de se mouiller un minimum. Et, même quand le pot-aux-roses est découvert, certains nient encore la vérité : une des scènes du livre illustre bien cette défiance et ce déni ridicules. L’opportunisme est très présent dans le livre : il régit la vie du personnage principal : c’est parce qu’untel meurt qu’un mariage a lieu, parce qu’unetelle est amoureux de lui que la fortune lui sourit. Les femmes ont un grand rôle dans son histoire : elles sont utilisées pour qu’il acquiert une réputation, mais elles sont aussi des objets de consommation. Il les prend parce qu’elles l’intéressent, mais se lasse rapidement d’elles, et les remplace par d’autres, plus fraîches ou moins amoureuses. Il est d’une cruauté sans égale avec certaines, les corrompant pour les jeter aussitôt, ayant obtenu ce qu’il voulait. Même quand le lecteur pense qu’il est tombé amoureux et qu’il s’est rangé, il trouve des prétextes pour repartir à la conquête des femmes, en laissant celle qu’il a conquise sur le côté, ou en lui faisant des coups bas qui stupéfient le lecteur ! En ce qui concerne l’écriture de Maupassant, elle est bien sûr très belle, très fine, pleine, qui sous-entend parfois des choses que le lecteur doit deviner, mais qui lui offre aussi des moments « lyriques » qu’il sait apprécier.
L’adjectif « odieux » du synopsis n’est pas de trop pour qualifier Duroy : il est malsain dans certaines situations, mesquin dans d’autres, mais aussi tellement ambitieux qu’il est prêt à tout pour obtenir ce qu’il veut. Au premier abord, le lecteur peut avoir de la sympathie pour lui : il est pauvre, n’a pas un travail qui lui rapporte beaucoup, et aimerait avoir une vie meilleure, comme la plupart d’entre nous. Il est facile, à ce moment-là, de s’identifier à lui et de l’apprécier. Mais, il arrive un moment où la sympathie disparaît devant les actions du personnage : lors de la rédaction de ses articles, lors de son mariage, lors de sa promotion, lors de ses conquêtes, lors de ses coups bas, et jusqu’à la fin, où il semble clair pour le lecteur que Duroy, corrompu, ne changera pas de sitôt. Il nous devient odieux, mais même alors, nous ne pouvons que reconnaître à quel point il est intelligent et rusé. Il sait retourner une situation à son avantage, ou faire en sorte d’obtenir ce qu’il veut, même quand son interlocuteur n’est pas en accord avec lui. Son intelligence le rend dangereux, puisqu’il parvient à faire tomber un personnage en particulier, et est prêt à en faire tomber d’autres. Le lecteur pourrait penser qu’il agit comme un enfant capricieux qui, découvrant un nouveau jouet, se lasse du précédent pour en posséder un autre : c’est un peu ce que représentent les femmes pour Duroy. L’argent est ce qui semble le motiver le plus dans la vie, ainsi que sa réputation, qu’il défend au péril de sa vie (même si la scène concernée est tournée en ridicule). Il est prêt à tout, même à déshonorer les autres, pour s’élever. J’ai trouvé, dans certains passages, que le personnage était un peu tourné en ridicule quand il désirait montrer sa valeur, parce qu’il n’en a pas ; elle ne lui vient que des autres. De nombreux personnages font les frais de l’ambition de Duroy : Forestier, censé être un de ses meilleurs amis, qui le met sur la voie de la réussite ; Madeleine, une intellectuelle qui fait le travail de son mari, qui a l’apparence de la douceur et de la pureté, et à qui il arrivera quelque chose d’affreux à cause de Duroy (même si, par la suite, cela ne semble pas si affreux quand on apprend ce qu’elle est devenue) ; Mme de Marelle, chaleureuse et voluptueuse, qui attire les hommes et semble tomber facilement amoureuse, pardonnant aussi facilement ; Mme Walter, une fausse dévote honnête et pure comme une vierge en ce qui concerne l’adultère ; M. Walter, patron de Duroy, qui se rendra vite compte de l’intelligence et de la roublardise du jeune homme ; Suzanne, jeune fille innocente, naïve et ignorante qui ne se rend absolument pas compte de ce qu’elle fait. D’autres personnages, moins importants, gravitent autour de Duroy, comme ses parents, que l’on ne rencontre qu’une seule fois, et les autres journalistes, comme Rival, Boisrenard, ou Norbert de Varenne.
Ce dernier est celui qui introduit un des thèmes profonds de ce livre : la peur de la mort. Au début du livre, il prévient Duroy contre elle, déclamant un monologue pessimiste que le personnage ne veut pas comprendre, mais qui le rattrapera au milieu de l’œuvre, le frappant de plein fouet, et le poussant, peut-être, à vivre aussi vite qu’il le peut, à en profiter tant que c’est possible, à s’entourer de femmes et d’argent. D’autres thèmes sont également présents : l’athéisme, comme le disait le synopsis. La seule religion présente dans le livre est celle des femmes qui sont en réalité de fausses dévotes, qui prennent la religion comme prétexte pour se donner un semblant de morale et de réputation. C’est le cas de Mme Walter : elle est l’exemple même de la fausse dévote que Dieu ne sauvera pas. De plus, avec la ressemblance entre Duroy et le Jésus du tableau Jésus marchant sur les flots, on peut voir une corruption de la religion elle-même qui, au lieu de donner de l’espoir, fait voir le corrupteur sous les traits du Messie. Les prêtres présents dans le livre ne sont d’aucune aide aux personnages qui ont besoin d’eux, et la religion n’est pas suffisante pour endiguer leur vice.
Le titre, Bel-Ami, est expliqué dans l’histoire, et l’on se rend vite compte à quel point ce titre est ironique, à quel point il ne correspond pas au personnage qu’il désigne. La personne qui a donné ce surnom n’est pas d’une importance prépondérante, mais elle montre la naïveté et la candeur de ce surnom inapproprié.
La fin montre bien que l’histoire est un cycle continu : ce n’est pas l’événement qui clôture le livre qui va empêcher Duroy de continuer de corrompre et de faire du mal autour de lui. Au contraire, cela lui donne peut-être une opportunité supplémentaire d’en faire, puisqu’il s’élève encore, et devient de plus en plus riche. Il aurait été assez intéressant d’avoir un aperçu de ce qu’il se passe après ce dernier événement, ce que j’ai trouvé un peu dommage.
En définitive, un livre qui dépeint la société de l’époque à travers le portrait d’un arriviste qui use de tous les moyens possibles pour s’élever, un livre qui ne se lit pas pour le plaisir de s’identifier aux personnages mais pour l’intelligence de l’écriture et de Duroy, une intelligence présente à chaque ligne, et qui nous fait aimer l’œuvre malgré la cruauté et le pessimisme qui y sont présents.