Les Mots de Jean-Paul Sartre
Genre : Autobiographie, Classique
Editeur : Folio
Année de sortie : 1995
Nombre de pages : 206
Synopsis : J’ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute : au milieu des livres. Dans le bureau de mon grand-père, il y en avait partout ; défense était de les faire épousseter sauf une fois l’an, avant la rentrée d’Octobre. Je ne savais pas encore lire que, déjà, je les révérais, ces pierres levées : droites ou penchées, serrées comme des briques sur les rayons de la bibliothèque ou noblement espacées en allées de menhirs, je sentais que la prospérité de notre famille en dépendait …
Avis : J’étais très réticente à lire Jean-Paul Sartre. Je m’attendais à ne pas aimer du tout, à m’ennuyer aussi un peu. Je ne savais pas encore à quel point je me trompais !
L’auteur nous livre ici une autobiographie qui peut aussi bien être un essai sur la lecture et l’écriture, l’emboîtement des deux, le passage de l’une à l’autre. L’œuvre est divisée en deux parties : Lire et Ecrire, ce qui montre bien une progression d’un état à un autre. Je connais beaucoup de personnes qui lisent et qui, finalement, se sont mises à écrire, parce qu’il semblerait que la lecture mène irrémédiablement à l’écriture (pas pour tous bien sûr). Ce n’est évidemment pas pour autant qu’un grand écrivain sommeille en chaque lecteur, mais sans doute, chaque personne qui lit à l’imagination requise pour, à son tour, écrire, inventer une histoire, des personnages, un décor. Ici, Sartre découvre sa vocation : baigné dans les livres, la lecture, la littérature, lui aussi écrira.
On ne plonge pas directement dans l’enfance de l’écrivain : l’on découvre tout d’abord ses parents, ses grands-parents, ses oncles, tantes. Il commence par sa famille pour aboutir à sa naissance. Il découvre les livres très jeunes, et je me suis parfois reconnue dans les descriptions qu’il fait de la lecture enfantine. Je n’ai pas pu m’empêcher d’être surprise et de me dire : « Hé mais moi aussi je faisais ça ! ». Il décrit la lecture comme une voix que l’on entend, la voix de l’écrivain qui nous parle à travers son livre. Sa mère lui racontait des histoires, et il a voulu lire seul. Chaque enfant à qui l’on fait la lecture finit par passer par le stade dont il parle : il fait semblant de lire, invente une histoire pour faire comme les grands. Sartre se décrit aussi comme un enfant, on peut le dire, arrogant, qui a besoin du regard de sa famille et qui est sûr d’être le centre de leur monde, et même du monde : il a besoin de lui, il se doit d’agir comme il se doit. Cela m’a fait penser à Métaphysique des tubes d’Amélie Nothomb, sa biographie de 0 à 3 ans, dans laquelle elle se dit essentielle, Dieu pour les autres, qui doivent la vénérer. Certains passages de Lire m’ont fait sourire ou rire : l’auteur garde son humour, même quand il parle de désespoir puéril. L’on voit également que l’éducation marque les individus à vie, puisque souvent, l’auteur avoue avoir mis vingt ans pour se débarrasser d’une opinion que les adultes lui avaient insufflée.
La transition entre Lire et Ecrire se fait tout naturellement. Encore une fois, je m’y retrouvais : à force de lire, l’enfant a aussi envie de créer ses propres histoires, de s’inventer des personnages fictifs dont il pourra faire ce qu’il voudra. L’auteur a commencé par mimétisme, en plagiant les œuvres qu’il avait lues, puis en les modifiant, et finalement, en en créant des inédites. J’ai préféré la première partie à la deuxième : il y a plus de retours dans le présent, plus d’interventions de l’auteur à l’âge où il écrit. Elles cassaient le récit, faisaient un peu oublier où l’on s’était arrêté. Cela n’a pas pour autant gâché mon plaisir. Sartre nous parle à un moment des écrivains et de leur opinion sur leurs livres : sa description est intéressante et il nous dit même ce qu’il pensait de ses œuvres.
L’on peut dire que les livres ont permis à Sartre de découvrir la vie, qu’il s’est forgé une identité avec eux, qu’ils lui ont appris beaucoup de choses, qu’ils ont largement influencé sa vie, et l’ont finalement amené à en faire son métier. Quand on lit, l’on a tendance à s’identifier aux personnages, à entrer dans l’histoire, à imaginer comment cela aurait pu se passer autrement, à apprendre certaines choses sans y faire attention, à s’éduquer un peu par soi-même, à découvrir de nouvelles qualités, de nouveaux défauts, des choses dont personne ne nous avait parlé avant. Lire sert à quelque chose : cela sert à se faire notre propre personnalité, à changer d’opinions sur certaines choses, à les voir autrement, par les yeux d’autres différents de nous. Spontanément, on ne lit pas pour analyser le texte que l’on a sous les yeux, mais pour s’intéresser à l’histoire, découvrir ou comprendre certaines choses, idées, concepts.
En définitive, Les Mots est un livre enrichissant, qui nous montre la vocation d’un grand écrivain, mais qui nous fait aussi découvrir la lecture enfantine, l’écriture qui suit, l’influence des autres sur les enfants, de l’Histoire sur les individus. C’est vraiment intéressant, je le conseille à tous ceux qui lisent !
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